La question peut paraître excessive, mais comment ne pas y penser au regard des nouvelles convulsions de l'actualité politique nationale ?
On savait qu'un climat de méfiance régnait entre le Premier ministre, le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, et un clan de ses frères d'armes. Le ton en a été déjà donné le 30 décembre 2014, lorsque des éléments du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) ont convoqué manu militari à leur QG le chef du gouvernement alors en conseil des ministres.
Déférant à l'injonction, le PM y a passé, comme on dit, un sale quart d'heure, les maîtres des lieux l'ayant sommé de revenir sur son projet de réforme dudit régiment, sur un certain nombre de nominations déjà intervenues et de payer les primes de fêtes dont les gratifiait l'ancien président Blaise Compaoré, ces fameuses enveloppes « merci papa ».
Mais à coups de tractations, de médiations et de promesses, l'affaire semblait avoir été circonscrite. Et il en fut ainsi jusqu'à ce que hier, dans la matinée, des nouvelles alarmistes, en provenance de Kosyam, aient fait état de l'annulation du conseil des ministres et de la retraite du chef du gouvernement au palais du Moro où s'est tenue par la suite une réunion de crise avec un groupe de hauts gradés de l'armée et de personnalités de la société civile.
S'agissant de la chose militaire, entourée comme on le sait de la dure loi du secret confinant à la règle de l'omerta, difficile de connaître avec exactitude les tenants et les aboutissants de ce nouveau clash.
Mais selon des sources concordantes, tout serait parti de la réticence du lieutenant-colonel Zida et d'officiers du RSP qui lui sont fidèles à tenir les engagements pris lors de la première poussée de fièvre kaki en fin décembre dernier. Si les gratifications de fin d'année ont été, elles, versées, la question de la nomination de certains chefs militaires et celle, à terme, de la réorganisation de la garde prétorienne diviseraient toujours.
A la colère des hommes du corps d'élite s'ajouterait le mécontentement de toute la hiérarchie militaire face aux agissements de ses représentants au sein du gouvernement de transition, dont le départ est désormais exigé. Sans quoi, la grande muette leur retirerait sa confiance, dit-on, des mêmes sources.
S'achemine-t-on alors vers la nomination d'un PM civil à la tête d'une équipe de civils ? Trop tôt pour l'affirmer. Toujours est-il qu'au moment où nous bouclions la présente, le président intérimaire, Michel Kafando, chef suprême des armées, était encore en concertation avec la haute hiérarchie militaire sur le sujet.
Mais quels qu'en soient les résultats, ce nouveau couac aura mis à rude épreuve une Transition que la présence militaire était censée stabiliser et sécuriser mais qui, à l'analyse, semble poser plus de problèmes qu'elle n'en résout.
L'exemple du Burkina cité maintenant partout comme un cas d'école en matière de transition risque-t-il ainsi de voler en éclats face à des querelles de commandement au sein d'une simple unité de l'armée nationale, soit-elle d'élite ? Il est vrai que jusque-là, selon les mêmes sources, l'autorité du chef de l'Etat n'a été nullement remise en question.
Il ne faut quand même pas qu'une poignée de galonnés et quelques centaines de soldats dans une armée qui en compte 20 fois plus viennent troubler cette marche triomphale que notre pays avait amorcée vers le retour à une vie constitutionnelle normale !
En pareille circonstance, on ne peut s'empêcher de poser la question qui fâchera : y a-t-il des militaires et des hommes politiques, ici ou ailleurs, tapis dans l'ombre, qui tireraient les ficelles ?
Loin de nous l'idée de défendre mordicus le PM dont la conduite des affaires souffre d'un certain nombre d'incohérences, d'improvisations, de précipitations et même de favoritisme selon certains. D'aucuns le suspectent par ailleurs d'avoir un agenda caché.
Mais serait-ce une raison suffisante de le bousculer au point de mettre en péril la nation entière?
Une autre question qui ne manquera pas de fâcher dans certains milieux : pour urgent que soit le projet de réforme du RSP, est-il pour autant une priorité à l'étape actuelle de notre processus ?
Pour populaire qu'il soit, le projet de réforme du RSP doit être conduit avec minutie, tact et délicatesse. Il faut qu'il sache alors raison garder.
Le problème avec ce corps d'élite de notre armée procède moins de son existence en tant que telle que de son lourd passé.
En effet, parce qu'ils ont fait le coup de feu de 1987 qui a porté Blaise Compaoré au pouvoir, certains hommes de ce Régiment se sont crus tout permis : meurtres, atteintes aux droits de l'homme, esbroufe, tout leur a été permis à un moment. Mais autres temps autres mœurs.
A telle enseigne qu'aujourd'hui l'opinion n'a retenu de cette unité que sa face hideuse alors qu'il s'agit d'un corps d'élite qui judicieusement redéployé pourrait bien se bonifier tant aux yeux de l'armée tout entière que de l'ensemble des Burkinabé.
Dans toutes les armées du monde, il y a toujours un corps d'élite. Et notre pays ne saurait se passer d'une telle unité dont la valeur des hommes est unanimement reconnue.
Il faut donc seulement revoir les missions du RSP, couper le cordon ombilical qui le liait à la personne du chef de l'Etat, le délocaliser du palais de Kosyam, sans pour autant jeter ses hommes dans la nature.
Mais cette nécessaire réforme ne peut être, répétons-le, une priorité pour la Transition, même si les réflexions y relatives, elles, peuvent avoir déjà cours.
Si priorité il y a, c'est de tout mettre en œuvre pour sauver la Transition. Même si cela passe par le maintien du statu quo. Car comme l'a si bien dit Henri IV, « Paris vaut une messe ».
Alain Saint Robespierre