Oui ! Où va le pays depuis les manifestations violentes des 30 et 31 octobre derniers qui ont bouleversé le landerneau politique national ? Vers un chamboulement néo- révolutionnaire de l'Etat où les pulsions des vainqueurs à la Pyrrhus du régime Compaoré prendront leur quartier contre l'esprit de grande tolérance et des libertés démocratiques ouvertes qui ont caractérisé la IVe République ? Vers un véritable sursaut national où le pays réconcilié avec lui-même va fonder une Ve République forte des leçons tirées des précédentes ? C'est en tout cas l'objectif affiché de la Charte de la transition qui, en se proclamant complément de la constitution de la IVe république, indique que le Burkina refuse le fait accompli d'un régime d'exception militaire née de cette nouvelle irruption de la soldatesque dans l'arène politique, le 31 octobre dernier. Avec cette charte de la transition adossée à la Constitution, les apparences d'une transition démocratique et civile sont sauves mais dans la réalité, on voit des dévots de l'armée nommés aux postes-clé du pouvoir pour au moins un an.
Attention aux reformes à la va vite !
Mais le président Michel KAFANDO et son premier ministre, Y. Isaac ZIDA, ont-ils intégré dans leur agenda, qu'ils sont des autorités d'une transition qui court sur tout au plus un an ?
Certaines de leurs intentions nous donnent d'en douter ! De fait, alors qu'on s'attendait à ce qu'elles s'attaquent prioritairement à la question centrale de la préparation des élections, les nouvelles autorités voudraient engager des reformes importantes comme celle de la justice, de l'armée et de l'administration publique. Elles voudraient laisser des chantiers inachevés à leurs successeurs en fin 2015, qu'elles ne s'y prendraient pas autrement car à l'évidence, 12 mois ne suffisent pas pour mener à bien de telles reformes. Vouloir le faire, c'est engager une course contre la montre avec des risques de dérapages certains. Mais on comprend ce volontarisme des vainqueurs mués illico presto en réformateurs. Non seulement la charte de la transition leur en donne le droit (article 17), mais surtout l'envie de croquer les gros poissons de l'ancienne majorité leur pend au nez. Ils veulent montrer tout de suite que plus rien ne sera comme avant quitte à confondre vitesse et précipitation. Leur volonté de «déblaisetisation» du Burkina est à l'aune de leur désir de paraître en parangon de vertus, redresseurs de torts, défenseurs de la veuve et de l'orphelin. C'est pourquoi, cédant aux sirènes du populisme, le président et le premier ministre n'ont pas attendu que la commission chargée de la réconciliation nationale et des reformes se mette en place, pour annoncer des mesures «révolutionnaires» dont l'expertise de la tombe de Thomas SANKARA, «le solde des comptes» avec l'ancien régime, la sanctification sans enquêtes de nouveaux héros nationaux dont certains ne sont en réalité que de vulgaires pilleurs de biens publics et privés, morts accidentellement.
Ce qu'ils oublient, ces nouveaux Zorro, fiers chevaliers redresseurs de tort, c'est qu'une précédente révolution est passée par là. Celle du 04 Août 1983. Elle s'était montrée plus radicale, éventrant les lois et les procédures judicaires dans sa course folle et inique à nettoyer les écuries d'Augias de «l'Etat réactionnaire» pour lui supplanter le jardin d'Eden de «l'Etat révolutionnaire.» On sait ce qui est advenu des droits de l'homme et des libertés démocratiques sous un tel régime où la politique dans le prétoire était érigée en principe juridique. Ainsi, les prévenus devaient faire la preuve de leur innocence alors qu'en règle de droit, c'est connu, c'est plutôt à l'accusation d'apporter la preuve de la culpabilité du prévenu. En inversant ainsi les choses, et avec la bonne intention d'assainir l'administration publique, beaucoup d'innocents furent humiliés et jetés en prison.
