Le Quotidien : Quelles sont les actions que vous avez entreprises pour satisfaire votre population, depuis votre accession à la tête de la commune rurale de Ouéléni ?
Lona Charles Ouattara : A travers la décentralisation, les compétences ont été transférées aux communes, mais sans un accompagnement, c'est-à-dire sans moyens y afférant. La responsabilité du maire dans cette situation consiste donc à aller chercher aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, des partenaires susceptibles d'aider au développement de la commune. Ainsi, je suis arrivé à retourner dans mon ancienne ville Autun en France, où j'ai proposé au maire de m'accompagner chez moi dans ma commune. Ce maire a accepté et nous avons mis en place une coopération de jumelage. D'ailleurs, le 6 décembre prochain, il doit arriver au Burkina pour la signature des conventions nécessaires. La deuxième action que je peux citer entre dans le cadre de la coopération sud-sud, c'est-à-dire inter- Etat. Ma commune étant à la frontière avec le Mali et la Côte-d'Ivoire, nous nous sommes mis d'accord avec les autorités maliennes pour trouver un partenaire commun en vue d'aménager l'ensemble des grandes plaines irrigables, de construire un barrage à Kobada, dans mon propre village, et de tracer une route entre Loloni au Mali et le chef-lieu de ma commune qui est Ouéléni. Justement le 6 novembre dernier, je devais être au Mali pour cette réunion. Cette union, il faut le souligner, est parrainée par la Coopération Suisse qui entend nous accompagner dans la construction du barrage de Kobada et de l'ouverture de la route entre Loulouni et Ouéléni. En plus de cela, nous avons en vue, l'aménagement de la grande plaine à l'école de Loulouni. Voilà les actions que j'ai mises en place, pour l'instant, sur deux années.
En temps que député-maire, est-ce qu'il n'est pas assez difficile pour vous d'être en même temps à Ouagadougou et à Ouéléni pour gérer votre commune ?
C'est un peu compliqué, mais j'arrive à le faire. Ouagadougou, c'est le parlement. A l'Assemblée, c'est le travail des commissions et ensuite des plénières. Cet emploi de temps, n'est pas très serré et nous permet de temps en temps, d'avoir une semaine de vacances. Ce qui me permet de retourner travailler dans ma commune. Je pense que on n'est pas fainéant, regardant sur la distance, cela ne pose pas de problème. Il est vrai que j'ai en charge la commune la plus éloignée de Ouagadougou, parce qu'elle est à environ 600 km, mais cela fonctionne bien. Egalement quand on est responsable, il faut savoir déléguer ses responsabilités à ceux qui vous suivent. Cela permet aux 2 adjoints au maire de se mettre en scelle, et d'acquérir beaucoup d'expérience. Aussi pécuniairement, moins je touche aux frais de mission, mieux c'est, pour mes adjoints.
Comment avez-vous vécu les évènements du 30 et 31 octobre qui ont conduit à la démission du président du Faso, Blaise Compaoré ?
