Difficile de ne pas émettre cette inquiétude. Du reste, l'ONG International Crisis Group tirait la sonnette d'alarme en juillet 2013 en indiquant que, «pour la première fois depuis 1987, la question de la succession du président burkinabè était ouvertement posée. La Constitution interdit en effet à Blaise Compaoré, au pouvoir depuis plus d'un quart de siècle, de briguer un nouveau mandat en 2015. Sa marge de manœuvre est très étroite. S'il respecte la loi fondamentale, sa succession risque d'être difficile tant il a dominé la vie politique et fermé les possibilités d'alternances. S'il modifie la Constitution et se porte candidat à un cinquième mandat consécutif, il prend le risque de déclencher un soulèvement populaire comme celui qui a fait vaciller son régime au premier trimestre de l'année 2011».
En voilà un diagnostic qui apporte de l'eau au moulin des anti-modification de l'article 37. Mais qui ne doit pas plaire à ceux qui sonnent le rassemblement pour le référendum dont la convocation ne serait qu'une question de jours. Malgré l'assurance des partisans du Blaiso national désormais galvanisés par les sorties de terrain de leur «idole», une interrogation reste toujours en suspens: dans quel état le Burkina ira-t-il ou n'ira-t-il pas à cette consultation référendaire? Le pays a-t-il les moyens de payer le prix des dégâts collatéraux qui surviendraient d'un choc entre les deux camps antagoniques?
Le Burkina politique semble avoir franchi un pas en direction de ce virage dangereux que tout le monde redoutait tant. D'abord, dans la cité de Naaba Kango, considérée à tort ou à raison comme le fief incontestable de Salif Diallo, un ex-baron devenu opposant non seulement au Blaiso, mais surtout à tout projet de déverrouillage de la Constitution. C'est justement l'organisation d'une conférence publique sur ce sujet brûlant qui a failli mettre le feu aux poudres à Ouahigouya.
Incident prémédité ou simple hasard? A regarder de près le scénario qui a obligé les organisateurs de cette manifestation à la terminer en queue de poisson, on peut soutenir que les ingrédients d'un clash y étaient bel et bien réunis. Décidés à en découdre avec leurs adversaires politiques, les partisans du Blaiso et de son projet de référendum avaient visiblement fait le déplacement à la recherche d'une occasion de passer à l'acte. C'est un secret de Polichinelle que d'affirmer que le contrôle de la ville de Ouahigouya représente un enjeu important pour le pouvoir et l'opposant. Plus que la ville de Zorgho -fief de Roczilla, ex-baron et président du MPP -, où le Blaiso est déjà allé pour une escale symbolique qui continue de faire couler beaucoup d'encre et de salive.
Quand on sait que l'enfant terrible de Ziniaré se prépare à rééditer l'exploit de la «provocation» dans le supposé fief de Salif Diallo, on comprend alors l'excès de zèle de certains partisans, nécessairement instrumentalisés, pour empêcher l'autre camp de tourner en rond. Ceci explique pourquoi les esprits se sont facilement enflammés samedi dernier alors qu'il n'y avait vraiment pas de quoi faire monter la température sociopolitique. Une semaine avant, le tonitruant fondateur du Parti de la renaissance nationale (Paren) qualifiait le projet de modification de l'article 37 de «péché». C'était au cours d'une conférence publique qui s'est tenue à la Maison des jeunes Jean-Pierre-Guigané à Ouagadougou. Jusqu'à l'heure où nous traçons ces lignes, aucune fatwa n'a été prononcée contre Laurent Bado. L'homme continue de boire tranquillement sa bière à Pissy.
Si des partisans du Blaiso peuvent s'emporter aussi subitement à Ouahigouya au point d'interrompre une conférence publique, c'est bien parce que la période actuelle est propice à la montée des tensions entre pro et anti-référendum.
Comme si tout cela ne suffisait pas pour confirmer le virage dangereux, la mort présumée suspecte du magistrat Salifou Nébié, sur la route de Sapouy, pardon de Saponé, achève de convaincre que les vieux démons sont de retour dans la faune politique burkinabè. En tout cas, si les enquêtes viennent à révéler que ce membre du Conseil constitutionnel, qu'on dit proche de l'opposition, notamment du MPP, serait Kaf'cidenté pour ses opinions politiques, on ne devrait pas être surpris de voir des manifestations tendant à dénoncer un «assassinat politique». Ce qui ne sera pas fait pour arranger le contexte déjà délétère dans lequel le Blaiso et ses partisans foncent, coûte que coûte, pour organiser leur référendum.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'actualité politique de la semaine écoulée tend à confirmer les prévisions de l'International Crisis Group. Faut-il laisser le pays arriver au point de non-retour du cycle d'intolérance sociale et politique pour conjurer le sort? Faut-il abandonner le Faso à la merci de ces événements qui vont nécessairement s'accélérer au fur et à mesure qu'on se rapprochera de la fin du mandat du Blaiso?
F. Quophy