L'échec presque programmé des médiateurs autoproclamés sous l'égide de l'ancien Président Jean-Baptiste Ouédraogo, les arguties de l'hybride Front républicain, la division au sein de la majorité présidentielle entre d'une part l'ADF/RDA et les autres « mouvanciers » autour de la relecture de l'article 37 de la Constitution, la clairvoyance et l'intransigeance de l'opposition dans sa quête de l'alternance, les louvoiements du CDP qui sillonne villes et campagnes à la reconquête d'une base incertaine devenue ondoyante sont autant de signes que la situation sociopolitique s'enfonce dans l'incertitude. Tous les voyants sont donc au rouge et tous les regards tournés vers le palais de Kosyam. Comme à ses habitudes, Blaise Compaoré reste silencieux. Il cherche, sans doute, les voies et moyens de se sortir de l'impasse. Il a encore deux cartes en mains : d'une part, une passation heureuse et paisible des charges avec un successeur librement élu par le peuple en 2015, en oubliant le tripatouillage de la Constitution, et d'autre part, un forcing pour se maintenir au pouvoir. Tout milite pour le premier cas de figure. Compaoré n'a plus objectivement les moyens politiques de tenter un forcing qui comporte plus de risques pour le pays et pour lui-même. Toutefois, il n'est pas homme à renoncer facilement. Il se battra jusqu'au bout comme nous l'avons déjà écrit dans nos précédentes éditions. Seulement, à force de traîner les pas et de louvoyer, il pourrait finir par fermer toutes les portes d'une sortie honorable.
La dernière manœuvre qui risque d'échouer lamentablement, comme elle a commencé, c'est cette médiation atypique aux méthodes douteuses. Ses acteurs non plus peinent à convaincre l'opinion de leur crédibilité et même de leur légitimité. Il est vrai que la présence dans ce groupe de médiateurs autosaisis, de Monseigneur Paul Ouédraogo, fait planer le doute sur une possible collusion entre eux et le Président Blaise Compaoré pour opérer un deal sulfureux qui relancerait l'enfant terrible de Ziniaré. Mais pour autant, l'on ne peut s'empêcher de se poser des questions sur l'opportunité, le mode opératoire et la pertinence de cette initiative. En effet, les trois médiateurs sont tous membres du Collège de sages mis en place en 1999 par le même Président Blaise Compaoré. Le 4e qui n'en était pas membre (le Pasteur Samuel Yaméogo) a jeté l'éponge. Tous les observateurs de la scène sont témoins du dévoiement progressif des acquis issus des travaux de ce Collège de sages par le même pouvoir. Il aurait fallu que la médiation commence par faire le point de l'application des recommandations du Collège de sages, situer les responsabilités sur les manquements et enfin obtenir des garanties que tous les protagonistes de la situation actuelle, à commencer par le Président Compaoré, se soumettront aux termes du compromis qui sortira de la médiation.
Quand les médiateurs mettent en danger leur propre crédibilité
Pire, la médiation commence par faire des propositions avant même d'entendre les protagonistes. Et ces propositions sont en elles-mêmes porteuses de radicalisation des positions des protagonistes. En effet, sur quelle base objective la médiation peut-elle proposer aux acteurs politiques une transition apaisée au terme du mandat constitutionnel actuel de Blaise Compaoré ? Est-ce lui qui en est demandeur de cette transition non prévue par la Constitution du Burkina Faso ? Si oui, il faut l'affirmer clairement parce que la médiation ne peut pas endosser les ambitions d'une partie.
Une autre incongruité de la médiation qui fait jaser tant de Burkinabè porte sur cette complaisance déroutante relativement au respect de la Constitution. En effet, les médiateurs proposent le respect de la Constitution en l'état à travers la non-révision de l'article 37 et la mise en place d'un Sénat aménagé. Une façon de diviser la poire en deux. Ça manque de courage et ça rend la démarche très douteuse. L'idéal aurait été que les médiateurs écoutent les protagonistes, facilitent les négociations avant de parvenir à un accord. Ils ne devraient logiquement pas avoir des propositions à faire qui n'émaneraient pas des négociations. En cela, les médiateurs étaient mal partis pour réconcilier les positions suffisamment radicalisées au cours de ses derniers mois. Bien au contraire, ils donnent la preuve d'avoir des positions qu'ils veulent faire endosser par les parties.
En outre, en procédant par communiqués laconiques pour rendre compte de chaque round de la médiation, le groupe de médiateurs a fait le choix d'une demi-transparence. Si cela l'avantage de permettre à l'opinion publique de savoir les positions de départ des différents protagonistes et les évolutions au fil des rencontres, il faut craindre que ça ne pousse les acteurs à s'y accrocher pour ne pas donner l'impression à leurs bases respectives de trahir leurs engagements publics.