Mais je suis un acteur du mouvement, donc j'étais à plein pied dans ces évènements. Lorsque j'ai fini ma carrière professionnelle aux Nations Unies, j'ai décidé de revenir jouer mon rôle dans le développement de mon pays. Au regard de la manière dont notre armée et le pays tout entier étaient dirigés, j'étais à la recherche d'un parti, qui milite pour le changement, notamment pour le départ du capitaine Blaise Compaoré du pouvoir. Je me suis donc engagé à l'Union pour le progrès et le changement (UPC). Ayant pris cette option, je me suis retrouvé aux avant-postes avec ce parti. A l'Assemblée nationale, nous 28 députés de l'opposition, étions déjà contre la mise en place du Sénat, contre le CCRP et la modification de l'article 37. Nous avons sensibilisé la population jusqu'à cette date du 30 octobre 2014. Ce jour là, nous, députés de l'opposition, étions les premiers à arriver dans la salle.De peur d'être empêché d'avoir accès à l'hémicycle, nous sommes arrivés un peu plus tôt vers 9 h 30. Car, si nous étions empêchés, ceux de la majorité allaient avoir la part belle. Certains de mes camarades étaient repartis dans le bâtiment administratif par derrière en attendant 10h. Quelques un des députés du CDP étaient avec nous, les autres étaient sûrement dans leur bureau. Pendant que je discutais avec un autre député, soudain, nous avons entendu des tirs à l'extérieur. Lorsque nous nous sommes présentés sur la devanture de l'Assemblée nationale en quittant l'hémicycle, nous avons aperçu une jeep militaire qui détalait à toute allure. Puis, tout est allé très vite et la foule a envahi les lieux. Nous avons voulu chercher à savoir ce qui s'est passé le 30 octobre, mais l'ampleur a dépassé nos espérances parce que pour nous, il s'agissait seulement d'empêcher la loi d'être voté. Nous étions convaincus que la loi ne passerait pas, au la main, comme le voulait la majorité, nous étions persuadés qu'ils n'auraient pas les 96 députés. Bien avant le jour du vote, quelques députés en leur sein nous ont approchés individuellement pour dire de ne pas nous en faire, car ils allaient voter avec nous. Certains du CDP le disaient haut et fort devant leurs camarades. Nous avions seulement besoin de 4 députés pour que la loi ne passe pas. Ce que nous n'avions pas espéré, c'est que la jeunesse viendrait à notre secours de cette manière. Quand les gens parlent de miracle, je ne crois pas souvent, mais cette fois-ci j'ai cru à un miracle.
Un civil pouvait-il s'auto-proclamer chef de l'Etat après la démission de l'ex-président, Blaise Compaoré ?
Je le crois, si l'évènement ne nous avait pas dépassés. Nous avons appris une leçon des évènements passés. Nous aurions dû penser à avoir un plan B et penser qu'il y aurait peut-être un soulèvement populaire. Je suis de ceux qui défendaient que nous ayons un gouvernement de l'ombre comme cela se fait chez les anglo-saxons, c'est-à-dire, que l'opposition ait son gouvernement. Si nous avions préparé ce genre de scénario, automatiquement le 30, nous aurions pu présenter cette liste à la communauté. L'armée pour moi est apolitique et ne doit en aucune façon s'ingérer dans la politique intérieur d'un pays. Le rôle de l'armée, c'est la défense de l'intégrité territoriale, de l'indépendance de l'Etat et de ses institutions démocratiques. Si notre armée est républicaine, je ne vois pas pourquoi elle n'aurait pas accompagné un civil si celui-ci s'était auto-proclamé président de la transition.
Que pensez-vous de la gestion du pays par le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida ?
Pour l'instant je ne vois aucune critique possible à émettre. Sa façon de gérer n'a pas encore démontré quelques choses de négatif ou de particulièrement positif.
Pensez-vous qu'il remettra le pouvoir aux civils ?
