La CGT-B vient de tenir son 6e congrès ordinaire à l'issue de laquelle vous avez passé la main à Bassolma Bazié. Quels étaient vos sentiments à l'issue du congrès ?
J'avais des sentiments de satisfaction.Satisfaction d'abord pour l'organisation et la tenue réussies du Congrès avec la participation de nombreux invités nationaux et internationaux à qui le congrès a été ouvert. Des activités en marge du congrès réalisées également avec succès, notamment la rencontre nationale des femmes, la rencontre syndicale internationale, la plage publique de rappel historique sur la construction des syndicats révolutionnaires à la création de la CGT-B. Cette plage a consacré le lancement de la commémoration du 25ème anniversaire de la CGT-B.
Satisfaction ensuiteparce que ce congrès, qui a connu une forte participation des structures et de leurs délégués, a examiné et adopté les documents d'analyses présentés par le Bureau national du congrès (BNC) sur les positions de la CGT-B sur les grandes questions au cours du mandat et renouvelé la direction confédérale en mettant en avant la relève, tels que prévu dans les objectifs de tenue dudit congrès.
Vous avez demandé à votre syndicat de base, le SYNTRAMHIG, de ne pas présenter votre candidature pour le bureau exécutif central de la Centrale à l'occasion de ce congrès. Qu'est-ce qui vous a motivé à prendre une telle décision ?
Déjà, je suis à la tête de la CGT-B depuis 25 ans, mais je suis dans l'activité syndicale de travailleurs depuis 35 ans dont 32 ans au sein des directions syndicales. Ensuite, je suis à la retraite au plan professionnel depuis le 31 décembre 2012 après 36 ans d'activités professionnelles. Tout cela vaut bien une retraite je pense !
Vous laissez la direction de la Centrale après 25 ans et au moment où le pays fait face à des enjeux importants de son histoire étant donné que le président Blaise Compaoré est à quelques mois de la fin de son dernier mandat alors que tout indique qu'il veut forcer pour se maintenir. D'aucuns ne sont pas loin de penser à une abdication de votre part au regard des défis qui se présentent!
Ah bon !!! Je suis bien étonné. Décidément, il y a des gens qui tournent et qui retournent leurs positions, analyses et leur regard singulier sur la CGT-B, ses fédérations et syndicats professionnels et ses dirigeants. On a parfois lu et entendu des interrogations sur Tolé Sagnon, Nanéma Raphael, Barro Mamadou, comme étant des inamovibles à la tête de leurs structures... Bref !
C'est vrai, le contexte national aujourd'hui est susceptible d'évolutions brusques ! Mais vous savez, tout le long des vingt-cinq ans, j'allais dire des 32 ans dans les directions successives des syndicats, le contexte national a connu bien des évolutions aux conséquences parfois dramatiques sous les régimes d'exceptions du CMRPN, du CSP, du CNR et du Front populaire. Même en régime d'Etat de droit de la IVème République, la situation nationale a connu bien des évolutions violentes. A l'occasion de ce parcours, nombre de mes camarades militants et dirigeants dont moi- même, avons connu et subi bien de brimades : clandestinité, arrestations, détentions, tortures, exclusions, suspensions, licenciements, etc. sans compter les impacts sur les conjoint(es) et les enfants. Non, je n'ai pas abdiqué. Je suis parti à la retraite et la CGT-B m'a gratifié en m'élevant au sortir de ce congrès au rang de « Président d'honneur» de la CGT-B et de « 1er Secrétaire Général, SEGAL d'honneur » ! J'en suis honoré !
Justement parlant de 2015, comment voyez-vous cette échéance ?
Je viens de le souligner, l'échéance de 2015 est susceptible d'évolutions brusques, incontrôlables. Voyez-vous, cette échéance n'aurait posé aucun problème aujourd'hui si depuis 1997, le pouvoir et ses courtisans n'avaient pas initiés les révisions constitutionnelles axées sur le verrouillage de fait du processus démocratique dont entre autres, la question de la limitation des mandats présidentiels. Mais malheureusement dans les années 90, nous n'étions pas nombreux à tirer fort sur la sonnette d'alarme, encore moins à marcher dans les rues !
Un débat sur l'alternance s'est installé sur la place publique au milieu de l'année 2013. Comment concevez-vous l'alternance ?
Pour moi, le débat qui vaut la peine d'être mené aujourd'hui est la nature du changement attendu par notre peuple. Si l'alternance à la tête de l'Etat signifie changement de personne pour la remplacer par une autre personne du même système qui va mettre en œuvre les mêmes politiques de dépendance, les mêmes politiques économiques, en quoi cela servira-t-il les intérêts du pays réel qui se retrouve dans les rues ? Non, ce n'est pas ce qu'attend notre peuple.
Pensez-vous que l'opposition actuelle peut opérer le changement en 2015 ?
