Les revendications sont bruyantes. Il y a comme une sorte de brouhaha dans les protestations pour exiger, en général, le départ d'un responsable jugé véreux, arrogant, incompétent ou complice de l'ancien système. Mais ce qui est particulier dans ce flot de revendications, c'est leur caractère pacifique.
La révolution est aussi passée par là. Personne ne veut donner l'image d'un casseur ou d'un fauteur de troubles, au moment où le pays panse ses plaies et où le civisme doit prévaloir en tout. Cela est donc louable. Reste à savoir comment les dirigeants de la transition pourront canaliser toute cette soif de justice qui se manifeste par des manifestations à n'en pas finir. Sans doute faudra-t-il avoir le sens de l'anticipation, en mettant à la touche les responsables reconnus pour leur implication dans de sales affaires. En d'autres mots, il faut devancer les manifestants, pour ne pas donner l'impression de se faire dicter sa conduite par la rue. Car en plus du désordre que cela peut créer, il y a aussi des risques d'entériner des règlements de comptes. Dans cette période assez trouble, certaines personnes mal intentionnées peuvent vouloir se livrer à une chasse aux sorcières. Cela s'est vu sous la Révolution de Sankara, avec les fameux « dégagements » dont tous ne furent pas justifiés. Il faut à tout prix éviter de donner l'opportunitéà des petits malins d'exploiter la situation à des fins personnelles. Oui, il faut sanctionner les responsables pourris, mais dans le discernement, pour ne pas faire des victimes innocentes.
Certes, la colère est grande face aux anciennes pratiques. Le clan Compaoré avait imposé de nombreux responsables dans les structures étatiques et même dans toutes les sphères de la société, pour célébrer sa gloire. Cela a conduit à une politisation outrancière et indécente de l'Administration publique et d'associations dites de la société civile. La compétence et la probité n'étaient plus les règles de promotion mais l'allégeance sans faille au pouvoir en place. Même la carte du parti ne suffisait pas être adoubé. Il fallait aussi tomber très bas, en acceptant de ramper aux pieds des seigneurs du jour. Beaucoup de cadres de ce pays ont malheureusement participéà ce système de force ou de gré.
Il ne faut jamais oublier que sous un régime despotique, la contrainte, la pression et les intimidations sont utilisées pour soumettre des citoyens. Et il se trouve du reste qu'après la révolution des 30 et 31 octobre, ceux qui étaient enferrés ont retrouvé leur liberté. Que ce soit des chefs d'entreprises obligés d'ouvrir leur capital aux baron s du régime ou des fonctionnaires forcés de manipuler des chiffres, l'on doit essayer de comprendre que c'était aussi très dur de résister au rouleau compresseur des Compaoré. Il faut donc faire la part des choses entre ceux qui ont servi avec zèle les anciens tenants du pouvoir, et ceux qui y ont été obligés. C'est pourquoi la prudence doit être de mise dans la déconstruction du système Compaoré, afin de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Au-delà des individus, il faut surtout travailler àinculquer la culture de la bonne gestion dans les pratiques des Burkinabè. Seules des institutions fortes, indépendantes et véritablement dissuasives peuvent imposer le nouveau comportement attendu de chaque Burkinabè. Les changements d'individus ne pourront à eux seuls restaurer la dignité disparue des Burkinabè.