Siaka Coulibaly: C'est une seule raison qui est que la décision du Conseil constitutionneldu 13 février ampute la commission de sa principale raison d'être qui est de faire la vérité sur les crimes de sang et économiques du régime passé. Le Conseil empêche, par cette décision, la Commission de réconciliation nationale et des réformes de se saisir et de documenter les cas de crimes économiques et de sang, d'auditionnerles personnes à cet effet, donc à mon avis la commission perd la moitié de sa raison d'être qui est de faire la vérité sur ces crimes-là. L'autre pan de cette analyse est que même pour les aspects réformes, il y a au moins deux qui ne vont pas pouvoir se mettre en pratique comme la réforme constitutionnelle, parce qu'on n'a pas prévu un référendum et on n'a pas prévu une Constituante. Donc je ne sais pas trop comment, on va faire la réforme de la Constitution, alors qu'il y a une sous-commission qui est chargée de cela. Pour la sous-commission élection, le Code électoral est déjà dans le circuit. Donc le gouvernement est en train de préparer un projet de loi à envoyer au Conseil national de la Transition (CNT) pour adoption. Je ne sais pas trop ce qu'on fera des travaux de la sous-commission élection et surtout que nous avons aussi les textes de l'Union africaine et de la CEDEAO qui empêchent que l'on touche aux textes électoraux à un certain délai avant l'échéance électorale. A mon avis, la Commission va avoir beaucoup de problèmes à atteindre ses objectifs que la Charte lui a donnés. Mais la principale raison c'est le fait que le Conseil constitutionnel ait supprimé la prérogative.
Mais Me Kam fait savoir que vous aviez connaissance de cela pour avoir participé à la première session plénière de la Commission!
Il ne peut pas donner la preuve que je connaissais! Moi j'ai découvert cette disposition le matin du 10 mars à l'ouverture de la session comme d'autres. Il y a eu un débat avec le Pr Soma qui était venu au compte du Premier ministère. Ce dernier a fait comprendre que la loi va s'appliquer, c'est-à-dire que la Commission va fonctionner sans les articles que le Conseil constitutionnel a zappés. Donc, même si on avait une idée de ce que le Conseil constitutionnel avait fait, la position de l'autorité aussi était importante pour savoir quelle attitude adopter. Donc même si moi j'avais su, j'aurais attendu encore d'écouter la position du Premier ministère avant de prendre une position définitive. Nous avons eu le débat et Me Kam peut certifier qu'il y a eu ce débatavec les juristes qui étaient dans la salle sauf lui: Justin Tiono du CSC, Justin Pooda du Premier ministère et Abdoul Karim Saidou du CGD. Nous avons discuté avec le Pr Soma avant de commencer les travaux. Et c'est quand il nous dit qu'on va appliquer la loi de la commission à l'exception des articles qui sont touchés que j'ai dit que la Commission est touchée dans son fond et que le Conseil constitutionnel en faisant cela s'oppose à la volonté populaire. Le Pr Soma a réagi en disant qu'ils sont en train de réfléchir à une juridiction qui va permettre de corriger ce problème. C'est ce qui m'a fait cesser la discussion. Et pendant tout ce temps, moi je réfléchissais sur la décision comme je venais de la découvrir et par finir j'ai pris la décision de démissionner. Surtout qu'après il y a eu pour la désignation du président de la commission électorale, des irrégularités, donc, moi cela m'a fondé dans ma décision de démissionner.
Mais est-ce que fondamentalement la CRNR devait se saisir des questions de justice?
Se saisir des questions de justice ne veut pas dire juger! La commission d'enquête indépendante sur l'affaire Norbert Zongo n'était pas une juridiction! La commission parlementaire d'enquêtes n'est pas non plus une juridiction! Mais elles auditionnent les gens, elles instruisent les cas et donnent à l'autorité qui en fait ce qu'elle veut. Donc cet argument ne tient pas. La commission peut très bien écouter les gens, documenter les cas et soumettre les conclusions à l'autorité conformément à la prérogative donnée par la Charte. De toute façon, la Charte savait qu'il fallait faire cela, vu que c'est une volonté populaire. Il n'appartient donc pas à un individu de remettre cela en cause.
A vous écouter, c'est comme si vous prophétisiez l'échec de la CRNR
Ce n'est pas une prophétie, c'est un constat. C'est déjà fait par le Conseil constitutionnel. Ils ont enlevé les prérogatives, alors à quoi parviendront-ils? Ils vont donner quels résultats? Ils vont donner un texte sur la réconciliation nationale décrivant comment ça s'est passé au Rwanda, voilà comment ça s'est passé en Côte d'Ivoire, ... C'est-à-dire juste des documents théoriques, puisqu'ils ne peuvent auditionner quelqu'un. Ce n'est pas ce qu'on cherchait. Si c'est pour cela, on pouvait demander les services d'un professeur en sciences sociales pour nous faire des travaux sur les réconciliations nationales. Mais ici, il s'agit d'un processus de vérité, justice et réconciliation, mais qui ne pourra plus se faire à cause de cela. Ce n'est donc pas une prophétie, c'est un constat.
Cette Commission est-elle à l'image de toute la Transition?
C'est une interprétation que beaucoup font et déjà de nombreux Burkinabè sont déçus de la manière dont la Transition est menée. Je crois que cette affaire va les conforter dans leur position malheureusement. Etant parmi ceux qui ont souhaité le changement et œuvré à cela, je ne pouvais pas rester dans une commission à laquelle l'on a retiré la principale raison d'être. C'est vrai que cela a été très médiatisé, mais les objectifs n'étaient pas cela. Mais je ne peux pas rester dans une commission dont l'objet principal est retiré. Maintenant, il y en a qui sont restés et qui travailleront. Chacun et sa conscience.