De quel changement et de quelle opposition parlez- vous ? Je prends un risque, j'en suis conscient, en donnant un avis, et certains s'élèveront encore pour dire que je veux que Blaise s'éternise au pouvoir ! Mais, si vous parlez de l'opposition regroupée au sein du Chef de file de l'opposition politique (CFOP) et qui veut remplacer Blaise Compaoré et son système électoral par la voie électorale, elle a encore des soucis à se faire, en commençant par régler la question des candidatures en son sein !
En déclarant le 20 juillet au meeting de la Coalition contre la vie chère (CCVC) qu'il ne faut pas changer pour changer, d'aucuns ont pensé que vous êtes partisan du statu quo. C'est-à-dire le maintien au pouvoir de Blaise Compaoré et son système !
Ceux de bonne foi qui l'ont pensé ainsi n'ont pas vu juste. Le statu quo n'est pas conforme à ma vision de la société. Parce que les choses changent et évoluent chaque jour sous nos yeux. Je ne suis donc pas partisan du statu quo, encore moins de présidence-à-vie à la tête de l'Etat. Justement, nous avons précisé que changer pour changer sans s'attaquer au système n'est pas le changement qu'il faut !
Que faut-il faire pour procéder à un changement tel que vous le concevez et qui actuellement peut réaliser ce changement ?
De mon point de vue, le changement approprié et qui sera favorable aux travailleurs et au peuple, est celui qui s'attaquera et remettra en cause, la gouvernance économique actuelle basée sur le libéralisme, qui remettra en cause la gouvernance politique qui garde notre pays dans un carcan de dépendance, même s'il est vrai, qu'aucun pays ne peut vivre en autarcie. Ce changement viendra du peuple burkinabè organisé et mobilisé !
La CGT-B se réclame du syndicat révolutionnaire de lutte de classes. Pensez-vous qu'une révolution est encore possible au Burkina ?
La révolution est possible dans tous les pays capitalistes, y compris le Burkina Faso, le capitalisme n'étant pas immuable, vous le savez aussi bien que moi. Mais comprenons- nous bien, ce n'est pas un syndicat, fut-il la CGT-B, révolutionnaire de lutte de classes, qui fera la révolution. La CGT-B reste une organisation de masses avec ses limites objectives ! Les dirigeants de la CGT-B sont bien conscients des limites d'organisation de masses de cette organisation.
Le CDP, le parti au pouvoir, fait l'actualité avec la démission des anciens barons du parti tels Roch, Salif et Simon. Qu'est-ce que cela augure ?
C'est une crise interne connue depuis quelques temps déjà qui est sur la place publique aujourd'hui. Et cela est dramatique pour un parti majoritaire et qui gouverne aujourd'hui. Cela augure de batailles peut-être dures, de groupes d'un même système, de caïmans d'un même marigot, pour le contrôle du pouvoir d'Etat. Et il faut s'en inquiéter parce que nul ne peut savoir à l'avance vers quelles situations nous conduiront ces luttes d'intérêts qui peuvent aller à des violences loin des intérêts de notre peuple ! C'est aussi une situation singulière, parce que les anciens barons du parti CDP, comme vous le dites, pourraient se retrouver dans les rues, tout comme ceux qu'ils considéraient comme des « pestiférés » des années 90 et 2000, marchant pour l'élargissement des libertés, pour dire NON au tripatouillage de la Constitution et pour plus de démocratie dans notre pays ?
Personnellement je les encourage tout particulièrement à marcher sur les zones rouges afin d'apporter leur contribution à la consolidation des libertés de réunions et de manifestations sur la voie publique.
Que pensez-vous de la politique du pouvoir en place?
Nous l'avons dit et écrit, le pouvoir de la IVème République est un maillon du système capitaliste-impérialiste en faillite qui tente de résoudre sa crise sur le dos des peuples du monde. Ce pouvoir met en œuvre des politiques de libéralisme tous azimuts avec des programmes d'ajustements structurels et ses variantes défavorables aux travailleurs et au peuple et qui engendrent pauvreté et misère pour ces derniers. En conséquence, des luttes populaires se mènent partout et dans tous les secteurs.
La CGT-B fait partie des organisations qui revendiquent les candidatures indépendantes. Pourquoi ?
Lorsqu'à la fin des années 90 (1997, 1998), nous revendiquions les candidatures indépendantes, d'aucuns avaient vu des ambitions cachées. C'était tout simplement pour approfondir la démocratie et corriger ce que nous avions appelé des incohérences, à savoir, candidatures indépendantes aux présidentielles et refus de candidatures indépendantes pour la conquête du pouvoir de proximité avec en prime, « la décentralisation intégrale » prônée et finalement mise en œuvre.
Vos militants veulent-ils briguer des mandats électifs ?
Les militantes et militants de la CGT-B sont des citoyens burkinabè. A ce titre, ils peuvent, s'ils le souhaitent, briguer des mandats électifs. Tous les partis politiques recrutent des militants dans les syndicats. Je ne connais pas tous les militants de base de la CGT-B, mais vous êtes sûrs qu'il n'y a pas aujourd'hui de militants de base de la CGT-B exerçant des mandats électifs ? Je rappelle que c'est un syndicat, une organisation de masses, qui se compose de militantes et militants qui y militent sur la base de leurs relations de travail, indépendamment de leurs opinions politiques, philosophiques et religieuses.
