Situation politique nationale : Et l’armée dans tout ça ?

| 09.05.2014
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Situation politique nationale : Et l’armée dans tout ça ?
© DR / Autre Presse
Situation politique nationale : Et l’armée dans tout ça ?
La situation politique nationale ne laisse pas indifférent. Dans cette tribune publiée dans le Journal Mutations N°51 du 15 avril 2014, M. Aly Samba Ouédraogo s'interroge sur la place de l'armée face à cette agitation politique qui risque de prendre de l'ampleur au fur et à mesure que s'approche l'échéance de 2015.Lisez plutôt.
L'armée burkinabè est-elle républicaine ? On est tenté de le penser, au regard de son attitude face aux évènements politiques qui se succèdent ces derniers mois dans notre pays.

Cette attitude, essentiellement caractérisée par le mutisme, le silence, voire l'indifférence face à l'agitation des politiciens civils et l'ébullition de l'arène politique, a de quoi étonner. Dans un pays où l'armée a toujours été habituée à jouer les premiers rôles, le tournant politique que nous nous apprêtons à prendre marque-telle une rupture dans la relation qu'entretient notre armée avec la politique ? Cette situation de silence est-elle réelle ou est-elle simplement apparente ? Qu'est-ce qui peut l'expliquer ? Est-elle faite pour durer ? Comment et pourquoi ? Voila autant de questions auxquelles nous allons tenter d'apporter des éléments de réponses dans le présent écrit. Mais il convient, avant d'examiner la situation actuelle, de faire un bref rappel des rapports entre l'armée et la politique dans notre pays durant les premières années de notre indépendance.

1966-1990 : L'armée au pouvoir

L'armée burkinabè est probablement celle qui en Afrique noire s'est le plus mêlée de politique dans les trente premières années des indépendances. Durant cette période, l'armée, s'étant saisie des leviers de commande gouvernementaux, a été l'élément régulateur de la vie politique. Pourtant, curieusement, c'est le peuple voltaïque, qui, le 3 Janvier 1966, l'a introduite dans l'arène politique. Avant cette date, l'armée s'occupait de ses missions traditionnelles et l'exemple venu du Togo où le 13 janvier 1963, un sergent nommé Etienne Gnassingbé avait conduit une escouade qui avait assassiné le président Sylvanus Olympio et pris le pouvoir, ne semblait pas l'inspirer. Le régime présidentiel du président Maurice Yaméogo cependant, s'il avait été démocratique et progressiste au départ, avait vite connu une déviation avec de nombreux excès qui auraient pu justifier l'intervention de l'armée. Mais il a fallu attendre donc le 3 Janvier, pour que les syndicalistes, les élèves et autres Voltaïques de toute classe et de tout bord, crient : « L'armée au pouvoir » pour que l'armée se voie confier « provisoirement » le pouvoir par le président civil Maurice Yaméogo. La suite, on la connait. Pendant vingt cinq ans, l'armée va occuper le devant de la scène politique, militarisant le pouvoir d'Etat, slalomant entre régimes d'exception et intermèdes démocratiques. Tous les évènements importants de la vie politique burkinabè ont été le fait de l'armée ou rendus possibles d'une certaine façon par sa volonté. Sans sa volonté, il n'y aurait pas eu le régime parlementaire de la 2ème République, le régime de la 3ème République, ni même la Constitution de juin 1991 et le régime de la IVème République. Sans l'armée, il n'y aurait pas eu de tentative de Renouveau national en 1974-76, de Redressement en novembre 1980, de Salut public en 1982, de Révolution en 1983, de Rectification en 1987 et de démocratisation quatre ans plus tard. Certes, les civils ont toujours eu une certaine influence au sein des régimes militaires ; ils ont même parfois été associés étroitement à la gestion des pouvoirs militaires, mais l'orientation politique de ces régimes, la cadence étaient le fait des militaires. Comme on le voit, même la révolution a été rendue possible par un coup d'Etat orchestré par des militaires. Elle a été proclamée par les militaires. Ce sont les mêmes militaires qui ont démocratisé. Sur le chemin de la rectification comme de la démocratisation, là où les arguments de droit n'ont pas suffi, les lance-roquettes, les lance-flammes, les grenades et les mitraillettes de kalachnikovs ont fait le travail... Il faut noter au passage que sur la période, la Haute Volta, devenue entre temps Burkina Faso, ne fait pas vraiment exception. Des pays comme le Ghana, le Mali, le Niger, le Togo, le Tchad, le Bénin, la Centrafrique, etc. ont connu aussi cette irruption des militaires sur la scène politique, puis la monopolisation de cette même scène par ces militaires qui se sont réclamés de divers courants idéologiques. Les choses ont-elles vraiment changé depuis le retour à la démocratie ?