Le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida est un officier et un officier à une parole. Un officier qui, pour ma part, doit connaitre qu'il appartient à une armée républicaine. Si c'est le cas, je pense qu'il devrait céder le pourvoir aux civils. Puisqu'il promet tous les jours qu'il va le faire, on le prend à ses paroles. Je ne suis pas le ciel pour savoir ce qu'il a derrière ses pensées, mais je l'encourage à remettre le pouvoir. Comme je le disais, tous les textes normatifs, que ce soit ceux internationaux ou nationaux, proscrivent le pouvoir par les armes, c'est-à dire les coups d'Etat ou les moyens anticonstitutionnels. Par exemple, le code de conduite des forces armées et de la sécurité du Centre régional des Nations Unies pour la paix et la sécurité en Afrique indique 3 principes très clairs. Le premier, a trait à l'accroissement de la supervision du pouvoir démocratique, c'est-à-dire le pouvoir civil sur les forces armées et la sécurité. Le deuxième principe édicté, c'est la clarification des missions, des devoirs et des obligations de l'armée. Le troisième quant à lui, donne un contenu objectif sur le type de sanctions que les organisations internationales comme l'Union africaine et la CEDEAO, peuvent être amenées à prendre en excluant toute idée de prise de pouvoir par des moyens anticonstitutionnels par l'armée. De ce code de conduite des armées, il en découle 8 caractéristiques que sont premièrement le contrôle civil, c'est-à-dire le contrôle démocratique des autorités régulièrement établies sur les forces armées et les forces de sécurité. La deuxième, c'est la convergence constitutionnelle qui implique la mise en place des institutions parlementaires et judiciaires démocratiques, d'une société civile forte, des médias très indépendants, de manière à pouvoir contrôler le comportement des forces armées. Le 3e point, c'est l'expertise civile. Il est recommandé que l'on ait une expertise accrue du civil sur les missions de l'armée. Evidemment, tout cela est modéré par le professionnalisme des militaires eux-mêmes. En 4e position vient, ce que nous avons appelé, « la non ingérence dans les affaires intérieures politiques ». Ce qui signifie que l'armée ne doit en aucun cas, s'ingérer dans les affaires politiques. La 5e caractéristique, c'est la neutralité idéologique. Un militaire est apolitique. Il ne peut pas brandir une idéologie. Ce qui a tué notre armée, c'est l'idéologie marxiste-léniniste qui a été introduite en 1983 par Thomas Sankara et Blaise Compaoré. Parce que cela les arrangeaient.
Puis vient la 6e caractéristique qui est le contrôle minimal sur l'économie. Cela pour dire que l'armée ne doit pas contrôler l'économie. Elle n'a rien à voir dans l'économie malgré le fait qu'elle peut par subsidiarité combler certaines lacunes du pouvoir civil en mettant à la disposition du pays, l'expertise de son génie militaire, pour construire des ponts, pour construire des routes, pour construire des maisons, etc.
Le 7e point est relatif à l'armée de l'air à laquelle j'appartiens et qui participe de la mobilité dans le pays en organisant des vols. Enfin le 8e point qui concerne les transmissions, la télécommunication, la radio et la télévision. L'armée peut, parfaitement, avec ses ingénieurs en télécommunications, participer à ce niveau.
Depuis la démission du chef de l'Etat, on a du mal à mettre en place un organe de transition. A votre avis, qu'est-ce qui bloque les choses ?
Je pense que c'est dû au fait qu'il y a une multitude de partenaires. C'est-à-dire déjà au sein du CFOP, il n'y a pas mal de partis politiques et avec des points de vue différents. Ce sont des choses qui n'avaient pas été travaillées avant. C'est un effet de surprise qui nous a tous pris de court. Ce qui amène les acteurs à travailler un peu dans l'urgence, avec beaucoup de difficultés pour réfléchir sur des dossiers précis. En plus du CFOP, il y a la société civile de son côté, cette ancienne majorité et les militaires qui ne sont pas clairs sur leur position. J'ai l'impression que les militaires qui sont au devant de la scène aujourd'hui, sont amnésiques sur les textes que je viens de définir sur le rôle de l'armée. Le statut du personnel des forces armées que j'ai en main, proscrit formellement en ses articles 5 et 6 qu'un militaire puisse briguer un mandat électif. S'il devait le faire, il fallait d'abord qu'il se mette à la retraite ou qu'il faut prendre une disponibilité. Cela n'est pas respecté dans notre pays car nous étions à l'Assemblée nationale avec des députés militaires. C'est une forfaiture, c'est même du vol. Donc, si nos militaires, qui sont maintenant au devant de la scène ont l'esprit sur ces textes, ils devraient comprendre que leur rôle, c'est de sauver la Nation au moment où elle est en péril. Lorsqu'il y a des troubles, il faut s'assurer que cela ne dégénère pas. L'armée doit accompagner le mouvement mais ne pas s'en accaparer. Au regard des textes nationaux et internationaux, je pense que cette armée, si elle est Républicaine, devrait tranquillement retourner dans les casernes et accompagner au plan sécuritaire la transition.
