Situation politique nationale : La foire des pêcheurs en eau trouble

| 08.05.2015
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Situation politique nationale : La foire des pêcheurs en eau trouble
© DR / Autre Presse
Situation politique nationale : La foire des pêcheurs en eau trouble
Si l'on peut se réjouir du déroulement sans couacs ni gban-gban de la transition politique au Faso, il n'y a pas moins raison de s'inquiéter des velléités revanchardes, voire belliqueuses, de ces anciens dignitaires qui refusent d'assumer leur passé. Et pourtant...


Il n'y a pas si longtemps, c'est-à-dire jusqu'en octobre passé, ce sont les mêmes qui ne voulaient personne d'autre que le Blaiso national au palais de Kosyam. Pour ce faire, ils étaient prêts à tout, y compris «vendre du sable» pour que leur champion reste scotché à son poste, quitte à charcuter la Constitution du Burkina pour la tailler à sa mesure. Mais lorsque, dans un sursaut populaire et patriotique, les insurgés de fin octobre ont mis un terme à la patrimonialisation du pouvoir, les mêmes n'ont eu ni honte ni remords à se remettre dans le jeu politique. Habitués qu'ils sont à faire feu de tout bois, ils s'accrochent désespérément à l'idée d'inclusion si cardinale à la charte de la Transition, mais qui ne devrait pas être la porte ouverte à toutes sortes de compromissions.

En effet, l'un des mérites et aussi l'une des forces du processus de transition actuel est d'avoir mis un point d'honneur sur la participation de toutes les forces politiques de la nation. Une ouverture et un courage moral qui supposent d'ailleurs qu'autour du président déchu, il n'y avait pas que de l'ivraie, mais il y avait aussi de la bonne graine. Et qu'à cause des dérives d'un homme imbu de son pouvoir et de son clan, on ne devrait pas jeter l'anathème sur tout un parti politique. C'est enfin une manière lucide et salutaire de reconnaître les acquis engrangés par le régime Compaoré au nom du peuple burkinabè.

Malgré cette hauteur de vue qui permet, incontestablement, de préserver la transition burkinabè des convulsions politico-politiciennes qui ont toujours cours au Mali voisin et en République centrafricaine, il s'en trouve toujours des «chefs de gangs politiciens» pour faire tourner le Faso en rond. Comme des vautours qui ne se satisfont que du malheur des autres animaux, ils semblent marqués par la bassesse. Et sont prêts à mettre le feu aux poudres si on les empêche de se présenter à la prochaine présidentielle pour conserver leurs privilèges.

Et pourtant, il suffit de rester dans leur propre logique pour se rendre compte de la surenchère. Comment des personnalités qui ne juraient que par le Blaiso comme «candidat naturel» se sont subitement retrouvés l'âme de présidentiables? Ne faut-il pas penser qu'ils ne supportaient leur champion que par opportunisme et qu'à la moindre occasion, ils seraient prêts à le poignarder dans le dos?

Notre confrère Jean-Baptiste Placca avait raison de souligner, il y a quelques semaines sur les antennes de Radio France internationale (RFI), que l'adoption du nouveau code électoral -qui a mis cette race d'opportunistes dans tous ses états- «est une disposition contre la lâcheté, contre la couardise. Car le véritable problème, ici, est celui de la difficulté d'une grande partie de l'élite politique africaine à assumer ses erreurs. Elle ne sait pas démissionner quand elle a failli; elle n'a pas la décence de se retirer lorsqu'elle a échoué». Et le chroniqueur de conclure: «Ceux qui ont soutenu, activement ou même par leur silence, le projet de révision constitutionnelle rejeté par la population devraient avoir au moins la décence de se faire un peu discrets.»

La «discrétion», voilà la vertu qui manque le plus à ces anciens barons et leurs hordes d'associations et partis politiques instrumentalisés et prêts à foutre le bordel afin de reprendre du poil de la bête. Quand ils crient au respect de «l'inclusion» prescrite à juste titre par la charte de la Transition, c'est d'abord pour leur permettre de rester dans le jeu, en toute impunité, comme si de rien n'était. Il n'est nullement question pour eux d'assumer une quelconque responsabilité de la situation actuelle. Pour eux, le courage moral n'existe nullement dans leur compréhension, encore moins dans leur pratique de la politique.
Ensuite, ils manquent complètement de décence lorsque, par les mêmes méthodes qu'usait l'ancien parti au pouvoir, ils instrumentalisent des groupes pour crier à «l'exclusion». Dans un contexte de grande tolérance où ils ont allègrement accès aux médias d'Etat -qui étaient leur chasse-gardée il n'y a pas si longtemps-, ils ont beau jeu de prendre «le peuple» à témoin. En réalité, ils croient, comme toujours, que ceux qui les suivent ont tellement la mémoire courte qu'ils ont oublié le service négatif qu'ils ont rendu à la démocratie dans ce pays. C'est trop facile de parler aujourd'hui «d'inclusion» alors que, pendant plus d'un quart de siècle, ce sont les mêmes qui ont semé les germes de la division et de la pensée unique.

Le plus difficile, dans cette foire de pêcheurs en eaux troubles, c'est justement le niveau de discernement des populations par rapport à la multitude de marchands d'illusions qui ont émergé à la faveur de la transition politique. Si ces anciens barons ont pu refaire surface au point de croire qu'ils peuvent à nouveau acheter les consciences pour se faire réélire président, députés et maires, c'est bien parce que les conditions politiques, sociales, économiques et culturelles se prêtent à leur jeu de dupes.

Lorsque la justice se hâte trop lentement pour demander des comptes à plusieurs de ces barons, ils continuent de circuler librement, de se rendre à Abidjan -ou à Yamoussoukro- et reviennent gérer leurs biens mal acquis, ils peuvent se permettre de se croire au pays de l'impunité. C'est aussi aux autorités judiciaires de prendre véritablement leurs responsabilités pour rappeler aux anciens barons la nécessité d'arrêter une tragi-comédie politicienne qui n'a que trop duré.

A. Wédraogo

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