En fin de compte, les médiateurs se retrouvent dans une délicate situation de devoir prouver leur crédibilité et leurs capacités à assumer la mission qu'ils se sont assignée. En exigeant de la majorité un mandat du président du Faso, l'opposition est sans doute dans son bon droit. D'autant plus que la médiation n'apporte aucune garantie que les résultats engageraient le Président Blaise Compaoré et qu'il respectera enfin sa parole. Car, tout le monde le sait, le problème aujourd'hui, c'est Blaise Compaoré. La solution c'est aussi lui. Tout le monde sait aussi que la majorité qui siège à la table des médiateurs ne peut pas prendre une décision qui s'imposera à Blaise Compaoré. A défaut d'avoir sa présence effective (ce qui aurait été souhaitable), il est indispensable d'avoir sa caution écrite. A la limite, il aurait été judicieux d'avoir ses contributions écrites qui précisent sa lecture de la situation, ce qu'il attend de la médiation et les compromis auxquels il serait prêt à s'engager. Jusque-là, ses engagements sont annoncés par les médiateurs qui disent avoir obtenu de lui qu'il renonce à la révision de l'article 37 et le souhait d'un Sénat aménagé. Même là, il nous revient que Blaise Compaoré aurait dit à la délégation de la majorité qu'il n'avait jamais pris ces engagements avec la médiation. Dans ces conditions, il devient impératif de tirer les choses au clair et avant toute reprise. L'opposition a raison donc d'exiger une caution écrite de Blaise Compaoré.
Blaise Compaoré veut-il encore ruser ou a-t-il réellement revu ses ambitions à la baisse ?
Si l'on en croit à la médiation, Blaise Compaoré semble revoir ses ambitions à la baisse. En lieu et place d'un pouvoir à vie, il en est maintenant à négocier une sortie honorable. Il serait bienheureux si cela peut s'accompagner d'un « lenga » (bonus) de deux ans dans le cadre d'une transition apaisée. Faut-il en rire ou en pleurer ? Le tout-puissant Blaise Compaoré qui a régné pendant plus d'un quart de siècle est en train de négocier une sortie honorable. Lui dont les partisans vantent les mérites de grand artisan de la démocratie burkinabè, de garant de la paix et de la stabilité au Burkina Faso, de grand médiateur qui peut à lui tout seul maintenir toute la sous-région ouest-africaine dans la paix, veut négocier une sortie honorable. Avec autant de glorieux succès nationaux et internationaux, une sortie honorable ne s'impose-t-elle pas d'elle-même ? A-t-il vraiment besoin d'une transition, si son œuvre de construction d'une démocratie apaisée au Burkina est si parfaite ? D'où vient cette idée de transition apaisée avec en sus un bonus de deux ans au Président Compaoré ?
C'est à ne rien comprendre. Cela pourrait vouloir dire que le président du Faso, prenant le contrepied de tous ces griots du palais, reconnaît l'échec du processus démocratique qu'il a façonné et veut se donner les moyens de redresser la barre. Dans ce cas, il aurait encore besoin de temps pour parfaire les institutions et de se réconcilier avec son peuple qui lui pardonnerait toutes les fautes commises et lui remerciera de son œuvre au service de la collectivité. Mais, il pourrait s'agir d'une ruse pour se donner le temps de préparer sa succession par celui qu'il aurait choisi. Car, en l'étape actuelle de la situation sociopolitique nationale, l'opposition est bien partie dans la course à la succession de Blaise Compaoré, si bien sûr, la perspective d'une présidentielle en 2015 est maintenue. Aussi, celle-ci se refuse-t-elle à accepter toute transition qui permettrait à Blaise Compaoré de rester à Kosyam au-delà de 2015. Pour elle, si transition il doit y avoir, elle devrait commencer maintenant.
