Me Appolinaire Kyelem De Tambèla, avocat à la Cour : « Il sera difficile à un autre régime de faire autant que le CNR au Burkina »

| 23.05.2014
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Me Appolinaire Kyelem De Tambèla, avocat à la Cour : « Il sera difficile à un autre régime de faire autant que le CNR au Burkina »
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Me Appolinaire Kyelem De Tambèla, avocat à la Cour : « Il sera difficile à un autre régime de faire autant que le CNR au Burkina »
Le général Aboubacar Sangoulé Lamizana qui a dirigé le Burkina de 1966 à 1980 est le meilleur des six présidents que le pays a connu. Blaise Comporé, à la tête du pays depuis le 15 octobre 1987 et jusqu'à de nos jours, est le dernier de la classe.
Le classement est de l'avocat Appolinaire Kyelem De Tambèla, qui a, dans son livre « Thomas Sankara et la révolution au Burkina Faso : une expérience de développement autocentré » publié en 2012, établit le bilan des différents chefs d'Etat qui se sont succédé à la tête de l'ancienne Haute Volta aujourd'hui Burkina Faso. L'avocat qui est un docteur en sciences politiques a commencé sa carrière par l'enseignement universitaire. Il a été assistant au Trinity College de l'université de Toronto au Canada puis chercheur à l'université de Nice en France. Me Kyelem a enseigné à l'Université de Ouagadougou, l'Université Saint Thomas d'Aquin et à l'Ecole nationale d'administration et de magistrature (ENAM). Il a, par la suite, décidé de poursuivre une carrière d'avocat. Me Kyelem De Tambèla est avocat à la cour et est aussi auteur d'ouvrages tels que « L'Eventuel et le possible » paru en 2002 et « Relations internationales et souveraineté » publié en 2007. Me Appolinaire Kyelem De Tambèla est également le directeur du Centre de recherches internationales et stratégiques (CRIS).

Zoodomail : Comment avez-vous procédé pour établir le bilan des différents présidents du Burkina ?

Me Appolinaire Kyelem De Tambèla : Dans l'appréciation du bilan d'un chef d'Etat, il y a des critères à prendre en compte. Cela doit se faire de façon scientifique, c'est-à-dire avec des critères vérifiables et non contestables. Les critères pris en compte dans cette étude sont les conditions d'accession au pouvoir du chef de l'Etat, la situation nationale quand il accédait au pouvoir, le temps passé au pouvoir et les réalisations faites par ce chef d'Etat. Parmi les réalisations, il y a la protection des citoyens, la création et la redistribution des richesses et l'impact de la gouvernance.

Quelles sont les limites de votre étude ?

En menant l'étude ainsi, j'estime que c'est la meilleure façon d'apprécier de façon globale et objective le bilan d'un chef d'Etat. J'attends de recevoir les observations, remarques ou critiques en me montrant les limites ou pas de l'étude. Cela permettra d'enrichir le débat. Sinon tel que je l'ai conçu, c'est suffisamment ouvert pour englober le bilan d'un chef d'Etat.

Commençons alors par le premier chef de l'Etat. Quel est le bilan de Maurice Yaméogo (Ndlr : il a dirigé le Burkina Faso, Haute Volta à l'époque, du 5 août 1960 au 3 janvier 1966) ?

Côté réalisations, il y a la construction de l'Ecole nationale d'administration (ENA) qui est devenue l'Ecole nationale d'administration et de magistrature (ENAM) sous le Conseil national de la révolution (CNR) avec l'intégration de la formation des magistrats et le Centre hospitalier Yalgado Ouédraogo. Sur le plan économique, les travaux préparatoires de l'usine Voltex devenue Faso Fani à Koudougou ont commencé sous le régime de Maurice Yaméogo mais la concrétisation et l'inauguration ont été faites sous Aboubacar Sangoulé Lamizana.

Sur le plan de la gouvernance, c'était catastrophique. Quand le 3 janvier 1966, Maurice Yaméogo était chassé du pouvoir par la population, les caisses de l'Etat étaient vides. Il avait tout dilapidé. C'était un régime de m'as-tu vu, de dépenses ostentatoires et de villégiature. Maurice Yaméogo a pompé les caisses de l'Etat pour lui et pour sa propre famille. Il y a quelques années, un film a été projeté à l'Institut français et un spectateur a eu à dire que c'est Maurice Yaméogo qui a réalisé le rond-point des Nations Unies, donc il a réalisé quelque chose. Mais réaliser un rond-point dans une capitale, est-ce à mettre à l'actif d'un chef d'Etat ? Et encore, quel rond-point ? Le rond-point des Nations Unies actuel a été amélioré sous la révolution. Sous Maurice Yaméogo, c'était une élévation d'à peine 50cm et il y en avait que trois seulement à Ouagadougou. Un au rond-point des Nations Unies actuel, un autre au rond-point du 2 octobre devant l'ancien Prytanée militaire du Kadiogo (PMK) aujourd'hui lycée Marien N'Gouabi et un au rond-point de la cathédrale. Ce sont des petites élévations qu'on appelait rond- point.

Au point de vue économique, on ne peut pas citer quelque chose de tangible de fait sous Maurice Yaméogo. Il avait bénéficié des réalisations laissées par la colonisation. L'imagerie populaire croit qu'il a fait quelque chose tout en oubliant que la situation a été dilapidée au fur et à mesure.

