Le Pays : L'UNDD vient de publier dans la presse une contribution sur la mise en place du Sénat. Dans l'exposé des faits, vous parlez du risque de vide institutionnel que court le Burkina. Pouvez-vous revenir de façon plus concise sur ce point ?
Noël Yaméogo : Nous sommes arrivés à cette conclusion suite à un constat factuel, qui s'impose par l'ordre des choses actuellement. Depuis que le bicaméralisme a été adopté par l'Assemblée nationale, le fonctionnement simultané des deux chambres devient une disposition constitutionnelle. Toute loi devrait désormais faire l'objet d'une lecture par les deux chambres. Par exemple, actuellement, aucune révision de la Constitution ne peut être valide sans le Sénat. Il se trouve que le Sénat dont la composition est inscrite dans la Constitution, ne peut être composé car certains membres n'ont pas envoyé les noms de leurs représentants. Il y a risque que l'Assemblée ne puisse fonctionner ; et si tel est le cas ; c'est la panne institutionnelle. C'est cette éventualité que nous mettons en débat national pour que tout un chacun assume ses responsabilités.
A la lumière du communiqué du président du Faso invitant le comité de suivi à produire un rapport circonstancié d'ici le 31 août, quelle est la marge de manœuvre pour éviter le blocage dont vous parlez ? Explicitez davantage les solutions que vous avez proposées.
Il faut travailler à amener ceux qui sont hostiles à la mise en œuvre du Sénat, ou du moins à sa mise en œuvre dans les conditions actuelles, à accepter des compromis pour éviter le blocage du fonctionnement de nos institutions. Vous savez, dans l'affaire du Mali, le président Blaise Compaoré a fait accepter une promesse de règlement du problème du Nord pour après les élections. Nous pourrions éventuellement nous en inspirer pour éviter ce vide juridique. L'approche référendaire est aussi une possibilité que nous pourrions exploiter, sans oublier la constituante qui est, depuis longtemps, une proposition de notre parti.
Si la loi organique instituant le Sénat est déjà votée, il se pourrait que tous les textes d'application n'aient pas été pris et que la loi organique n'ait pas été promulguée dans toute son entièreté. S'il y a donc un échéancier dans l'application de cette loi, on peut envisager des modifications pour les domaines non touchés par la promulgation. On peut aussi, et nous l'avons proposé, attendre du Conseil constitutionnel qu'il nous sorte du pétrin en décidant que l'Assemblée nationale peut continuer à siéger seule, vu la situation. Pour tout dire, à l'UNDD, nous ne voyons véritablement que deux solutions claires : 1) la constituante ; 2) le Conseil constitutionnel.
Certains spécialistes du droit, notamment Abdoul Karim Sango, pensent qu'« il n'y a aucun problème constitutionnel à suspendre ou abroger la loi sur le parlement. Tout comme l'Assemblée avait, en son temps, adopté cette loi, elle peut, en application du parallélisme des formes, l'abroger, empêchant, du même coup, l'existence effective de la deuxième chambre ». Que répondez-vous à cela ?
On a rien à perdre sinon tout à gagner en tentant d'éclairer l'action par la réflexion ; encore faudrait-il que ce soit la bonne, la réflexion respectueuse des évidences et qui ne soit ni spécieuse ni immergée dans une hautaine immaturité politique. La question actuelle du Sénat peut se résoudre en respectant la Constitution ou en la violant, et tant qu'il y a un moyen de régler un trouble social ou politique par le droit, il n'y a pas de justification à sacrifier le droit. L'UNDD a proposé des solutions de sortie de crise. Certains parlent de parallélisme des formes : le Conseil constitutionnel a validé des lois votées par la seule Assemblée nationale ; il y aurait donc jurisprudence ! Non seulement les retournements de jurisprudences, ça existe, mais il faut se poser les questions suivantes : les lois en question ont-elles été votées du temps du monocamérisme ou du bicamérisme ? ; Ensuite, l'ont-elles été avant le contrôle de conformité du Conseil constitutionnel et avant la promulgation de la loi organique ?
Les réponses à ces questions valideraient ou non la thèse du parallélisme des formes. Enfin, à supposer même qu'on puisse abroger la loi organique, cela n'entraînerait pas la suppression du Sénat qui existerait toujours de par la Constitution. Ce que nous disons, c'est qu'il faut, comme toujours en pareil cas, se résoudre à envisager deux cas possibles : la saisine du juge constitutionnel dont le rôle est de nous dire quoi faire quand il y a menace de vide constitutionnel ou d'atteinte à la Constitution et la saisine du juge souverain (le peuple) lorsque devant une situation de confusion constitutionnelle, il faut refonder les institutions.
Si la mise en place du Sénat doit être traitée comme une question éminemment politique, que proposerait l'UNDD dans ce sens ?
Dans beaucoup de pays qui connaissent une régression de la force du droit, on constate une progression du primat des questions éminemment politiques sur la Constitution. Distiller dans les consciences la normalité de la violation de la Constitution par ce que le politique tiendrait la loi suprême en l'état, c'est détruire le socle sur lequel repose la démocratie : la supériorité de la volonté du peuple souverain. C'est cultiver l'incivisme, l'insécurité juridique et, partant, compromettre la sécurité collective. Rentrer dans cette logique, c'est poser comme principe qu'à chaque fois que les forces politiques y trouveront intérêt, elles pourront conclure des accords sur le dos du peuple. C'est ignorer la portée de l'article 166 de la Constitution : "La trahison de la patrie et l'atteinte à la Constitution constituent les crimes les plus graves commis à l'encontre du peuple". Des circonstances aggravantes doivent, à mon sens, être retenues contre les spécialistes ou professionnels du droit qui l'encouragent. L'UNDD estime d'autant plus dangereuse la malignité d'un tel esprit que des voies de sortie de crise existent : référendum, constituante, Conseil constitutionnel. A la limite, la logique, dirais-je, c'est de changer de Constitution lorsqu'elle ne convient pas. Ce n'est pas d'instaurer le droit de violation consensuel de la loi suprême.
Certaines personnes pensent que votre sortie est plutôt opportuniste et qu'elle vise à trouver une porte de sortie au président Blaise Compaoré dans cette situation de rejet du Sénat par une partie non négligeable de la population. Dites-nous, quel est l'objectif de l'UNDD après avoir soutenu dès le début le pouvoir dans cette démarche ?
Si nous cherchons une porte de sortie, ce n'est pas pour servir quelqu'un en particulier, pas même Blaise Compaoré. Notre préoccupation, c'est comment éviter un blocage institutionnel. Dans toutes les démocraties du monde, elles sont utilisées à chaque fois que de besoin, dans un souci de réajustement institutionnel, de dénouement de crises. S'il se fait que Blaise Compaoré y trouve son compte, ce sera incidemment, par ricochet. Notre objectif, c'est de défendre nos convictions : la démocratie consensuelle, le pacte transversal, la transition apaisée, le Sénat dans le respect du consensus dégagé à l'occasion du CCRP (dont nous étions demandeurs dans le cadre de la refondation), le rôle du Conseil constitutionnel, la constituante que nous demandons depuis 2009. Voilà la démarche que nous soutenons dans le respect des opinions divergentes. Si d'aventure le président s'y montre sensible, nous ne cracherons pas dessus. Quant à l'accusation d'opportunisme, nous la renvoyons à ceux supposés avertis qui devraient donc savoir que le président n'a, en la circonstance, aucun pouvoir de suspendre le Sénat ou de le supprimer, et qui entraînent des Burkinabè sincères mais non initiés dans ce piège sordide.
Propos recueillis par Boundi OUOBA