1991 : L'armée burkinabè à l'épreuve de la démocratisation

L'avènement de la démocratie devait signifier le retour de l'armée dans les casernes. Seuls les civils ou les militaires ayant renoncé ne serait-ce que momentanément au treillis pouvaient descendre dans l'arène politique. L'armée en tant qu'institution se devait d'être républicaine. L'idée d'armée républicaine renvoie à celle d'une armée, instrument du pouvoir politique, c'est-à-dire, comme l'écrit Jean Meynard, une armée qui est dans une situation de « subordination complète et inconditionnelle du pouvoir militaire au pouvoir civil. L'unique rôle de la force armée est de permettre à celui-ci de garantir l'ordre public interne et de défendre le pays contre l'ennemi extérieur. ». La Constitution du 2 Juin 1991 a voulu qu'il en soit ainsi en disposant à son article 52 que : « Le Président du Faso est le chef suprême des Forces Armées nationales... ». Mais les choses se sont-elles vraiment passées ainsi ? Il faut reconnaître qu'avec le processus de démocratisation enclenché en 1991, l'armée, en tant qu'institution, s'est progressivement retirée de la scène politique. Certes, des personnalités, militaires de formation et de carrière, ont été ou sont toujours au devant de la scène, occupant de haut postes électifs ou ministériels : Blaise Compaoré (à la retraite depuis quelques années), Djibril Bassolet, Arsène Bongnessan Yé, Joseph André Tiendrébéogo, Théodore Hien Kilimité, Laurent Sedogo, ou encore Yacouba Ouédraogo, etc. Mais le fait est que ces personnalités sont pour beaucoup en retraite de l'armée, et elles agissent en leurs noms propres et sont portées par des partis politiques classiques et non par l'institution militaire. L'armée qui a démocratisé semble vouloir jouer le jeu jusqu'au bout, même si en 2004, cette présumée tentative de coup d'Etat est venue nous rappeler que les militaires au pouvoir, ce n'est peut-être pas une histoire aussi révolue que ça. Du reste, certains hommes politiques, et pas des moindres, pensent que notre armée n'est pas tout à fait républicaine. Salif Diallo est de ceux-là. Au meeting du MPP tenu le 6 avril dernier au stade municipal de Ouagadougou, il a déclaré que : « L'armée sera réformée pour qu'on ait une armée soumise à la décision des civils démocratiquement élus », ce qui laisse penser que selon lui, au jour d'aujourd'hui, cette armée n'est pas tout à fait soumise au pouvoir civil. A quoi alors peut-on s'attendre dans les mois, les années à venir ?

2015 : l'arbitrage de l'armée ou le scénario catastrophe : une simple vue de l'esprit ?

On a pu observer un silence de l'armée face à la situation nationale. D'ailleurs, on peut dire que depuis 1991, l'armée n'a jamais pris officiellement la parole pour se prononcer sur l'actualité politique. Si on va plus loin, on pourra même observer qu'en général, l'armée n'intervient pas dans le débat politique. Lorsqu'elle s'y invite généralement, c'est pour suspendre la constitution, dissoudre les institutions, prendre les choses sérieuses en main et renvoyer les civils à leurs querelles infantiles. Dans ces conditions, le silence qu'elle a gardé jusque-là ne signifie pas grand-chose. L'armée peut, à tout moment, sortir de son silence et faire bruyamment irruption sur la scène politique avec les méthodes qui sont les siennes.

En principe, dans un Etat où l'armée est véritablement républicaine, il faudrait une menace exceptionnelle à la continuité de l'Etat pour que l'armée fasse irruption dans l'arène politique. Au Sénégal par exemple où l'armée a des rapports corrects avec la démocratie et l'Etat de droit, l'ébullition de la scène politique en 2011-2012 n'a pas entraîné l'irruption de l'armée dans le jeu politique. Rien ne nous permet d'en dire autant de l'armée burkinabè. Son autorité et sa respectabilité ont certes été durement ébranlées par les mutineries de 2011, mais il vaut mieux travailler à ne pas lui donner un prétexte.

Dans la situation actuelle de notre pays, rien ne nous dit que l'armée n'aura pas à intervenir. Les Médiateurs internes à la crise nationale, dans leurs scénarii de sortie à la crise révélés le 10 mars dernier, ont prévu ce qu'ils ont appelé : « Le scénario catastrophe : l'arbitrage de l'armée ». Pour les Médiateurs, ce scénario qui se réaliserait à travers un « coup d'Etat et l'avènement d'un régime d'exception » se produirait « en cas de grave désordre ». Pour eux, cela peut arriver avant ou après 2015 et tout le monde en sortirait perdant : instabilité, Etat d'exception, violations des droits humains, recul démocratique...

Ce scénario révèle quelque chose d'important qu'il faut garder à l'esprit : celui de la nécessité d'un prétexte pouvant permettre une intervention de l'armée. A priori, sans un prétexte, comme « le grave désordre » qui sera laissé à leur seule appréciation (sic !), les militaires n'interviendront pas. Mais puisqu'il ne s'agit que d'un prétexte, la condition peut être vite remplie. Ces dernières années en Afrique de l'Ouest, trois présidents qui étaient en fin de mandat ou en cours de « lenga » ont vu leurs pouvoirs ravis par les militaires au détriment des civils : Lansana Konté en Guinée, Mamadou Tandja au Niger et Amadou Toumani Touré au Mali.

Certes, les conditions d'intervention de ces trois armées dans la scène politique étaient différentes ; les raisons avancées, sur la forme aussi. Mais dans le fond, elles se résument toutes au manque de démocratie, au dysfonctionnement des institutions, l'incapacité des civils à maintenir l'ordre et à assurer la sécurité du territoire face aux menaces extérieures réelles ou supposées, etc. Ce qui s'est passé ailleurs peut bien se passer ici. Les hommes politiques de tout bord devraient donc travailler à ne pas donner de prétexte à l'armée.... De grâce donc, n'entrainez pas le pays dans une situation qui peut ressembler de près ou de loin à un « grave désordre » !

Aly Samba Ouédraogo Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

In MUTATIONS N° 51 du 15 avril 2014

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