Le fameux conseil extraordinaire des ministres a en effet pris la décision de soumettre à l'Assemblée nationale un projet de loi portant révision de la Constitution. Le compte rendu fait état de la convocation d'un référendum en vertu de l'article 163 de la Loi fondamentale, mais c'est à se demander si les architectes législatifs du pouvoir ne veulent pas faire d'une pierre deux coups, car si leur projet démocraticide obtenait la majorité qualifiée des trois quarts de l'hémicycle (ce qui supposerait un soutien franc et massif de l'ADF-RDA et l'absence d'une cinquième colonne en leur sein), on ferait du même coup l'économie de la consultation populaire (article 164 de la Constitution).
C'est donc maintenant acté. Alea jacta est. Oui, le sort en est jeté. Finis les atermoiements, le chef de l'Etat a choisi de se jeter à l'eau après l'échec du dialogue inclusif qu'il a initié il y a quelques semaines avec ses opposants si tant est que son choix ne fût pas déjà fait. En réalité, entre une opposition qui ne voulait pas servir de faire-valoir et qui partait de ce fait aux pourparlers à reculons et un Blaise Compaoré qui voulait se donner bonne conscience, il n'y avait plus place pour une quelconque négociation, dont le sort avait été scellé avant même d'avoir commencé. L'échec somme toute prévisible de la démarche présidentielle n'aura donc été qu'un joli prétexte pour mettre en scène un scénario écrit depuis belle lurette ; une grosse arnaque politique qui remonte au Cadre de concertation sur les réformes politiques (CCRP).
Comme chacun le sait, le locataire du palais de Kosyam a toujours eu une grosse envie de prolonger son bail ad vitam aeternam, question de terminer ses chantiers, convaincu qu'après lui, c'est le déluge. Comment pourrait-il d'ailleurs ne pas succomber à ce culte de l'indispensabilité que professent à tue-tête ses thuriféraires parfois au bord du délire verbal. A l'image de ce bon maire de Zawara qui, parce qu'il vient d'avoir un pont promis depuis un demi-siècle, sombre dans la démesure en proclamant que «Blaise Compaoré est notre dieu, et notre messie c'est Luc Adolphe Tiao». Or un dieu, il est forcément éternel. Le premier magistrat burkinabè ne pouvait donc fatalement que céder aux chants de ces sirènes qui seront pourtant les premiers à tourner casaque si la roue de l'histoire devait tourner. Ainsi que L'Observateur paalga l'écrivait (déjà) après le premier tripatouillage, «il ne leur reste plus à ces malins (les députés CDP Ndlr) qu'à réciter quotidiennement au saut du lit la prière suivante : au nom de Blaise, de Yé (Bongnessan) et du saint-fauteuil présidentiel, amen !» (1)
Ce qui vient de se passer est donc une demi-surprise même si dans leur naïveté de nombreux Burkinabè caressaient le secret espoir que même si «le Neymar du Burkina» prend certes un malin plaisir à laisser ses contempteurs mijoter dans leur propre jus, le moment venu, il se garderait bien de faire le match de trop. Hélas, ça doit être plus fort que lui et puisque, foi de Blaise Compaoré, ils sont majoritaires dans ce pays, «cette majorité va imposer ses choix» en se lançant dans une aventure dont on se demande bien comment elle va se terminer.
Car maintenant qu'il a franchi le Rubicon, et alors que ses partisans qui le pressaient de rendre l'affaire officielle au plus tôt ont dû sabler le champagne hier, la question se pose désormais de savoir quelle sera l'attitude des antiréférendum, à commencer par le Chef de file de l'opposition politique et ses camarades, qui donnent aujourd'hui même une conférence de presse. Hier en début de soirée, le MPP a tenu une réunion de crise sur les derniers développements de la situation nationale. Vont-ils se contenter de regarder sagement le président du Faso boire jusqu'à la lie la coupe du tripatouillage ou vont-ils tenter d'y faire pièce par tous les moyens ? Et à quel prix ? Ce sont là autant d'interrogations qui nourrissent une légitime crainte de voir la paix sociale menacée, simplement parce qu'après 28 ans de règne, l'homme fort de Ziniaré refuse de sortir par la grande porte. Dieu seul sait pourtant si les cimetières sont remplis de personnes indispensables ou qui se croyaient telles.
Ousséni Ilboudo
(1) cf «Billets craquants»dans L'Obs. paalga n°4337 du 03 février 1997 page 22