Etes-vous d'avis que l'ex-majorité doit participer au processus de transition ?
Dans l'ex-majorité, tous n'étaient pas mauvais. La preuve en est que, à quelques jours du vote de la loi, nous avons reçu l'appui de certains députés de l'ADF-RDA qui allaient voter contre la mise en application de cette loi.En plus d'eux,des députés du CDP nous ont également approchés. Nous étions certains que la loi ne nous tuerait pas debout. Cela dit, est-ce bon de considérer que tous les députés de la majorité étaient mauvais ? Je ne crois pas. Il ne serait pas bon de tous les écarter comme cela.
Que pensez-vous de l'intervention de la communauté internationale à ce stade de la crise ?
Je vous ai cité les textes normatifs de la communauté internationale. L'UA a des principes, c'est le contrôle des forces armées. Mais il y a un coup d'Etat, vous ne pouvez pas dire qu'il n'y en a pas ? D'abord, la manière dont cela s'est passé. D'abord, c'est le chef d'Etat-major général des armées qui proclame qu'il est le chef de l'Etat. Quelque temps après, c'est un lieutenant-colonel qui est dans la hiérarchie militaire, très loin d'un général de division, qui s'insurge en président du Faso. Alors, vous comprendrez que si la chaine de commandement était respectée pour une armée qui se respecte, pour une armée qui est organisée, qui a de la discipline, ce genre de situation ne se serait pas présentés. C'est dans l'intérêt de tous que l'armée soit bien hiérarchisée. Si quelqu'un peut venir comme cela, quel que soit le corps auquel il appartient, prendre le pouvoir alors qu'il y a des généraux qui ont des responsabilités suprêmes, vous conviendrez avec moi, même si vous êtes profanes de l'art militaire, que quelque chose devrait choquer. De ce point de vue, je trouve qu'il y a beaucoup de problèmes dans notre armée. Je l'ai toujours dit et je l'ai même écrit dans l'Observateur Paalga en 2012 et je l'avais intitulé « De la nécessité de reformer l'armée burkinabè ». Je l'ai dit au moment où je n'étais pas encore député. Ensuite, à l'Assemblée nationale, la plupart de mes questions au gouvernement portait sur ce point. Alors, donc je m'attends à une armée républicaine, bien commandée. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Lorsque vous dites au ministre de la Sécurité que l'armée est inefficace, il vous dira le contraire puisque, selon lui, les troupes participent à des missions au Mali. Ce n'est pas parce que les gens vont en mission qu'on est opérationnel. On a bien des troupes comme celles tchadiennes qui ont démontré leur efficacité. Une partie de notre contingent que nous avons envoyé là-bas a été déployé par la route. Ce n'est pas militaire et ce n'est pas stratégique. Ce n'est pas tactique parce que sur 1500 kilomètres, l'ennemi peut tendre une embuscade et arrêter les gars avant qu'ils n'arrivent là-bas. Cela veut dire que c'est une armée qui manque de logistiques. On n'est pas capable d'aéroporter des unités de chez nous sur un théâtre d'opération à un millier de kilomètres. On n'en a pas les moyens. L'armée de l'air n'a pas les moyens nécessaires pour le faire. Si nous payons les impôts pour équiper cette armée, et du coup, en cas de crise, on demande l'aide des pays comme la France pour venir aéroporter nos troupes pour aller travailler au Mali ? En plus de cela, la Charte des Nations-Unies prescrit sous 90 jours, que le contingent soit autonome. Mais, ce n'était pas le cas.
