Selon le pouvoir, le Sénat viendra renforcer la démocratie au Faso. Cet argument a été maintes et maintes fois avancé et soutenu par le régime. Toutefois, au vu des résultats publiés, il y a des raisons d'en douter. En effet, ces élections ont été boycottées par l'opposition. Pas par des partis de la mouvance présidentielle dont plusieurs auront cependant mordu les carreaux. En attendant les sénateurs qui seront nommés par le président du Faso, on retiendra que le CDP n'a aucunement eu de pitié pour les « alliés » de la majorité présidentielle. Ces derniers paieraient-ils pour avoir fait mal, lors du dernier scrutin législatif ? On a tout de même laissé tomber quelques miettes au profit de ceux qu'on maîtrise le mieux. Comme pour dire aux uns et aux autres : « Vous voyez, on n'a pas autant besoin de vous pour atteindre nos objectifs ». L'élégance politique aurait consisté à concéder plus de miettes aux courtisans de la mouvance présidentielle. Bien naïfs en tout cas, ceux des membres de la mouvance, qui avaient cru pouvoir disputer sincèrement le terrain avec le CDP, tout en l'accompagnant dans sa gestion des affaires du pays.
Le score à la soviétique -plus de 90% des suffrages- fait du Sénat un autre organe à la disposition du pouvoir
L'issue de ce scrutin montre clairement que parmi les bonzes du CDP, il y en aura toujours qui ne voudront jamais rien partager. A l'occasion, ils seront là pour montrer que tous ceux qui se situent en dehors du parti, se feront toujours traiter comme des militants de seconde zone. Malheureusement, de tels esprits foisonnent à la direction du parti majoritaire, et ils travaillent à la mort programmée du débat et donc de la démocratie au Faso.
Le score à la soviétique -plus de 90% des suffrages- fait du Sénat un autre organe à la disposition du pouvoir. Pas forcément au profit des Burkinabè. Le CDP se rattrape ainsi avec le Sénat. Aux dernières élections parlementaires, il avait certes obtenu la majorité des sièges ; pour autant, l'Assemblée nationale n'en est pas devenue monocolore. Les résultats obtenus aux élections sénatoriales viennent donc conforter la position du pouvoir, très attaché à l'uniformité. Car, tant au parlement qu'au sénat, il pèsera de tout son poids désormais sur les futurs débats portant sur le présent et l'avenir de la nation, et les grandes décisions engageant les Burkinabè.
Le parti de la majorité présidentielle, tient toujours à exercer son monopole, à imposer sa volonté partout où cela lui sera possible. Le fait d'avoir passé outre les recommandations de l'Eglise catholique, d'être allé à ces élections sénatoriales sans l'opposition, et accompagnés de candidats motards, assombrit sérieusement sa victoire. La question se pose donc de savoir si nos gouvernants veulent vraiment de la démocratie dans ce pays.
Le spectacle auquel on assiste, montre bien que c'est à contrecœur qu'on avait accepté un parlement multicolore en 2002. Le code électoral de l'époque, avait fait les beaux jours de la démocratie. Un bond qualitatif, qui aura été suivi de nombreuses chutes, comme c'est le cas présentement ! Sans conteste et sans surprise, au sein du nouveau parlement bicaméral, lorsque viendra l'heure de décider du sort du peuple burkinabè, tous ceux de la mouvance présidentielle, iront dans le même sens.
C'est peu dire d'avancer que, jusque-là, le pouvoir de la IVe République a obtenu tout ce qu'il voulait, en se servant des institutions
Aucun doute à ce sujet. Il n'est donc ni vrai, ni juste, de soutenir aujourd'hui que ce Sénat monocolore qu'on s'apprête à nous imposer, apportera quelque chose de plus à la démocratie burkinabè.
C'est peu dire d'avancer que, jusque-là, le pouvoir de la IVe République a obtenu tout ce qu'il voulait, en se servant des institutions. Cette fois encore, il parviendra sûrement à ses fins, même s'il doit passer par le vote des « bêtes sauvages » (le référendum).
La démocratie burkinabè ne sort nullement gagnante de l'opération. Plutôt que de grandir avec les expériences qui jalonnent son parcours, elle se meurt à petit feu parce que les acteurs chargés de l'alimenter et de l'entretenir, ne semblent point en faire leur préoccupation. Les intérêts personnels ont trop pris le dessus sur l'intérêt général. Pour un grand nombre d'acteurs politiques arrivant dans le système, il faut en profiter au plus vite.
Par ailleurs, la vie chère montre que les décisions politiques ont peu d'emprise sur le quotidien du peuple qui exprime, jour après jour, sa frustration. L'incivisme et l'intolérance qui se développent à un rythme inquiétant sont aussi révélateurs de la déception qui gagne du terrain, et des rancœurs qui se multiplient.
Après les élections sénatoriales, une introspection s'impose au niveau des acteurs politiques de la majorité présidentielle. Egalement, des leçons devront être tirées par les partis de la mouvance, et tous ces candidats motards qui se sont illustrés lors du scrutin. Il faut agir vite, savoir anticiper, car le peuple burkinabè a de plus en plus le sommeil léger, comme certains événements l'ont montré par le passé. La victoire du CDP à ces premières élections sénatoriales de l'histoire du Burkina Faso, ne doit pas amener le pouvoir à se voiler la face. En tous les cas, contrairement aux assertions du régime, en aucun cas un Sénat monocolore ne peut contribuer à renforcer une démocratie.
« Le Pays »