Tripatouillage article 37 : Course folle vers le précipice

| 28.10.2014
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Tripatouillage article 37 : Course folle vers le précipice
© DR / Autre Presse
Tripatouillage article 37 : Course folle vers le précipice
Une fois de plus, le président Blaise Compaoré se sera exprimé dans un organe de presse international sur une situation pourtant bien nationale. Quand ce n'est pas dans Jeune Afrique, à la VOA, sur RFI ou sur France 24, c'est sur la BBC ou sur Africa n°1 comme ce fut le cas ce samedi 25 octobre. Ça fait certes mauvais genre, mais la bataille se jouant aussi à l'extérieur, Blaise et ses communicants savent sans doute pourquoi ils choisissent ces canaux et il faut leur reconnaître au moins cette liberté de parler à qui ils veulent, quand ils le veulent et où ils le veulent.

La presse nationale se fait du reste un devoir de rapporter les propos extra muros du Grand Sachem, qui donne cependant l'impression de snober les médias burkinabè, lesquels, qui, dans leur grande majorité, ne le ménagent pas il est vrai mais rien ne l'empêche de s'adresser à ses compatriotes par le truchement d'une interview dans les médias de service public (RTB et Sidwaya notamment).

Samedi donc, le chef de l'Etat burkinabè se sera échiné une fois de plus à défendre l'indéfendable, la nécessité d'une nouvelle modification de l'article 37 pour permettre à celui qui a déjà passé 27 longues années à la tête du pays de continuer de régner. On ne sait pas qui lui a soufflé cette réponse, mais pour «notre Naymar», ne riez pas, «aller à l'école du référendum, c'est prévenir peut-être des crises plus fortes».

Voici un beau sujet pour étudiants de Sciences-Po. Et notre docteur honoris causa de Kosyam d'ajouter, la main sur le cœur : «Je ne le fais pas pour moi, mais pour mon pays, mon peuple, surtout pour éclairer l'avenir de mon pays».

Sacré Blaise ! Monsieur le président, soyons sérieux ! Comment voulez-vous nous convaincre que votre référendum, c'est pour conjurer une crise alors que c'est cela même qui est la source du problème ? Comment pouvez-vous, sans ciller, soutenir que ce n'est pas pour vous-même que vous entreprenez ce nouveau tripatouillage après celui de janvier 1997 alors que vous en êtes le seul bénéficiaire ?

Parce que vous avez encore des chantiers à terminer ; parce qu'aucun homme politique du cru ne vous arrive à la cheville ; parce que vous constituez un pion important de la stabilité d'une sous-région que vous avez pourtant contribué à mettre sens dessus-dessous...

On le voit, ces arguments sont tous aussi frêles et contestables les uns que les autres. La vérité est que le pouvoir est une drogue dure et plus on en est accro à l'image du Blaisot national, plus on éprouve quelque difficulté à s'imposer l'indispensable cure de désintoxication en quittant les affaires. C'est ce qu'on appelle le syndrome d'hubris. Au risque de plonger le pays dans le chaos.

Car petit à petit, les ingrédients d'une déflagration sociale sont en train de se rassembler au Burkina. Depuis l'officialisation du tripatouillage constitutionnel le mardi 21 octobre de l'an de disgrâce 2014, il ne se passe en effet plus un jour sans qu'on n'enregistre des manifestations éparses contre les velléités monarchiques du président Blaise Compaoré.

Jusque- là, les départs de feu isolés ont été contenus, mais Dieu seul sait ce que nous réserve cette semaine décisive de désobéissance civile au cours de laquelle manifestations sociales et politiques s'entremêleront dans un cocktail qui pourrait s'avérer explosif :

  • mardi 28 octobre, mouvement de protestation national contre la révision constitutionnelle ;
  • mercredi 29, grève des centrales syndicales à cause de la situation de l'enseignement au Burkina ;
  • jeudi 30, vote à l'Assemblée pour sauter le verrou limitatif du nombre de mandats présidentiels ;

En fait les deux camps, qui se toisent en chiens de faïence, se préparent à l'affrontement, que les prophètes de malheur jugent inévitable. Ceux qui prétendent le connaître soutiennent que l'enfant terrible de Ziniaré ne mérite autant ce sobriquet que dans l'adversité et le disent prêt à en découdre, surtout que depuis un certain temps, il caresse les forces de défense et de sécurité dans le sens du poil, pour ne pas dire de la tenue, quitte à tomber dans des contradictions salariales et indemnitaires paradoxales. Et du nouveau matériel de maintien et de restauration de l'ordre (d'aucuns diront de répression) est là qui ne demande qu'à être utilisé.

Pour autant les gardiens du temple auraient tort de croire qu'ils maîtrisent la situation, dans la mesure où il y a toujours ce facteur d'incertitude qui peut être déterminant. Tant qu'il s'agit en effet de mouvements sporadiques, c'est encore gérable, mais si les manifs devaient devenir régulières, gagner en ampleur et virer à la violence, personne, pas même le grand manitou de Kosyam, ne sait où cela peut nous conduire.

On ne suspectera pas Zéphirin, Roch, Me Sankara et autres de cacher des gourdins dans leur 4X4 et d'appeler au vandalisme, mais peuvent-ils seulement contrôler leurs bataillons, sans oublier les possibles infiltrations ou les bandits qui trouveront là occasion propice à leurs méfaits ? Ça peut donc très vite dégénérer et obliger le premier magistrat burkinabè à se salir les mains en tombant dans une répression aveugle.

Or il suffit qu'une mare de sang matérialise la ligne de front entre les deux camps pour que l'engrenage devienne inextricable. «La patrie des hommes intègres» ayant jusque-là échappé aux crises politiques ou de société qui ont secoué bon nombre de pays africains, en l'occurrence de la sous-région, faut-il donc, sans jouer les Cassandre, que s'accomplisse la prophétie funeste selon laquelle «la finale se jouera au Burkina» ? On touche du bois, mais pourquoi faut-il que nous tentions le diable à cause d'une incontrôlable boulimie du pouvoir ?

En tout état de cause, nonobstant les propos va-t-en guerre et irresponsables de certains responsables politiques, on ne peut que lancer un appel à la retenue en reprenant à notre compte les consignes du «Balai citoyen» (1) et souhaiter que le débat reste dans la civilité républicaine. Quelles que puissent être les positions qu'ils défendent, les hommes politiques, notamment les députés qui n'ont pas un mandat impératif, ne doivent pas faire l'objet de voies de fait ou de violence quelconque.

Car si ça devait «cailler», tout le monde y perdrait à coup sûr. Notre sagesse africaine inépuisable nous l'enseigne bien, quand deux personnes se disputent une calebasse, il y a de fortes chances que chacune se retrouve avec un morceau forcément inutilisable. A bons pro et antiréférendum...

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