Si vous aviez quelqu'un à proposer pour cette transition, sur qui porteriez-vous votre choix ?
Je choisirai quelqu'un de très neutre, une personne dont je suis persuadé qu'il n'est pas partisan, qu'il n'a pas de partisans, qu'il n'est pas politique. Un politique, au cours de cette période de transition cherchera à favoriser un camp. Il faut que ce soit quelqu'un qui, au cours de cette transition, n'ait pas un camp à favoriser. Il faudrait quelqu'un de neutre.
Où trouver donc cette personne quand on sait que la majeure partie des acteurs de la société civile sont affiliés à des partis politiques ?
"Honnêtement, pour trouver la personne, il serait bon de se tourner vers les organisations religieuses. Parce qu'elles sont neutres et ont la foi. Ce sont ces gens qui sont au dessus de la mêlée". Elles peuvent faire une transition sans parti pris. Si non, effectivement, un militaire, c'est hors-jeu. Les textes leur interdisent de s'immiscer dans la politique. De plus, notre armée a été mouillée par Blaise Compaoré. Imaginez que cette armée veuille conduire cette transition ! Quel degré de neutralité avons-nous de leur part pour amener à une transition paisible et démocratique surtout, pour permettre des élections apaisée ?
Vous êtes l'un des anciens camarades du président Thomas Sankara, parlez-nous des relations que vous entreteniez avec lui.
Je suis promotionnaire au capitaine Thomas Sankara depuis l'âge de 10 ans. Nous avons commencé la 6e ensemble jusqu'en classe de terminale en 1969. Après le Bac, je suis allé en France et lui à Madagascar. Lorsqu'est survenu le conflit du Burkina avec le Mali (1974-1977), nous avons été rappelés pour aller au front. J'étais dans la région du Soum qui était le point litigieux le plus important parce que les maliens réclamaient la marre de Soum et le Burkina aussi. Thomas Sankara lui, a été envoyé à Thiou, vers Ouahigouya. Nous avons cheminé ensemble. Nous sommes entrés au gouvernement du président Saye-Zerbo ensemble où nous étions d'abord au secrétariat permanent du Comité directeur du CMRPM, moi chargé des programmes, Sankara chargé de l'information. Lorsque le régime s'est aperçu que Sankara était une taupe parce que, à la fois, il était avec nous mais obéissait aux injonctions du Parti africain de l'indépendance (PAI), il a été extrait de l'organe suprême pour en faire un secrétaire d'Etat à l'information, donc ministre. Comme cela, il sortait du cadre pour ne plus pouvoir avoir accès aux informations d'Etat. Nous avons cheminé ensemble jusqu'à ce que Sankara me demande de participer au coup d'Etat du 4 août 1983. Proposition que j'ai déclinée parce que j'étais rentré à l'Ecole nationale de l'aviation civile en France pour des études. Je faisais ingénieur de l'aviation civile à Toulouse quand Sankara m'a demandé de venir pour prendre le secrétariat national des CDR. J'ai décliné le poste. Lorsque j'ai fini mes études et que je suis rentré, on a commencé à me mettre à l'épreuve. D'abord on a commencé par me mettre à l'Etat major général comme numéro 3, j'étais adjoint à Amadou Sawadogo qui a été assassiné. Ensuite ils se sont rendus compte que je n'allais pas me mettre avec eux. Alors ils commençaient à croire que j'étais contre eux. Moi, je n'étais contre personne, mais contre l'idéologie qu'ils véhiculaient. L'armée est apolitique, selon moi et tant que vous ne mettez pas l'armée à sa place, vous aurez toujours affaire à des régimes d'exceptions. L'armée n'a rien à voir sur la scène politique. Pour cela, j'ai refusé. Ils m'ont sorti de là et m'ont envoyé à Boulsa comme chef de projet. Là-bas, j'ai