Mardi 29 décembre 2015 au palais des sports de Ouagadougou. Jour d’investiture du président élu le 29 novembre 2015, Roch Marc Christian Kaboré. Pour cette cérémonie de prestation de serment et d’investiture, le palais des sports est revêtu des couleurs nationales et des posters du président Roch Marc Christian Kaboré. A une demi-heure du début de la cérémonie, la cuvette du palais a du mal à contenir le public qui a fait massivement le déplacement. Le protocole peine à canaliser la foule, les agents de sécurité sont appelés à la rescousse. Le Premier ministre sortant, Yacouba Isaac Zida, dans sa tenue de général de division, éprouve des difficultés à avoir accès à l’intérieur du palais. C’est dans cette atmosphère que le président sortant, Michel Kafando, est accueilli en héros national à 10h30 dans l’enceinte du palais après l’entrée des neuf présidents des pays invités. Il s’adresse à la foule pour la dernière fois avant de quitter officiellement la scène politique en tant que président. Pour Michel Kafando, la cérémonie du jour revêt un symbole particulier en ce sens qu’elle consacre l’investiture du troisième président civil du pays depuis son indépendance en 1960. En outre, ajoute-t-il, c’est pour la première fois qu’un président civil va remettre le pouvoir à un autre président civil démocratiquement élu. « C’est le triomphe de l’alternance, de la démocratie et de la liberté », dit-il avant de poursuivre : « Cet évènement a été possible grâce à la détermination de notre peuple et en particulier de sa jeunesse devenue le symbole de la résistance à l’autoritarisme ». Michel Kafando salue l’accompagnement des chefs d’Etat de la CEDEAO qui ont aidé le Burkina Faso pour le retour des organes de la Transition après le putsch du 16 septembre 2015. Avant de transmettre officiellement le pouvoir au président élu, Michel Kafando invite son successeur à tenir compte des sillons tracés par la Transition dans la gestion du pouvoir.
« Je jure devant le peuple burkinabè... »
Après ce discours fortement applaudi de Michel Kafando, l’audience solennelle de prestation de serment conduite par le président du Conseil constitutionnel, Kassoum Kambou.
Le président Roch Marc Christian Kaboré, jusque-là invisible dans l’enceinte du palais, fait son entrée sur invitation des sages du Conseil constitutionnel, dans une liesse populaire. A la barre et devant les membres du Conseil constitutionnel, le nouveau président prête alors serment : « Je jure devant le peuple burkinabè et sur mon honneur de préserver, de respecter, de faire respecter et de défendre la Constitution et les lois, de tout mettre en œuvre pour garantir la justice à tous les habitants du Burkina Faso », promet le nouveau président, la main levée. Il est déclaré installé dans ses fonctions de président du Faso et est invité à déposer la liste de ses biens. « A compter de ce jour, vous êtes le président du Faso. Vous cessez d’être le chef partisan pour devenir le président de tous les Burkinabè, pour un mandat de cinq ans. Dans l’exercice de vos fonctions, vous incarnerez désormais la Nation toute entière et des valeurs », lance le président du Conseil constitutionnel, Kassoum Kambou, à l’endroit du nouveau président installé. Il exhorte le désormais chef de l’Etat Kaboré à avoir toujours à l’esprit les intérêts du peuple burkinabè et à œuvrer pour l’unité nationale, la démocratie, l’Etat de droit, le développement économique et social. « Désormais, le peuple burkinabè a le regard tourné vers vous et le gouvernement que vous allez mettre en place. Un peuple jaloux et fier de son histoire et de sa culture, mais confronté à d’énormes défis et en même temps un peuple plein d’espoir », ajoute Kassoum Kambou.
Le nouveau président, Roch Marc Christian Kaboré, dès l’entame de son premier discours officiel, rend un hommage « à tous les valeureux fils et filles de notre chère nation, intrépides combattants de la liberté, de la démocratie et de la justice qui, ces dernières années, ont payé de leur vie et dont le sang versé a contribué à forger le destin du Burkina Faso pour le faire sortir de l’impasse dans laquelle certains esprits mal intentionnés voulaient le plonger à jamais ».
