Le printemps arabe qui a fait boule de neige à partir de la Tunisie avec pour élément déclencheur ce que d’aucuns diraient un fait divers dramatique a démontré de la capacité des médias à faire ou défaire une situation en Afrique en ce siècle naissant où les peuples africains assaillis par divers maux endogènes et exogènes aspirent à des changements radicaux dans la gouvernance des détenteurs du pouvoir d’Etat. L’essai réédité avec succès au Burkina Faso a montré comment, pour atteindre leur fin, les 30 et 31 octobre 2014, les opposants à Blaise COMPAORE n’avaient pas hésité à utiliser à fond les médias. Certaines radios étaient devenues, ou presque, les relais officiels des promoteurs de l’insurrection qui y passaient leurs mots d’ordre chaque fois que de besoin. Si bien qu’à la fin des courses, on remarquera qu’ils sont nombreux, les hommes de médias, à être récompensés pour les services rendus par les nouveaux tenants du pouvoir d’Etat. Ainsi, si les plus en verve ont, dès la chute de l’ancien régime, pris d’assaut la direction des institutions d’Etat qu’ils ambitionnaient diriger, certains seront bombardés conseillers de nouvelles autorités de la transition, d’autres vont siéger à la fameuse Commission de réconciliation nationale et des reformes de Monseigneur Paul OUEDRAOGO.
Voici ce qui est de la face visible de l’iceberg du partage des gains de l’insurrection d’octobre affectés aux hommes de médias et Dieu seul sait le reste même si des indices permettent à l’observateur averti de s’en faire une idée, plumes, micros et autres trahissant ceux qui sont aspergés par les nouveaux détenteurs du cordon de la bourse nationale. Mais comme tout deal à relent maffieux ne tarde pas à produire ses effets pervers avec l’exploitation vicieuse que chacune des parties voudrait en faire, la fameuse loi sur la dépénalisation de la presse viendra montrer aux hommes de médias qu’il leur est difficile de faire les mêmes rêves que les hommes politiques même s’ils dormaient sur la même natte. Leurs intérêts sont souvent antagoniques. Si les hommes politiques leur donne quelque chose d’une main, il la retirent de l’autre. Le montant très élevé (5 millions de FCFA) de l’amende qui remplace l’incarcération du journaliste condamné par la justice est vu comme un payement en monnaie de singe de la transition à la presse tout entière.
Les bisbilles entre les deux entités commençaient à prendre de l’ampleur quand le Conseil National pour la Démocratie a fait irruption dans la vie politique nationale. Sans ménagement, des médias ont été visités par les hommes du Régiment de sécurité présidentielle comme pour confirmer et réprimer leur manière ambigüe dans le traitement de l’information. Alors, en réaction, les patrons de médias avaient mis hommes et matériels au repos. Un choix qui a privé, pendant les chauds moments de la crise, les opposants d’hier de leur arme d’octobre 2014. Ce qui va les conduire à se rabattre sur les réseaux sociaux pour répandre tout ce qu’ils avaient à dire. Facebook, twitter, les forums des internautes des journaux sont envahis par toutes sortes de publications. Pourvu que cela ébranle au maximum la conscience du visiteur. Les faits sont fabriqués sinon moussés autant que faire se peut pour choquer. La déontologie et la morale, aux chiottes !
Des exemples dangereux pour le futur
Les Burkinabè peuvent être heureux d’être sortis de cette crise en évitant ce qui aurait constitué un affrontement entre les hommes du Général Gilbert DIENDERE et les factions de l’armée qui étaient descendues à Ouagadougou. Sans doute la détermination des hommes a été cultivée en partie par les fausses images publiées sur les réseaux sociaux. Car dans la folle course à la désinformation, chaque auteur a été « diaboliquement génial » pour reprendre les termes de Fiolock, cet héros de dessins animés. Ainsi par exemple, alors que les ambassadeurs des Etats-Unis et de France étaient à l’hôtel Laïco pour participer aux débats de sortie de crise, il a été publié sur Facebook qu’ils étaient séquestrés par les éléments du RSP. Sur une radio internationale, un auditeur, interrogé par son envoyé spécial, reprenait l’information avec toute l’insistance qui sied pour faire croire à un crime de lèse-majesté. Le but était, on ne peut plus, d’inciter ces grandes puissances à une intervention. Ils ont peut-être réussi parce que certaines sources mettent en cause la France dans la prise de position du reste de l’armée burkinabè dans le sens voulu.