Dans le fond et au regard de l'état actuel du processus démocratique et des institutions républicaines, la nécessité d'une transition s'impose. Mais il faut bien qu'elle ait pour seul et unique but de refonder toutes les institutions républicaines, à travers une relecture consensuelle de la Constitution. Une telle transition ne devrait pas excéder l'horizon temporel du mandat actuel de Blaise Compaoré à qui toutes les garanties de sécurité et d'une retraite paisible devraient être données. Elle pourrait être conduite par un gouvernement d'union nationale avec un Premier ministre issu de la société civile (en tout cas non partisan) et investi de pleins pouvoirs pour conduire la transition. La Constitution pourrait être relue pour être expurgée des dispositions qui posent problème et permettre une sanctuarisation de l'article 37 afin que désormais, il ne vienne à l'esprit d'aucun Président de vouloir modifier la Constitution pour s'offrir plus de deux mandats. La transition devrait permettre aussi une réflexion inclusive de l'ensemble des composantes sociopolitiques nationales sur l'amélioration des conditions de vie des populations et sur la nécessité de redonner un nouveau souffle au processus de décentralisation pour responsabiliser davantage les collectivités territoriales dans l'élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques. On pourrait également y intégrer une refonte de l'armée burkinabè pour la rendre plus républicaine et plus unie. On règlerait alors la question du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) qui donne l'image d'une armée dans l'armée.
S'il est un chantier que Blaise devrait achever avant de partir, ce serait bien de consacrer ces derniers mois de son mandat à une telle transition. Comme l'affirme chaque fois le ministre des Affaires étrangères : « Le chef de l'Etat, conscient de la situation, ne fera rien qui vise à mettre en cause les acquis de notre pays. Tout ce qui fonde son action, c'est de léguer à la postérité une société bâtie sur un socle de stabilité et résolument tournée vers le progrès. » Si tel est véritablement le fondement de son action, il n'a pas besoin d'un bonus. Il a encore du temps pour le faire. Il lui suffit de se convaincre lui-même qu'il n'y a pas que dans le fauteuil qu'il peut rendre service à son pays.
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Une atmosphère sociopolitique intenable
Le Burkina Faso s'enfonce, chaque jour un peu plus, dans l'incertitude. Si l'on n'y prend garde, l'on risque de rater l'opportunité historique que le contexte actuel offre à l'ensemble de la classe politique et particulièrement à Blaise Compaoré de réconcilier l'Etat avec la société. D'autant plus que l'administration publique est de plus en plus confrontée, en ces moments d'incertitudes, à des luttes acharnées entre le CDP et le MPP pour le contrôle de l'appareil de l'Etat. Ces luttes virent parfois en règlements de comptes honteux et infantilisants. Même dans les mairies, le petit personnel subit cette haine cordiale entre anciens copains.
Les milieux des affaires n'échappent pas à ces tentatives de musèlements par ceux qui contrôlent pour l'instant cet appareil d'Etat, en l'occurrence certains dignitaires du CDP. Presque tous les opérateurs économiques sont sous surveillance. Il ne fait plus bon dans ce milieu d'être proche de Roch Marc Christian Kaboré, Salif Diallo, Simon Compaoré, etc. L'atmosphère est très pesante. La bataille est devenue plus rude entre les compagnons d'hier qu'avec l'opposition traditionnelle. Toutes ces batailles qui relèvent de la culture et des pratiques du système Compaoré n'apportent aucune réponse aux questions essentielles qui sous-tendent la crise. L'on semble avoir abandonné la quête de réponses pertinentes et réalistes à la médiation autosaisie. Pendant ce temps, chaque camp affûte ses armes, dans l'espoir de pouvoir surprendre l'adversaire, même s'il faut poignarder les médiateurs.
L'autre trouvaille qui a tout autant du mal à affirmer son utilité politique et sociale dans le contexte actuel, c'est ce fameux Front républicain. C'est vrai que ça redonne à certains politiciens l'impression de revivre et de retrouver la scène. Mais stratégiquement, ça ressemble fort à un non-événement. C'est sans doute ce qui explique le courroux de certains contre la presse qu'ils accusent de vouloir se substituer au peuple.
Le renfort espéré de cette opposition bien burkinabè ne semble pas nullement pouvoir infléchir la tendance des rapports de forces actuels. Plus rien ne semble fonctionner du côté des roublards du pouvoir. La machine est grippée, pour ne pas dire qu'elle est foirée. Il y a très peu de chance que tous les apprentis mécaniciens qui accourent à Kosyam ou dans les environs ne soient de simples racketteurs, profiteurs devant l'éternel de la détresse des rois. Comme l'a dit, un des militants du MPP dans un entretien accordé à notre confrère Lefaso.net, « c'est la saison des récoltes ». Ils sont donc nombreux à vouloir récolter le maximum, d'autant plus que ça risque d'être la dernière saison pour eux.
Pendant donc que tout sera mis en œuvre pour étouffer ceux qui refusent de cautionner la marche forcée vers un pouvoir à vie, l'on se montrera trop généreux pour tous les flatteurs et autres flagorneurs. L'argent circule beaucoup en ce moment dans certains milieux. Pourvu que ça ne dérape pas dangereusement.
B.O