L’ex majorité avait minutieusement préparé son retour aux commandes de l’Etat. Après les moments chauds de l’insurrection populaire et le départ de ses cadres, le CDP avait reconstitué son bureau autour du président Blaise Compaoré et de Gilbert Diendéré. Au dernier congrès, ce sont les proches de Gilbert Diendéré dont son épouse Fatou Diendéré qui ont pris la direction du parti. Une bonne partie de l’ancienne garde a été obligée d’avaler ses projets.
Au fil du temps, l’ensemble des poids lourds de l’ex majorité s’est retrouvé dans un front commun. Djibril Bassolé dont la position n’avait pas été appréciée pendant l’insurrection populaire a fait plusieurs déplacements à Abidjan où il a rencontré l’ex président Blaise Compaoré pour dissiper les malentendus. Ce dernier avait même promis de soutenir sa candidature. Il s’est par la suite rapproché du Général Diendéré et de ses hommes et a multiplié des gestes de générosité à l’endroit des gardes du palais. Le RSP avait fait l’objet d’une cour assidue. L’ex majorité va véritablement « faroter »( faire preuve de générosité) sur eux. Depuis la chute du régime, ils ont continué à recevoir beaucoup d’argent de la part de Blaise Compaoré et de ses proches. Le Général Diendéré qui n’était pas bien apprécié de la troupe a joué sur les peurs pour manipuler une bonne partie des soldats. Les hommes de l’ex garde présidentielle ne sont pas politiquement neutres. Ce qui les intéresse, c’est le pouvoir qui va leur assurer des privilèges quel que soit le régime politique. Pourtant, on leur a fait comprendre que seul le clan Compaoré peut garantir leur existence et les nombreux privilèges. Aujourd’hui, certains pensent qu’ils pouvaient mieux négocier leur redéploiement. L’adoption du nouveau code électoral qui rend inéligibles toutes les personnes ayant soutenu la modification de l’article 37 a davantage rapproché les leaders de l’ex majorité. La poursuite engagée par les autorités de la Transition contre certains ex-dirigeants dans le cadre de la lutte contre les détournements va faire une jonction naturelle entre les derniers dignitaires de Blaise Compaoré. Ils vont d’abord activer leur dernière cartouche qui est le RSP pour déstabiliser la Transition ou pour faire tomber le gouvernement et reprendre le contrôle du pouvoir. A l’extérieur du pays, l’ex majorité active ses réseaux et Blaise Compaoré qui n’a jamais cessé ses activités politiques intensifie ses actions. Ils obtiennent le soutien de la Côte d’Ivoire. Alassane Ouattara va mettre la pression sur les autorités burkinabè et sur les instances de la CEDEAO et de l’Union africaine. Malgré ces pressions, le président Kafando est resté inflexible. L’invalidation des candidatures des ex dignitaires du pouvoir fut la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Cette décision du Conseil constitutionnel met fin à tout espoir de l’ex majorité de reconquérir le pouvoir. Une situation lourde de conséquences pour les exilés et certains militants. Elle signe leur mort politique et économique. Certains opérateurs économiques, hommes d’affaires de l’intérieur et de l’extérieur, voient dans cette nouvelle donne qui se profile des pertes énormes. Pendant longtemps, ils avaient toute l’économie. Si certains ont pu migrer vers le MPP pour assurer leurs arrières, d’autres sont restés -parfois par contrainte- attachés au clan Compaoré. La Transition, ils la vivent déjà mal. Il n’est un secret pour personne que la politique est un instrument d’ascension sociale dans notre pays. Il ya surtout les nombreux dossiers de crimes économiques qui planent sur eux comme une épée de Damoclès. La Haute Cour de justice a déjà lancé la machine et une partie des cadres du clan de Blaise Compaoré croupissent déjà en prison. Il était de plus en plus évident que le rouleau compresseur du procureur Armand Ouédraogo les broierait un a un. La panique était bien réelle dans le camp des derniers dignitaires du régime déchu. Il semble que Djibril Bassolé, visé par la Haute cour de justice, avait entrepris des démarches auprès des autorités de la Transition pour lui éviter une interpellation et une éventuelle incarcération.