«Chat échaudé craint l'eau froide» affirme le dicton. Dans la situation qui nous intéresse, les démocrates républicains, instruits des travers de l'Etat révolutionnaire d'il y a 30 ans, craignent les dérives du pouvoir insurrectionnel d'il y a 30 jours. Michel KAFANDO, Y. Isaac ZIDA, dans leur volontarisme de Zorro, vont-ils nous refaire le coup des tribunaux populaires de la révolution à la sauce de la transition ? Il faut craindre que oui. En effet, en affirmant dans son dernier grand entretien avec la presse qu'il allait introduire la loi sur le délit d'apparence, c'est-à-dire que tout Burkinabè qui semblera posséder plus de biens que ne lui permet son salaire, devra apporter aux tribunaux la preuve qu'ils sont bien acquis, Y. Isaac ZIDA voudrait remplacer le principe de la présomption d'innocence, cher aux juristes, par la présomption de culpabilité propice au règlement de compte, à la chasse aux sorcières. D'ores et déjà la mise en épingle des dossiers sensibles comme celui de Thomas SANKARA, de Norbert ZONGO, ne rassure pas. A l'évidence, les nouvelles autorités veulent frapper l'opinion publique. Encore ce besoin de plaire et tout de suite. Pour cela, si elles doivent sacrifier des boucs émissaires sur l'autel de la justice expéditive, elles n'y manqueront pas.
Quid de la réconciliation nationale ?
S'adressant à la diaspora burkinabè du Sénégal, le 28 novembre dernier, lors de sa première mission à l'extérieur, Michel KAFANDO avait défini le programme de la transition en cinq points : La justice sociale, la lutte contre l'impunité, les actions en faveur des jeunes, la réconciliation nationale, l'organisation d'élections libres et transparentes. Un beau programme dans les intentions, réduit pour l'instant à la célébration des morts. Pour le reste notamment la réconciliation nationale, on attend les premiers gestes forts. C'est un fait que le débat sur la révision ou non de l'article 37 de la Constitution, avait cristallisé les passions et divisé profondément les Burkinabè. Les manifestations violentes des 30 et 31 octobre dernier n'ont rien arrangé. Au contraire, les destructions de biens privés avec un ciblage sur ceux de citoyens, de personnalités, d'opérateurs économiques plus ou moins proches de l'ancienne majorité, a aggravé la fracture sociale. Un tel déchaînement orienté des violences sur des cibles préétablis, leur enlève tout caractère spontané. «L'insurrection populaire» tant vanté sur tous les toits a été plutôt véritablement un complot ourdi par l'opposition qui s'est appuyée, selon des informations recoupées, sur les anciens éléments des forces de défense et de sécurité licenciés après les mutineries de 2011 mais aussi sur les marginaux et autres désœuvrés de nos centres urbains, pour orchestrer les saccages constatés ici et là.
A l'appui de la thèse du complot, il est avéré que des messages ont circulé sur les réseaux sociaux et les téléphones portables, entre le 28 et le 30 octobre, appelant à la destruction des biens de certains citoyens proches de l'ancien régime. La suite on la connait. De mémoire de journaliste, jamais violence politique n'aura été aussi haineuse, destructrice et manichéiste dans un schéma réducteur du Bien et du Mal ; le camp des insurgés ou plutôt des vandales étant celui du Bien et le camp des victimes des casses, celui du Mal. Comment faire pour ne pas continuer d'alimenter cette vision manichéiste de la société burkinabè afin d'aboutir à une réconciliation nationale sincère ? En attendant les travaux de la commission réconciliation et reformes, le moins que l'on puisse dire c'est que les autorités de la transition sont peu diserts sur le sujet. Au contraire, en continuant dans la stigmatisation de l'ancienne majorité dans un populisme de bon aloi, elles préparent les esprits à une chasse aux sorcières qui va ramener le pays 30 ans en arrière. On attend de voir !
Karim YONABA