Sénat : Requiem pour un ruineux gadget ?

| 14.08.2013
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Blaise Compaore
© DR / Autre Presse
Blaise Compaore
Certains parleront de reculade, d'autres de rétropédalage, mais il faut avoir le triomphe modeste si tant est qu'on puisse déjà parler de triomphe, quand bien même la tentation serait bien grande dans le camp des anti-Sénat, et on les comprend, de parler de victoire. En décidant lundi de mettre balle à terre face à l'opposition que rencontre son projet de mise en place d'un Sénat, le président du Faso fait au contraire preuve d'une lucidité et d'une sagesse politiques, car, en ce domaine, savoir renoncer n'est pas un aveu de faiblesse, mais la manifestation d'un courage certain tant il n'est jamais facile de se dédire. Il aurait tout aussi bien pu poursuivre sa marche forcée, sûr de son fait et de sa majorité, se disant que les chiens ont beau aboyer, la caravane passera.

C'est donc tout à son honneur s'il a su méditer la clameur de désapprobation qui monte depuis de longues semaines dans les différentes couches de la société. Il n'y a pas de honte à cela. Même le Grand Charles, du haut de sa Statue de Commandeur, ou Tonton Mitterrand, pour ne prendre que les exemples les plus mythiques de ce dernier demi-siècle français, ont dû, à un moment ou à un autre, s'asseoir sur leur orgueil et battre en retraite face à la pression de la rue qui est, n'en déplaise, une forme d'expression populaire. La démocratie a beau n'être que la dictature de la majorité, cette dernière a parfois besoin de prêter une oreille attentive aux complaintes de la minorité. Cela dit, Il faut maintenant attendre de voir ce qui sortira des prochaines concertations du comité de suivi et d'évaluation de la mise en œuvre des réformes politiques consensuelles pour connaître l'issue définitive de cette affaire. Pour prendre une posture gaulienne, Blaise Compaoré semble dire à ceux de ses compatriotes qui sont hostiles :"Je vous ai compris", mais rien ne dit que le locataire de Kosyam a définitivement renoncé à son machin et qu'il n'est pas en train de faire dans le dilatoire comme on l'en suspecte souvent. Pour tout dire, dans ce bras de fer engagé par les différents protagonistes du dossier, c'est une bataille qui vient d'être gagnée, mais on aurait tort de penser que la guerre est pliée.

Quoi qu'il en soit, ce coup d'arrêt dans le processus de mise en place de la deuxième chambre du Parlement burkinabè porte la marque d'une conscience citoyenne de plus en plus accrue dans notre pays, et il faudra désormais s'y faire. Quand on a vu les manifestations monstres de l'opposition, cornaquée par son chef de file, Zéphirin Diabré, et le ralliement de gens qui, en temps normal, ne s'intéressent pas à ces choses-là; quand on a lu le sermon des évêques du Burkina et de nombreux autres pans de la société, on finit par se dire que l'entêtement dans lequel s'enferraient les blaisistes était suicidaire.

Chacun le sait, et Blaise plus que tout le monde, c'est moins l'utilité dans l'absolu du bicaméralisme à la sauce... oseille qui est ici en cause que l'agenda caché qui sous-tendrait ces mics-macs politiciens ; et ils n'avaient pas tort, ces fins connaisseurs de la scène sociopolitique nationale qui soutenaient, il y a quelques années, que certains caciques du régime, après avoir traversé leur petit désert, ont été ressuscités exprès pour une mission commandée bien précise. Mais visiblement il va leur falloir revoir leurs plans, car on les voit venir depuis avec leurs gros rangers, cherchant par tous les moyens comment faire avaler la couleuvre sans courir l'indigestion. Une fuite en avant bien vaine, et si après trente ans de règne on veut se frayer encore un boulevard pour l'éternité, qu'on ait au moins la décence de ne pas nous faire prendre des vessies pour des lanternes en invoquant le renforcement de la démocratie.

Sinon, constitutionnalisation pour constitiutionnalisation, promesse électorale pour promesse électorale, quelle urgence y a –t-il à se doter aujourd'hui d'un Sénat ? On ne serait pas dans tous les cas à la première promesse non tenue, et on s'en serait vite remis, cela d'autant plus qu'en 2002, la Chambre des représentants avait été dissoute du fait de son inutilité et de son caractère budgétivore. Et jusque-là, ni Blaise ni ses grands camarades n'ont répondu à la question qui taraude de nombreux esprits : dix ans plus tard, le Burkina est-il vraiment devenu le pays émergent qu'on chante dans tous les discours officiels ou serait-il carrément un dragon ouest-africain pour se payer le luxe du raffinement démocratique par une institution dont l'apport au travail législatif reste à prouver si ce n'est apporter des voix supplémentaires pour voter, le moment venu, à main levée quand on n'ose pas prendre le risque du bulletin secret ? Là est la question.

Et si, comme beaucoup le pensent, le Sénat n'est qu'un simple cheval de Troie pour aller, en temps opportun, à l'assaut du verrou limitatif du nombre de mandats présidentiels, 36 milliards pour un article, c'est plutôt cher payé et tant qu'à faire, autant nous épargner ce ruineux gadget institutionnel et aller franco au charbon au lieu de se dépenser sans compter dans ces tours de passe-passe politico-juridiques qui ne trompent plus personne. Après tout, un dicton bien de chez nous n'affirme-t-il pas que celui qui incendie un cimetière ne saurait redouter les cris des fantômes ? A ses risques et périls quand même, car à vouloir s'accrocher à tout prix, on court le danger de tout perdre là où une porte de sortie honorable est encore possible. Gageons donc que Blaise aura le courage jusqu'au bout en enterrant son mort-né, dont on se réjouit déjà de chanter le requiem. Et puisqu'au nombre des arguments du camp présidentiel il y a le fait que le Sénat est prévu par la constitution, et donc doit être érigé coûte que coûte, on espère que le premier magistrat burkinabè, si attaché au respect et à la défense ne notre loi fondamentale, fera montre de la même détermination chevaleresque pour faire pièce à ceux qui veulent l'obliger à la tripatouiller. Expérimenté comme il l'est, l'enfant terrible de Ziniaré est d'ailleurs bien payé pour savoir que les courtisans qui poussent à la roue ne le font que pour protéger leurs intérêts propres et que les mêmes seront les premiers à le clouer au pilori si demain la roue de l'Histoire, et donc de la Fortune, devait tourner.

En attendant, les sénateurs frais émoulus qui avaient déjà envoyé leurs costumes, FDF et autres basins plus ou moins défraîchis au pressing pour étrenner leur nouveau statut vont devoir pour l'instant les remiser au placard.

Ousséni Ilboudo

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