été le premier à finir ma cité, 20 villas, en moins de 4 mois et sans un sou, un million de FCFA pour tout et pour tout. A l'époque, le président Kadhafi les avait bernés, en disant que le ciment viendrait de Tripoli, Rawlings également promettait du bois en échange du bétail. Mais rien de tout cela n'est arrivé. Donc finalement les cités ont été lancées, il y'en a qui sont terminées 10 ans après. Furieux parce que dans leur plans, ils envisageaient inaugurer la cité de 4 Août de Koudougou qui était dirigée par un révolutionnaire, Emile Gouba, haut commissaire de Koudougou. La première cité à finir, devait être inaugurée. Mais comme un non révolutionnaire, un contre révolutionnaire est arrivé à damer le pion aux révolutionnaires. Ils sont rentrés furieux et m'ont suspendu. Suite à cette suspension, le capitaine Blaise Compaoré, en question, me reçoit pour la première fois et me dit, Charles tu vois comment c'est mauvais de politiser l'armée. J'étais surpris. Qui politise l'armée ? Lui était numéro 2 de Sankara. C'est là que j'ai compris que les couteaux étaient déjà tirés entre les 2. Blaise Compaoré, à cette époque, cherchait à récupérer des officiers de son côté. Il me fait lever ma suspension, un mois après, je suis affecté à Ziniaré pour aller développer la ville. Chose que j'ai refusée. C'est à partir de ce moment que j'ai décidé de quitter le pays. Je suis parti aux Nations Unies à Nairobi, au programme des nations unies pour l'environnement. Mon épouse y était parce qu'elle est Kenyane, avec nos 2 enfants. Un an après, j'apprends que je suis accusé au pays d'avoir aidé les maliens à envahir le pays. Pourquoi ? Les maliens dans leur stratégie d'attaque contre notre pays, avaient mis leur forces principales sur le Nord, c'est-à-dire à Ouahigouya. Pour faire de la diversion je crois, ils ont envoyé une colonne par chez moi sur la Route de Koloko. Automatiquement les gens ont dit que parmi eux il y avait des touaregs et qu'ils ont aperçu Lona Charles Ouattara à la tête d'un char. Moi je ne suis pas cavalier mais aviateur.
Comment avez-vous vécu l'assassinat de Thomas Sankara ?
J'ai vécu cela très mal parce qu'un ami n'assassine pas son ami. Et dans l'armée on ne fait pas cela. Pour moi, ce n'était déjà pas une attitude militaire, le fait d'assassiner un confrère, un ami, entre griffes, parce qu'il n'était pas ami à Blaise Compaoré. Je sais comment ils se sont rencontrés, moi j'étais avec lui depuis tout petit. Sankara était mon promotionnaire d'école. Au Burkina, il n'y a pas eu un seul homme qui connait Sankara autant que moi. On parle de Blaise Compaoré, ami de Sankara. Mais Blaise Compaoré, je ne l'ai connu qu'en 1978, à peu près à la même période où Sankara l'a connu. Sankara l'a connu lorsqu'il a été envoyé à Pô comme le 3eme numéro 2 de Sankara. Si vous voulez, leur amitié s'est formée sur la base de « subalterne à supérieur »
Qu'avez-vous à dire à vos anciens frères d'armes ?
Je demande à mes anciens condisciples des casernes de chercher à se reconstruire, de chercher à consolider une hiérarchie efficace à travers un commandement unifié, surtout à comprendre que le fait d'avoir le gros de l'armée d'une part, le RSP d'autre part, n'est pas un facteur de cohésion. Ce n'est pas un facteur qui permet une véritable gestion démocratique de nos forces armées. Ce qui veut dire qu'il faudra qu'elle se prépare, dans les esprits, à accepter une restructuration des forces armées, laquelle passe forcement par l'intégration du RSP sous le commandement d'un même chef d'Etat-major des armées.
Par T. Ladji. TRAORE et P. A. Clémence ZINABA