La stratégie du chaos de l’ex majorité
Après avoir épuisé les moyens légaux pour se remettre dans le jeu électoral, il leur restait l’utilisation des moyens violents pour déstabiliser la Transition ou du pouvoir qui allait sortir des élections du 11 octobre 2015. Bien avant la décision du Conseil constitutionnel, les réseaux économiques, politiques et militaires, notamment les irréductibles de Blaise Compaoré au sein des forces de défense et de sécurité, ainsi que l’allié naturel, le RSP, ont été mis en alerte. Les rencontres ont été multipliées pour arrêter la conduite à tenir. La première action était de renverser le gouvernement et de reprendre son contrôle. La mission fut confiée aux hommes de Gilbert Diendéré. Ce plan fut mis en échec par l’ex ministre de la Sécurité, Auguste Dénise Barry, qui avait dévoilé un pan de la situation en laissant entendre dans une de ses déclarations que le climat était délétère. L’entrée en scène des sages et les menaces de Michel Kafando et de la communauté internationale dont l’Union africaine, le représentant de l’ONU, Mohamed Ibn Chambas ne laissaient aucune chance au clan de Blaise Compaoré pour renverser le gouvernement de Yacouba Isaac Zida. Il ne restait que l’option du putsch. Il fallait d’abord créer des troubles pour justifier l’intervention du RSP. Le CDP et la NAFA auraient constitué des milices pour semer des troubles. Ces milices avaient pour mission de s’attaquer à certains responsables politiques et des organisations de la société civile. On impute la tentative d’assassinat de Simon Compaoré à des milices de la NAFA. D’autres organisations des jeunes devraient mobiliser la population pour soutenir le putsch. Ce sont les éléments de ces groupes montés par Eddie Komboigo qui étaient à la Radio Oméga pour annoncer le putsch et inviter la population à descendre dans les rues pour soutenir les putschistes. Des fausses cartes d’électeurs furent introduites pour discréditer le scrutin à venir et diviser les partis de l’ex CFOP. L’ex majorité fut le premier à désigner les cerveaux de cette tentative de fraudes. D’autres partis, de bonne foi peut-être, acculent la CENI et demandent immédiatement des comptes. Malgré les explications du président de la CENI pour rassurer les candidats et leurs partis, il est accusé d’intelligence avec un parti qui est prêt à remporter la présidentielle par tous les moyens. Il est fait cas à Ouagadougou de la présence de mercenaires payés par des partis pour prendre en otage les élections. Il s’agissait simplement d’organiser le chaos. Parallèlement à cette intoxication, des démarches ont été entreprises par le CDP et ses alliés auprès de certaines personnalités pour plaider leur cause. Ils ont réussi en partie, à travers ruses, promesses à mettre de leurs côtés ces personnalités dont le poids social est important. Mais la moisson de ce recrutement n’a pas été à la hauteur des attentes. Malheureusement pour eux, ce plan camouflé sous la désobéissance civile a vite montré des limites. La crise qui devrait justifier le coup d’Etat n’a pas eu lieu. Ce qui n’a pas empêché Gilbert Diendéré d’affirmer tout de même que c’est pour éviter une crise, une guerre civile dont les germes étaient perceptibles, qu’ils ont fait ce coup de force.
Blaise Compaoré n’a pas chômé
Les poursuites judiciaires contre les autorités déchues et les invalidations des candidatures des proches avaient irrité l’ex président depuis son exil au bord de la lagune ébrié. Blaise Compaoré n’a jamais digéré son départ précipité, qui frise à la limite de l’humiliation. Pour un homme dont on dit qu’il a la rancune tenace, il n’a jamais abandonné l’idée de revenir. Il vivrait mal son exil ivoirien, bien qu’il y dispose de toutes les bonnes commodités. Il avait saisi, par l’intermédiaire de son hôte Alassane Ouattara, le président français François Hollande pour rentrer en possession de son passeport burkinabè. Son retour, il l’a toujours envisagé depuis son départ arrangé. En partant, il a pris le soin de laisser le pouvoir dans de bonnes mains. Seulement, ceux qui devraient veiller sur le pouvoir l’ont laissé échapper. Gilbert Diendéré a misé sur le mauvais cheval. Yacouba Isaac Zida, désigné pour conduire la feuille de route, s’est petit à petit éloigné de ses mentors parfois à son corps défendant car et surtout à cause de la veille et de l’encadrement de l’opinion. Il fallait donc élaborer d’autres plans pour reconquérir le pouvoir. Et Blaise Comparé et ses alliés se sont mis à la tâche. En côte d’Ivoire, les réunions des partisans de l’ex majorité se sont multipliées. La cellule UNDD de Herman Yaméogo et du CDP y ont repris du service. Il est fait cas du regroupement des forces militaires sur le territoire ivoirien organisées par Blaise Compaoré et ses amis et prêtes à intervenir en cas de guerre civile. Le président ivoirien avait donc saisi ses homologues de la CEDEAO pour la désignation d’un médiateur en la personne du chef de l’Etat béninois, à la grande surprise des Burkinabè.
Abdoul Razac Napon
In Mutations N°87 du 15 octobre 2015