« Instaurer un dialogue social fécond... »
Il salue les actions de la Transition conduite par Michel Kafando, des communautés religieuses, des pays amis du Burkina qui ont œuvré pour la réussite des élections du 29 novembre 2015. « Pour ma part, je prends ici l’engagement d’instaurer un dialogue social fécond avec tous les Burkinabè pour qu’ensemble, nous brisions les chaînes de la misère pour construire, dans la tolérance et la discipline républicaine, une nation forte, digne et respectée », promet Roch Marc Christian Kaboré. Et pour y arriver, il invite les Burkinabè à : « contenir nos égoïsmes personnels, bannir nos divisions stériles, combattre l’intolérance et l’incivisme rampants, pour construire ensemble une alliance de progrès, à même de porter les ambitions de développement du pays ». Selon lui, son programme, intitulé « Bâtir avec le peuple, un Burkina Faso de démocratie, de progrès économique et social, de liberté et de justice», ambitionne de répondre à une quête de justice, de transparence, de démocratie et de prospérité partagée exprimée par toutes les composantes de la Nation. « La réconciliation nationale en sera le socle, la paix, le moteur, la vérité, la justice et la transparence, les adjuvants essentiels, pour construire ensemble dans la durée, une Nation forte, fière, prospère et intègre », affirme Roch Marc Christian Kaboré sous les ovations du public. A entendre le nouveau président, la recherche de la vérité et de la justice doit être une action préalable à la réconciliation et à la paix des cœurs.
Pour remettre le pays sur le chemin de la démocratie et du développement, le président du Faso estime qu’il est nécessaire de travailler à restaurer l’autorité de l’Etat. Il appelle donc les Burkinabè à un changement de mentalité et de comportement en vue de mettre fin à l’incivisme qui handicape le développement. Le président Kaboré se dit prêt à engager un dialogue pour une nouvelle Constitution en vue d’un passage à une Ve République. Tout en promettant travailler pour la paix au Burkina Faso et dans la sous-région, le nouveau locataire du palais de Kosyam s’engage à gouverner le pays « en bon père de famille, prudent, diligent et honnête, pour le bien des générations présentes et à venir ».
Lassané Osée
OUEDRAOGO
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Les coulisses de l’investiture
9 chefs d’Etat et un vice-président présents à la cérémonie
Neufs présidents africains ont pris part à la cérémonie d’investiture du nouveau président élu, Roch Marc Christian Kaboré. Il s’agit des chefs d’Etat de la Guinée-Conakry, Pr Alpha Condé, de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta, du Niger, Mahamadou Issoufou, du Togo, Faure Gnassingbé, du Ghana, John Dramani Mahama, du Gabon, Ali Bongo, du Bénin, Yaya Boni, du Sénégal, Macky Sall. Le premier-vice président du Nigeria, Yemi Osinbajo, y était également. Parmi ces prestigieux invités, figuraient également les anciens chefs d’Etat du Nigeria, Olusegun Obasanjo, du Ghana, Jerry John Rawlings et du Niger, Salou Djibo.
Alassane Ouattara et Mahamadou Issoufou, ovationnés
Lorsque le président ivoirien Alassane Ouattara est allé féliciter Roch Marc Christian Kaboré, il a été longtemps applaudi par la salle. Certaines personnes scandaient que les deux pays sont frères. A travers ce geste, on peut voir l’expression d’un vœu : celui de la normalisation des relations entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, qui traversent des moments difficiles. A son tour, le chef de l’Etat du Niger, Mahamadou Issoufou, a été également ovationné quand il congratulait le président du Faso. Cette fois-ci pour une toute autre raison : en effet, lors du coup de force du 16 septembre 2015, Mahamadou Issoufou avait condamné avec fermeté cette tentative de prise du pouvoir par la force.
Yacouba Isaac Zida en mode général de division
Le Premier ministre de la Transition, Yacouba Isaac Zida, a réservé une surprise à tout le monde à la cérémonie d’investiture. Habituellement vêtu en tenue traditionnelle Faso Dan Fani, il est arrivé au palais des sports dans sa tenue de général de division. En plus de cela, il a eu toutes les peines du monde pour avoir accès à l’intérieur du palais, tant ses admirateurs voulaient prendre des photos avec lui.
La galère des ministres et diplomates
Faute de sièges, certains ministres de la Transition ont poireauté avant que des membres du comité d’organisation de l’investiture ne jouent des coudes pour leur trouver de la place. Des diplomates et des délégations venues de l’étranger ont également vécu cette situation embarrassante. Le célèbre artiste sénégalais, Youssou Ndour, a dû attendre un quart d’heure avant d’avoir de la place. Heureusement, le sens de l’hospitalité a prévalu chez certains Burkinabè qui ont accepté céder leurs sièges.
Les pickpockets aussi ...
Pendant que de nombreuses personnes étaient venues pour saluer la maturité de la démocratie burkinabè à l’occasion de l’investiture, d’autres y étaient aussi avec des intentions abjectes. En effet, des pickpockets invétérés s’étaient invités aux portillons du palais des sports pour détrousser les honnêtes citoyens. Un confrère des Editions Sidwaya a eu la malchance de rencontrer l’un d’eux quand il accédait à la cuvette du palais.