Quand on vous écoute, c'est comme si c'est parce que le Conseil constitutionnel a cette forme actuelle, qui est juste un reste du régime passé, que les choses sont comme ça?
Le gouvernement de la Transition a nommé un nouveau président du Conseil constitutionnel, c'est pour essayer de corriger cela. Les anciens membres ont été nommés par l'ancien régime. C'est récent! Donc c'est l'ancien Conseil constitutionnel qui a pris cette décision. Et c'est assez facile à comprendre! Etant une institution qui a servi l'ancien régime, ils n'aimeraient pas voir les investigations se mener sur les dignitaires qu'ils ont servis. Moi je pense que c'est logique et le peuple peut comprendre cela. Blaise est parti mais sonsystème reste!
Par rapport à Blaise Compaoré lui-même, faut-il le rapatrier et le juger?
Moi je l'avais dit au début, mais je vois que la volonté politique n'existe pas. Même si les gens le réclament, ça m'étonnerait que les autorités s'engagent sur cette voie. Cela au regard de leur manière de traiter les cas présentement. C'est un dossier qui va évoluer et on verra bien si un jour, on pourra faire suffisamment de pression sur le gouvernement pour qu'il demande le retour de Blaise Compaoré pour le juger.
Que peut bloquer ce dossier?
Il faut la volonté politique seulement. Que le gouvernement dise nous voulons le faire venir et signe un acte d'extradition. Disons, d'abord ils engagent une procédure de justice dans laquelle il y aura un acte d'extradition et à ce moment cela va se faire. Et du reste c'est lié à tout ce que je suis en train de dire, parce que cette commission si elle n'avait pas perdu son bras armé, aurait pu se saisir de ce cas précis et dans la conclusion dire de faire venir Blaise Compaoré. Et c'est une institution qui allait parler et cela allait permettre au gouvernement d'agir. Donc moi je ne vois pas comment on le fera, sauf si le gouvernement saisit la justice.
Quelle est votre position sur la présence des militaires en politique?
Je suis de ceux qui pensent que la politique doit être faite par les civils, et que l'Armée garde son rôle de sécurité. J'ai toujours été pour cette idée et je la maintiens. Il ne sera pas bon de confondre les rôles. Mais cette confusion de rôle existe depuis 1966, ce qui implique qu'il va être difficile de nous séparer totalement des militaires. On l'a vu avec la Transition. Nous avons demandé dès le début de la Transition civile, vous avez vu comment ça s'est terminé. Il faut tout un projet pour régler la question de la présence des militaires en politique. Mais pour ce genre de problème, il faut une conscience générale sur le problème afin que ça se règle. Sinon pour le moment, c'est juste un petit groupe qui pose ce problème.
Djibrill Bassolé vient d'obtenir sa disponibilité en fin de semaine passée, le problème est résolu à son niveau?
Le problème est résolu à son niveau selon la loi que nous avons actuellement. Selon la Constitution, un militaire en disponibilité peut prendre part aux élections en tant que candidat. Donc, lui il est en règle aujourd'hui et l'on attend que les autres aussi se mettent en règle.
Mais cette question de présence des militaires dans la gestion de la chose publique, n'est-ce pas la faute des civils et des politiciens? Ils ont demandé en fin octobre comme en 1966 aux militaires de descendre gérer la situation?
Il y a eu aussi des OSC qui ont fait formuler cette demande, mais par méconnaissance de l'histoire. Nous avons l'expérience de la participation des militaires au pouvoir et nous pouvons dire que la cohabitation n'est pas ça. Et depuis, vous voyez les évènements qui se sont succédé, le coup d'Etat, ainsi de suite. Nous, cela nous a donné une certaine conscience du problème. Ceux qui ont appelé l'Armée au pouvoir ignoraient certainement ou peut-être qu'ils ont certaines accointances avec les militaires, nous ne savons pas toujours. Cela nous a mis dans la situation où nous sommes. La démilitarisation du pouvoir est une thématique, mais il faut aussi situer les responsabilités!
Mais sur cette question, est-ce que ce n'est pas plutôt la personnalité de ces militaires en politique qui pose problème? Thomas Sankara était un militaire mais il est cité comme l'un des meilleurs présidents...
C'est en partie vrai. Il était le seul à avoir la meilleure conception de la relation avec les civils. Mais vous avez vu qu'il a été tué! L'on peut se demander si l'Armée n'a pas une conception particulière de ses relations avec les civils que lui Sankara était en train de violer. Toujours est-il que jusque-là, après lui nous avons eu à déplorer beaucoup d'aspects dus au fait que ce soit des militaires. Les militaires ont des avantages en matière de commandement, mais pour la gestion démocratique, ils sont moins outillés. Mais l'on peut réfléchir sur comment les faire intervenir en politique.
Mais quels dangers peut-il y avoir que le pouvoir soit géré par un civil au lendemain de l'élection d'octobre?
Le risque militaire reste permanent, mais il nous faut en faire un thème de la vie politique. Que ce soit sous la transition ou après pour pouvoir trouver une solution à long terme. De toute façon, on aura un civil au pouvoir! S'il y a des troubles, les militaires ont tendance à revenir.
Interview réalisée par Boureima DEMBELE