Que dire de cette image du soldat qui loge une balle dans l’œil d’une femme. Tous les recoupements montrent que cette photo a été prise en réalité en Centrafrique lors de la guerre civile qui a secoué ce pays d’Afrique centrale. Si l’on n’est pas véritablement dans l’horreur certains ont opté aller la chercher ailleurs pour atteindre leurs objectifs. C’est vrai que les putschistes du 16 Septembre ont posé des actes répréhensibles sur les populations dans leur désir de contrôler le pays mais la plupart des images vues sur la toile sont venues de loin et même de très loin.
Pour davantage secouer le pays, le président du CNT Chérif SY, dans sa clandestinité, a créé une radio dénommée « radio résistance ». Installée dans les locaux d’une station locale de la capitale, la 108.0 a entretenu le brasier avec des communiqués des plus flambeurs. Alors que les médiateurs de la CEDEAO tentaient de rapprocher les positions, la fameuse radio appelait les populations à paralyser le pays et mettre hors d’état de nuire les membres de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle. Si les 30 et 31 octobre 2014 la bataille a vite tourné à l’avantage des insurgés, pensait-il vraiment que ce serait aussi aisée avec des soldats surexcités et prêts à défendre leur vie car pour eux incontestablement ils n’avaient plus rien à perdre ? Comme le dit l’adage trivial au bord de la Lagune Ebrié, « Cabri mort n’a pas peur de couteau » ; c’était leur cas. Malheureusement, chez les initiateurs et animateurs de cette radio maintenant la flamme de la résistance, la déontologie du métier de journaliste et sa responsabilité sociale ont été simplement ignorées. On se demande comment au nom de divergences politiques, ce noble métier qu’est le JOURNALISME est aussi traîné dans la boue par des professionnels.
Ce coup d’Etat nous aura montré la nocivité de la presse surtout française dans la gestion de l’information dans nos pays africains. Avec la fermeture temporaire des médias locaux, RFI et France 24 étaient devenues les relais des autorités de la transition et autres va-t-en-guerre affectionnant les situations troubles qui les mettent en vedette et leur préparent des lendemains prospères avec les gains qui seront leurs la victoire acquise. Sur ces deux médias friands du sensationnel dans nos pays africains, Chérif SY, Smockey, Hervé OUATTARA, Hervé KAM et autres, qui n’ont jamais manqué de mots durs à leur encontre pour des occurrences où l’information n’est pas traitée selon leur souhait, étaient les invités d’émissions qui duraient des heures. Et même que, RFI avait des envoyés spéciaux suivant les troupes qui venaient des provinces pour déloger les putschistes. La Radio mondiale faisait le compte à rebours de l’ultimatum lancé par les « loyalistes » le 23 septembre. Tous les grands organes de la presse hexagonale avaient des envoyés spéciaux au Burkina avec un traitement, sous l’angle du pire, de l’information. Sinon pourquoi une voix de sagesse comme celle d’Ablassé OUEDRAOGO était presque censurée par les poseurs de questions qui le coupaient systématiquement pour des relances qui n’avaient pour objectif que de minorer ses vues et son analyse de la situation qui s’appuie sur les réalités et les valeurs réelles du pays et de ses hommes ? L’intention malveillante était manifeste pour ces « reporters de guerre » ! En tout cas, cette crise aura révélé une chose : le mensonge, la délation sont des armes de destruction massives à la disposition de certains hommes pour atteindre leurs objectifs. Albert LONDRES, le premier reporter de guerre qui a exercé lors du conflit mondial 1914-1918, doit se retourner dans sa tombe, lui qui a magnifié le journalisme en ces termes : « notre métier n’est pas fait pour plaire, il ne doit pas faire tort non plus, il doit mettre la plume sur la plaie. » Cette profession de foi a perdu toute sa signification pendant cet accès de fièvre aiguë que le pays des hommes intègres a connu et dont l’accalmie ne signifie malheureusement pas que le mal soit guéri..
Frédéric ILBOUDO