Une fois à l’intérieur, il s’est rendu compte que son porte-monnaie qui connaît une somme d’environ 100 000 F CFA et des documents importants avait été volé. Après l’avoir vidé du numéraire, le malfrat s’en est débarrassé dans les toilettes.
Un agent des forces de sécurité qui s’y était rendu a retrouvé le porte-monnaie qui ne contenait que les papiers. Ayant rendu compte à son supérieur, celui-ci, par le biais d’un numéro de téléphone qui figurait sur la carte nationale du journaliste, est entré en contact avec son frère. Ce dernier l’a immédiatement informé pendant qu’il était au commissariat de police de Ouaga 2000 pour une déclaration de perte, qu’on le cherchait pour lui remettre son portefeuille. Il est retourné devant le palais des sports où le supérieur hiérarchique de l’agent de sécurité le lui a remis.
Un sosie de Mobutu
Peu avant le début de la cérémonie d’investiture, l’assistance a été surprise de voir un sosie et pas des moindres. En effet, un homme est apparu sur l’esplanade du palais des sports, vêtu des pieds à la tête d’une tenue léopard, rappelant inéluctablement Mobutu. Il tenait une canne à la main et portait de larges lunettes au visage comme le faisait son idole. Une image qui a ravivé le souvenir de l’ancien président zaïrois, Mobutu Sese Seko. Son allure, sa prestance et même son visage rappelaient celui qui dirigea d’une main de fer, le Zaïre, actuelle RDC jusqu’à sa mort en 1997. Il s’agissait en effet d’un Togolais, Pr Arouna Djaffoh Agbanin, directeur général du magazine panafricain Afric Tradition, qui lui voue une admiration. Approché, il a soutenu sans ambages que Mobutu, l’ancien président zaïrois était « une personne respectée et respectable». « En dépit de ce que les gens racontent sur lui, il a fait ce qu’il pouvait pour son pays. C’est quelqu’un que j’aime, même mort », a-t-il argué. Pr Arouna D. Agbanin a soutenu être venu encourager la démocratie burkinabè : « Ce pays donne aujourd’hui une référence à toute l’Afrique. En tant que panafricaniste démocrate, je suis venu saluer le peuple burkinabè et le président élu».
Karim BADOLO
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Mahamadou Issoufou, président du Niger
« C’est un évènement historique, non seulement pour le peuple burkinabè, mais pour l’ensemble des peuples de la sous-région, parce que le Burkina a retrouvé sa voie, celle de la démocratie. Cela répond exactement aux aspirations du peuple burkinabè et cela ne peut que nous réjouir. Nous souhaitons bonne chance au nouveau président ».
Cardinal Philippe Ouédraogo
« C’est un jour exceptionnel de joie et d’espérance aussi. Nous rendons grâce au Seigneur pour ce que nous vivons. Son discours est très beau. Je souhaite que lui et ses collaborateurs soient fidèles à cette allocution. Je souhaite également qu’ils soient de bons serviteurs de Dieu et qu’ils travaillent tous pour le bien du peuple. Nous devrons œuvrer ensemble pour la justice et la paix véritable ».
Tahirou Barry, président du PAREN
« C’est un discours qui affiche une volonté de restaurer l’ordre dans la société. Il s’est engagé dans la parole et notre vœu est que cela se manifeste dans la réalité. Nous lui souhaitons plein succès dans sa mission ».
Pasteur Samuel Yaméogo, président de la FEME
« Nous avons été réconfortés par son discours d’autant plus qu’il se propose comme serviteur du peuple et exhorte les uns et les autres à ne pas se servir du peuple. Cela nous va droit au cœur, car c’est ce que nous prêchons tous les jours. Nous demandons à Dieu d’inspirer nos leaders politiques».
Me Bénéwendé Sankara, président de l’UNIR/PS
« C’est un grand évènement pour le Burkina Faso. C’est un jour véritablement béni en ce sens qu’il est l’aboutissement d’une Transition réussie. Le président Roch Marc Christian Kaboré a prononcé un discours rassembleur qui invite tout le monde à la tâche. Beaucoup de chantiers attendent les nouvelles autorités et nous ne pouvons que le féliciter et lui souhaiter beaucoup de courage dans ce mandat qui s’annonce apparemment sans trêve».
