Nation : Quand on utilise la démocratie contre la démocratie

| 14.02.2014
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Nation : Quand on utilise la démocratie contre la démocratie
© DR / Autre Presse
Nation : Quand on utilise la démocratie contre la démocratie
Au Burkina Faso, la conception généralement partagée que l'on a de la politique rend pratiquement utopique l'avènement d'une démocratie vraie. En effet, la politique est perçue comme un instrument d'ascension sociale. On y entre le plus souvent pour satisfaire des intérêts égoïstes et bassement matériels. Et tous les moyens sont mis en œuvre pour y parvenir. Tout laisse croire que l'adage moralement critiquable, qui veut que la fin justifie les moyens, a inspiré bien d'acteurs politiques. Cet affaissement moral qui est au fondement de l'action politique, pourrait expliquer les dérives en matière de démocratie auxquelles l'on assiste aujourd'hui.

 

On prend l'essentiel pour l'accessoire et l'accessoire pour l'essentiel

En effet, en matière de gouvernance politique en général et de démocratie en particulier, certaines pratiques observables dans le pays, démontrent à souhait que le Burkina est en train de toucher le fond. D'abord, au plan institutionnel, si l'on s'en tient à l'apparence des choses, l'on pourrait être tenté de dire que tout est parfait. Toutes les institutions propres à une démocratie sont physiquement présentes. C'est d'ailleurs au nom de cette démocratie institutionnelle que certains acteurs politiques ferraillent pour mettre en place un Sénat qui, à leurs yeux, est prévu par la Constitution. Visiblement, ils font une lecture partielle et intéressée de la Constitution. Dans le même temps, les tenants de cet argumentaire feignent d'oublier que dans la même Constitution, par exemple, une disposition prévoit que tous les Burkinabè sont égaux devant la loi. Ce principe, qui est au cœur même de l'Etat de droit, est loin d'être une réalité au Burkina. Bien au contraire, l'on peut avoir l'impression que la loi est appliquée dans toute sa rigueur aux justiciables lambda et est royalement ignorée lorsqu'il s'agit de gros bonnets qui, le plus souvent, ont des accointances avec le pouvoir. Ces atteintes majeures à la Constitution laissent de marbre les princes qui nous gouvernent. Par contre, lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre des aspects de la Constitution dans lesquels ils trouvent leur compte, ils n'hésitent pas un seul instant à faire feu de tout bois pour les réaliser. C'est le cas de l'installation du Sénat, dans un contexte de paupérisation généralisée, pour lequel, l'on peut faire appel à des personnalités douteuses venues d'ailleurs, censées incarner la science politique diffuse, pour administrer aux populations de véritables leçons magistrales sur les institutions politiques. Décidément, le moins que l'on puisse dire, c'est que l'on utilise l'esprit de la démocratie contre la démocratie. L'on peut avoir l'impression que l'on prend l'essentiel pour l'accessoire et l'accessoire pour l'essentiel. En effet, ce qui est utilisé au quotidien, c'est l'emballage de la démocratie. Son contenu, ses vertus, ses contraintes relèvent du superfétatoire. Les choses sont telles que, si l'on devait se limiter à une évaluation au premier degré de l'état de la démocratie au Burkina, l'on décernerait un satisfecit à nos gouvernants. Une appréciation au second degré pourra permettre de découvrir le visage hideux d'une démocratie qui, en réalité, est une vaste supercherie.

Le scrutin de liste permet aux partis politiques d'imposer aux populations des coquins et des copains

L'autre argument qui accrédite la thèse selon laquelle, le Burkina touche le fond de l'abîme en matière de démocratie est relatif à l'organisation des élections. La démocratie qui, par définition, est le pouvoir du peuple, est en réalité vécue au Burkina comme une ploutocratie ; une mascarade éhontée dont seules les républiques bananières ont le secret et la formule. Les achats de conscience et les fraudes se font à ciel ouvert et dans une impunité déconcertante. Pour preuve, un individu rachetant des cartes d'électeurs à 27 500 F CFA l'unité (tout une fortune !) s'est fait prendre le 12 février dernier dans l'arrondissement 4 de Ouagadougou. Et de fait, d'où est sorti cet argent ? Pauvre contribuable burkinabè ! Franchement, l'on devrait avoir honte de sauter le champagne suite à des victoires électorales acquises dans ces conditions. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Ces pratiques attentatoires à la démocratie et à la morale semblent avoir la peau dure. A l'occasion de chaque scrutin, elles s'observent sous nos yeux. Elles sont d'autant plus difficiles à combattre qu'elles sont le fait, le plus souvent, du parti au pouvoir. La paupérisation et le bas niveau d'instruction des populations constituent pour elles un terreau idéal pour prospérer. Enfin, un autre manquement à la démocratie au Burkina pourrait être lié au mode de scrutin. En effet, le scrutin de liste permet aux partis politiques d'imposer aux populations des coquins et des copains qui n'auraient eu aucune chance d'exercer un mandat électif si le mode de scrutin avait été uninominal. Tout se passe comme si on redoutait le choix libre des citoyens. Dans ce registre, l'on pourrait être fondé à croire que le rejet des candidatures indépendantes participe de cette stratégie qui, en réalité, consiste à faire la démocratie sans le peuple. Dans un contexte marqué par la fraude et les achats massifs de conscience, l'on peut comprendre le peu d'intérêt que certains citoyens accordent aux élections. Ils ont peut-être tiré les enseignements des propos imagés et cyniques de l'ancien ministre de l'Education de Houphouët Boigny, Bala Kéita, qui disait en substance : « En Afrique, un bout de papier ne peut pas élire un président ».

Pousdem Pickou

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