Plus de 25 ans de luttes, quels sont, selon vous, les acquis marquants de la CGTB ?
La CGT-B née il y a seulement vingt-cinq ans, en termes de vie d'une association, c'est beaucoup, mais pas extraordinaire, est aujourd'hui une réalité vivante dans le paysage syndical burkinabè. Elle est la centrale syndicale la mieux représentée au sein des travailleurs aussi bien dans le public que le privé. C'est un motif de grande satisfaction.
D'autres motifs de satisfaction peuvent être notés. Ainsi :
- Après vingt-cinq ans d'existence, de vie et de luttes actives, la CGT-B a certes connu des moments difficiles, mais elle a préservé son orientation de syndicalisme révolutionnaire alors qu'à sa naissance en 1988, elle était considérée, par ses adversaires les plus farouches, de phénomène éphémère qui n'aurait que six mois d'existence !
- La CGT-B a apporté et apporte toujours une grande contribution aux débats nationaux, au renforcement de la démocratie et aux luttes diverses des travailleurs et du peuple burkinabè ;
- L'Ecole Démocratique et Populaire (EDP), Ecole de la CGT-B, est l'expérience inédite de la CGT-B en vue d'une éducation de qualité au profit de tous les enfants du peuple. Elle couvre aujourd'hui les 13 régions du Burkina Faso avec ses 80 directions locales.
Quels sont les faiblesses ou insuffisances éventuelles de la CGTB que vous avez noté depuis son existence ?
La CGT-B ne dispose pas encore d'un siège confédéral à la hauteur de ses ambitions. Elle ne dispose que d'un local syndical et ça, c'est une insuffisance importante à corriger. Par ailleurs, la CGT-B doit continuer à renforcer ses capacités pour faire face aux fortes attentes des travailleurs de tous les secteurs d'activités.
La constitution actuelle autorise les candidatures indépendantes pour la présidentielle. La mouvance CCVC présentera-t-elle un candidat pour 2015 ou soutiendra-t-elle un candidat ?
La CCVC est composée actuellement d'organisations et réseaux de masses dont les syndicats, les organisations démocratiques de masses de femmes, de jeunes, de défense des droits de l'homme et des peuples, de journalistes, de lutte contre la corruption, et autres. Ce regroupement n'a pas débattu de la question des présidentielles 2015. En tant qu'entité d'organisations de masses, la CCVC ne peut présenter de candidat. Mais ses composantes peuvent en principe, selon leurs analyses du contexte, soutenir à un moment donné des acteurs politiques.
Vous êtes chef coutumier du canton de Karaborola, votre village. Pourtant, la littérature communiste et révolutionnaire ne voit pas cette institution d'un bon œil. Qu'est-ce qui a pesé dans la balance pour que vous transcendiez vos convictions doctrinales et idéologiques pour assumer cette responsabilité au niveau de votre communauté ?
Je ne rentrerai pas dans le débat idéologique et doctrinal tel que vous l'abordez.
Je m'en tiens au fait que je suis un chef de canton désigné par consensus avec la participation des chefs de villages, des notables et des ressortissants résidents hors du canton. Cette fonction n'est pas acquise par filiation ni de clans. Les coutumes et autres rites ne font pas partie des attributions officielles de la fonction de chef de canton de Karaborola. D'autres responsables bien distincts s'en occupent.Les cantons dans nos contrées, ont été créés par l'administration coloniale qui nommait les chefs de cantons. Ces chefs travaillaient pour l'administration coloniale. Après le dernier chef de canton nommé, les autres qui ont suivi dont moi- même sont désignés par les populations elles – mêmes.
J'ai accepté cette fonction parce que j'ai été sollicité et parce que je pense pouvoir apporter ma touche.
Vous êtes promotionnaire au chef de l'Etat Blaise Compaoré depuis le cours normal. Quels liens avez-vous entretenus entre vous ?
En fait, il s'agit de l'Ecole Normale de Ouagadougou (actuel lycée Bogodogo) et non le Cours Normal qui était un autre établissement. Nous nous connaissons en effet depuis cet établissement secondaire comme bien d'autres. Il aimait et aime toujours le sport je pense, tout comme moi. Nos liens étaient à ce niveau. Après les formations de base militaire à Bobo (contingent spécial des années 71, 72, ...) qui étaient obligatoires, il a choisi l'armée et certains de ses camarades de l'EN comme moi, sont restés dans le civil. Nos rencontres jusque – là sont officielles. Il n'y a pas de liens bien particuliers entre le Président Compaoré et moi!
Participerez-vous à la marche de l'opposition le 18 janvier contre le sénat et la révision de l'article 37 ?
Je m'en tiendrai à la décision de mon organisation.
Interview réalisée par Touwendinda Zongo
Mutations N°45 du 15 janvier 2014