Simon Compaoré
Il faut d'abord souligner que c'est triste pour notre pays. En matière de démocratie, nous étions cités parmi ceux qui font des efforts. La date du 21 octobre 2014 sera désormais inscrite négativement dans l'histoire de notre pays. C'est le jour où il y a eu l'une des plus grandes forfaitures de la IVe République. On nous avait promis d'autres formes de dialogue pour finalement nous servir ce plat.
Vous voulez savoir à quoi nous devons nous attendre ? C'est comme disent les Anglais : «One never know» mais il y a une seule chose dont je suis sûr, c'est que le peuple, dans sa grande majorité, ne peut pas rester sans réagir. Vous dites que d'aucuns nous accusent, nous du MPP, d'être coupables, de la situation. Je pense qu'il ne faut pas revenir sur une question qui a été vidée.
Dès le 25 janvier dernier, date de la création du MPP, son président a situé la responsabilité de ceux qui gèrent le pouvoir d'Etat mais en n'occultant pas notre responsabilité. Ce qui est regrettable pour un homme politique c'est pas qu'il se soit trompé mais c'est de persister dans l'erreur tout en sachant qu'il fait fausse route. Nous avons constaté que le peuple ne veut ni du Sénat ni de la révision de l'article 37, et en toute honnêteté, nous l'avons fait savoir au président. Mais aujourd'hui, il y a des gens autour de lui, qui ont conscience de ce refus mais soutiennent le contraire auprès du président. Il y a même un responsable local qui parce que sa commune a bénéficié d'un pont a dit que «Blaise est un dieu». Il faut travailler à ce que tout le monde soit conscient que l'alternance est la sève nourricière de la démocratie.
Le CDP s'est réuni hier et a dit qu'il va réprimer parce qu'il en a les moyens. Ils ont même dit de nous traiter désormais non pas comme des adversaires politiques mais comme des ennemis. Ça veut dire ce que ça veut dire. J'ai foi en Dieu, car je sais que sa justice est imparable ; c'est pourquoi je n'ai pas peur. Je suis en train d'entrer dans ma 63e année. Si je dois mourir, je prie Dieu que ça soit pour de justes causes. Ce qui est sûr, les gens ne vont pas se morfondre quelle que soit la répression qui va s'abattre. Ils sont prêts à se battre contre la dictature et le pouvoir à vie. Et je préviens qu'ils n'économiseront aucune forme de lutte que la loi autorise.
Doulkoum Arouna, commerçant
«Ce référendum est inutile»
«Je trouve que le référendum est inutile parce que c'est un grand budget qu'ils vont voter pour ça. Vous voyez, depuis ce matin, il n'y a pas de marché. Alors qu'on peut prendre la moitié de cet argent pour nous aider. Actuellement, nos enfants et nos frères sont à la maison parce qu'il n'y a pas de salles de classes pour les contenir. Il n'y a que des privés. Savez-vous combien d'écoles publiques il y a au Burkina ? Et vous voulez prendre cet argent pour convoquer un référendum. S'ils s'entêtent dans leur dessein, on peut s'attendre à tout. En tout cas, nous ne sommes pas du tout contents. Les trois quarts de la population burkinabè sont contre le référendum et s'ils insistent, je ne sais pas mais ça ne va pas bien se passer».
Bado Vincent Yipô, étudiant en 2e année d'anglais
«Il faut un soulèvement populaire...»
«Ça ne m'a pas du tout étonné parce que ce qui était sûr et que les gens devaient savoir, c'est que le CDP allait user de tous les moyens pour permettre à Blaise Compaoré d'avoir son pouvoir à vie. Donc ça ne devrait étonner personne. J'ai toujours dit que les préoccupations majeures de la population vont au-delà de la modification de l'article 37. Si aujourd'hui les gens se battent pour que Blaise Compaoré parte à la fin de son mandat, c'est vrai qu'il a duré au pouvoir, mais c'est parce que le bilan de ses 27 ans de règne est suffisamment négatif. C'est pour dire que si, pendant ces 27 ans, le pouvoir avait pu assurer une éducation de qualité aux enfants du peuple, la gratuité de la santé, un logement décent à l'ensemble des Burkinabè, ce n'est pas sûr qu'on allait descendre dans la rue pour dénoncer ce pouvoir. Je pense que la question va au-delà de la simple alternance. Elle se pose en termes d'alternatives pour un changement profond en faveur du peuple. C'est pourquoi je suis d'accord avec le Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV) qui dit que pour la situation actuelle, il faut que les gens se mobilisent pour aller vers une révolution nationale démocratique et populaire. C'est par cette voie que nous pourrons remettre sur pied notre pays ; parce que c'est la seule voie qui remet en cause en réalité la non-souveraineté de notre Etat. Et tant qu'un changement ne remet pas en cause la non-souveraineté d'un Etat, il ne vaut pas la peine que les gens se mobilisent. Il incombe maintenant au peuple de décider. Si le peuple ne veut pas de référendum, il n'y en aura pas. Je crois que c'est la mobilisation populaire qui peut imposer les situations à venir. Je ne parle pas de désobéissance civile comme Me Bénéwendé Sankara, je pense qu'il ne faut pas s'attaquer aux feuilles d'un arbre mais plutôt le déraciner complètement».