Dr Seydou Ra-Sablga Ouédraogo, société civile
« Les attentes du peuple sont énormes. Il y a d’énormes besoins qui ont été exprimés à divers niveaux. Le système de santé de notre pays est complètement à terre, l’université et l’éducation nationale sont dans un état désastreux. On a une situation difficile au niveau de l’économie avec beaucoup de jeunes qui n’ont pas d’emploi et des travailleurs qui ont des conditions difficiles. Le milieu rural est également dans des conditions extrêmement précaires. Il lui appartient de dire quelles sont ses priorités, et qu’il s’engage dans un chantier absolument important. De sorte qu’on ait effectivement en 2020, un héritage de ce mandat qui soit intéressant et qui permet de dire, voici d’autres priorités, mais il y a des éléments qui ont déjà été résolus. Il y a une chose qui est intéressante dans ce qu’il a indiqué. C’est la question de l’autorité de l’Etat et je pense que c’est indispensable. La question du civisme est une très bonne chose. Sur la réconciliation et la justice, il a bien parlé. Mais je demeure toujours attentiste pour voir dans l’action ce qui va se passer. J’espère qu’on aura un gouvernement très prochainement ».
Maxime Kaboré, président du PIB
« Le nouveau président a reçu l’onction populaire. Il est devenu le président de tous les Burkinabè sans exclusive. Nous prions pour ce pays qui mérite d’être développé, puisse être réconcilié avec tous ses enfants. Chacun doit travailler dans le sens de l’intérêt national. Il a prononcé un discours assez réconciliateur et rassembleur et de vérité aussi. Nous sentons qu’il affiche l’intention de changer les mentalités et cela doit être un nouveau départ pour tout le monde».
Ram Ouédraogo, candidat malheureux à la présidence
« En ma qualité d’ancien candidat à la présidentielle et de démocrate, je me dois de venir féliciter celui qui a gagné. C’est un acte démocratique et patriotique. Le nouveau président doit être un bon père de famille, s’occuper de tous les Burkinabè sans exception. Il doit oublier que sa candidature a été portée par un parti politique et s’occuper de l’ensemble de tous les Burkinabè».
Gilles Thibault, ambassadeur de France
« Nous avons assisté à une belle cérémonie avec beaucoup d’émotions, un discours de président évocateur. Je souhaite bonne chance au Burkina Faso qui va vers des nouvelles aventures et nous sommes sûrs que cette aventure va bien se passer parce qu’il y a un grand désir de paix, de réussite et de prospérité. La France est toujours prête à accompagner le Burkina Faso, elle était là pendant l’insurrection, pendant la Transition et elle est toujours là».
Gal Pingrenoma Zagré, chef d’Etat-major général des armées
« Ce sont des moments de très vives émotions que d’être témoin de cette passation de charges entre le président sortant et celui entrant au moment où le Burkina Faso, qui a fait une année difficile, vient d’investir un nouveau président qui a désormais à charge les destinées de la nation pendant les cinq prochaines années. Les défis sont immenses et c’est pourquoi, je formule des vœux de succès au nouveau président et à toutes les personnalités qui seront chargées de l’accompagner pendant ce mandat afin de répondre aux attentes de la population. Le président a fait un discours dans lequel il rend hommage à tous ceux qui ont payé un lourd tribut lors des évènements douloureux qu’a connus le Burkina Faso. Il a interpellé les différentes couches socioprofessionnelles par rapport à leur responsabilité et exhorté les Burkinabè à la réconciliation nationale».
Joséphine Ouédraogo, ministre de la Justice sous la Transition
« Je suis dans la joie de pouvoir assister à cette cérémonie importante d’investiture du nouveau président du Faso. C’est une fierté pour moi et pour aussi la Transition d’avoir pu passé la main dans des conditions paisibles et souhaite que 2016 soit une année de paix, d’apaisement des cœurs et de réconciliation entre les Burkinabè. Le nouveau président a pris des engagements pour l’avancement de la démocratie, de la liberté au Burkina Faso. Il s’est engagé à tenir compte de toutes les couches socioprofessionnelles dans sa gestion du pouvoir».
Me Hervé Kam, porte-parole du Balai citoyen
« J’ai entendu avec satisfaction que le président Roch Marc Christian Kaboré sera le président de tous les Burkinabè, qu’il œuvrera à l’unité nationale, à la prospérité du Burkina et à la bonne distribution des richesses entre les citoyens. Il s’est aussi engagé à œuvrer pour que les Burkinabè soient égaux en droits et ce que nous souhaitons, est qu’il tienne ses promesses pour qu’au bout de cinq ans, le peuple puisse dire qu’il a respecté ses engagements.
Cette cérémonie représente l’aboutissement d’une année de longue lutte pour voir la démocratie et le principe de l’alternance s’installer dans notre pays.
C’est donc un jour de récolte et je pense qu’à partir d’aujourd’hui, le peuple burkinabè peut déclarer qu’il s’est réconcilié avec son nom de « pays des Hommes intègres ».
Propos recueillis par Karim BADOLO et Lassané Osée OUEDRAOGO