Sawadogo Amidou, agent de la fonction publique
«Ça pourrait menacer la paix sociale»
«Dans le domaine politique, je ne m'y connais pas, mais à entendre les uns et les autres, je pense que c'est un projet qui ne sied pas, dans la mesure où c'est contesté. Déjà, sur le terrain, les gens sont mobilisés ; on barricade les routes et ça, c'est un avertissement fort pour le gouvernement et j'allais dire pour le Parlement. Des troubles peuvent surgir au pays, et ce n'est pas bon pour sa stabilité. Si on ne modifie pas, ce n'est pas sûr que le président puisse se présenter. Même s'ils ne disent pas ouvertement que le projet tend à modifier l'article 37 pour lui permettre de se présenter, cela laisse croire qu'au cas où la modification passerait, il aura la possibilité de se présenter. Si cette loi venait à être adoptée, je pense que la paix serait menacée parce que les forces des deux camps sont équilibrées. Dans ce cas, si tout le monde reste catégorique, c'est sûr que ça va jouer sur la paix sociale. C'est mon point de vue et je pense qu'il pourrait être partagé par plus d'une personne»
Jacques-Francis Ilboudo, syndicaliste
«On ne peut pas modifier la Constitution pour contenter une seule personne»
«Je trouve que c'est dommage qu'on en soit arrivé là. Aujourd'hui, le Burkina a mal à sa démocratie. Nous sommes dans un Etat dit de droit où il y a une Constitution sur laquelle le président jure et on vient pour la modifier, même si la loi le permet. On ne devrait pas arriver à ce stade. Aujourd'hui, avec la rentrée, le continuum qu'ils ont mis en place, ils n'arrivent même pas à le gérer, et les enseignants ne se le sont pas appropriés, dans les centres de santé, il n'y a pas le minimum. Aujourd'hui, vous partez dans le milieu rural vous verrez qu'il y a des poches de sécheresse. On a déjà des problèmes sociaux. Si on doit encore ajouter des problèmes politiques, rien que pour faire plaisir à un seul individu, je trouve que c'est dommage.
En demandant que l'Assemblée nationale introduise la modification de la Constitution pour permettre au chef de l'Etat de se représenter, on est dans le faux, car la loi dit qu'on ne peut modifier la Constitution que pour un intérêt national. Alors que le cas actuel n'est pas un intérêt national. En effet, c'est une seule personne qui bénéficiera de la modification de la Constitution. Quand on regarde ce qu'on a dépensé et ce qu'on va dépenser depuis ce projet de modification, je pense qu'on devrait conserver toutes ces forces pour les investir ailleurs. L'argent qu'on engage pour remplir les stades lors des meetings de l'opposition et du pouvoir, on aurait pu l'utiliser pour construire des dispensaires ou des routes. Quand on achète des véhicules pour mater les foules et les manifestants, ça ne sert pas. On aurait pu construire des salles de classe de 6e pour résorber le problème de place consécutif au continuum, plutôt que de louer des magasins et de les transformer en classes. Aujourd'hui, l'Etat n'existe plus.
Pour que la loi soit promulguée, il faut le vote des ¾ des députés ; alors je rejoins l'appel du président du CFOP qui appelle les élus du peuple à un sens de responsabilité. Nous avons vu dans certains pays où il y a des troubles que c'est le politique qui en est la raison. Si les députés, pour des intérêts personnels, acceptent de voter cette loi, il faut se dire que le pays va mal. Donc je demande aux députés de savoir raison garder et de travailler pour la paix. S'ils refusent de voter, on ne parlera plus de cette affaire. J'exhorte donc les députés de la majorité à entrer dans leur propre conscience pour voir que l'acte qu'ils vont poser va avoir des répercussions graves sur eux et l'avenir de leurs enfants. Pour le moment, nous allons suivre le mot d'ordre de l'opposition, car en tant que syndicaliste, je condamne avec la dernière énergie cette décision de modification de la Constitution.
Propos recueillis par
Abdou Karim Sawadogo
Kader Traoré
et Lassané Ouédraogo