Qu'en est-il du Président Général Aboubacar Sangoulé Lamizana (Ndlr : il a été à la tête du Burkina du 3 janvier 1966 au 25 novembre 1980) ?

Aboubacar Sangoulé Lamizana a passé plus de temps au pouvoir que Maurice Yaméogo. Il a eu un bilan beaucoup plus éloquent. Lamizana n'a jamais violenté personne. C'est un président qui a respecté l'être dans ses libertés. Ceci est fondamental dans le bilan d'un chef d'Etat. C'est la raison pour laquelle, je le classe parmi le premier des présidents que le Burkina a eus. La première richesse d'une Nation ce sont ces hommes. La première richesse d'un homme est sa vie. Le premier devoir d'un chef d'Etat est de protéger ses concitoyens. Le deuxième devoir est d'améliorer la vie de ses concitoyens. Sur ce point, Lamizana a la palme d'or. Il a respecté les libertés individuelles et collectives des Burkinabè.

Sur le plan de la gouvernance, c'est sous Aboubacar Sangoulé Lamizana qu'on a procédé à l'assainissement des fonds publics avec comme ministre des finances, Tiémoko Marc Garango. Lamizana a mené une politique d'austérité pour assainir les finances publiques et les rendre excédentaires au bout de deux ans de présidence. Les Burkinabè oublient parfois cet aspect. Les anciens parlent de « Garangose » et pensent à ces mesures d'austérité et d'assainissement des finances. Lamizana a aussi à son actif ce qu'on a appelé la « Voltaisation » des capitaux. Il avait demandé à ce que les sociétés étrangères intègrent des nationaux dans leur actionnariat et leur conseil d'administration. Par exemple, on a la Banque nationale voltaïque (BNV) qui est devenue la Banque internationale de commerce, d'industrie et d'artisanat du Burkina (BICIA-B), la Banque internationale de l'Afrique de l'Ouest (BIAO) qui est l'ancêtre de la Banque internationale du Burkina (BIB) puis United Banque of Africa (UBA) actuelle. Il en a de même pour les sociétés étrangères auxquelles Lamizana leur a demandé une prise en compte des Burkinabè au sein de leur conseil d'administration et actionnariat. C'est à ce moment que les Libanais ont commencé à se naturaliser Voltaïque. Si vous prenez l'un des plus anciens de la place, Fadoul est devenu Ouédraogo si j'ai bonne mémoire. C'est à cette époque que pour faire prospérer leurs affaires, ils ont commencé à se naturaliser. Dans ce cas, ils n'avaient plus besoin d'intégrer des Burkinabè puisqu'ils étaient eux même des Burkinabè. C'est une politique de Lamizana. C'est depuis cette époque aussi que les hommes politiques de l'époque tels que Joseph Conombo, Joseph Ouédraogo, Gérard Kango Ouédraogo ont acquis des actions dans les sociétés et prennent goût à l'entrepreneuriat. C'est une mesure qui a contribué à donner une couleur nationale à l'économie du pays.

L'autre aspect du bilan de Sangoulé Lamizana, c'est qu'à son accession au pouvoir, il n'y avait aucune voie menant le Burkina Faso à l'extérieur sauf le chemin de fer Abidjan-Ouagadougou donc la Haute Volta de l'époque était liée de façon ombilicale à la Côte d'ivoire. On ne pouvait rien faire sans la Côte d'ivoire. Tout venait et passait par la Côte d'Ivoire. Lamizana, avec le soutien du Mouvement national de libération du Pr Joseph Ki Zerbo et le ministre des finances qui était entre temps Pierre Claver Damiba avec la dénomination à l'époque de ministre du Plan et du développement, a entamé une politique de desserrement de la Haute Volta vis-à-vis de la Côte d'Ivoire. Ils ont commencé à bitumer l'axe Ouagadougou-frontière du Togo et à ouvrir le port de Lomé pour le commerce international de la Haute Volta. Après la route Ouagadougou- frontière du Togo, il y a eu le bitumage des routes Ouagadougou-frontière du Ghana, Ouagadougou-frontière du Niger et Ouagadougou-Bobo. Aboubacar Sangoulé Lamizana a donc procédé à une ouverture du Burkina sur le monde extérieur.

Sous le Conseil national de la révolution (CNR), il y a eu ce qu'on appelé les Faso Yaar. Avant les Faso Yaar, il y a eu la Société voltaïque de commerce (SOVOLCOM) sous Lamizana. C'est ce que le régime actuel essaye de faire avec les boutiques témoins. L'objectif était d'amener les marchandises dans toutes les provinces du Burkina Faso au même prix. C'est-à-dire que quand vous achetez quelque chose à la SOVOLCOM de Ouagadougou, c'était le même prix à Koupéla ou à Fada N'Gourma. Sur toute l'étendue du territoire national, il y avait les produits de première nécessité à prix réduits. L'idée était très belle. Lamizana a mis en place l'aménagement des Volta Noire, Blanche et Rouge. A l'époque, il y avait la maladie du sommeil et l'onchocercose qui faisaient beaucoup de victimes. En accord avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le Président Lamizana a mis en place un projet de lutte contre ces maladies. Quand on a combattu l'onchocercose, les vallées étaient maintenant exploitables et l'Etat à encourager les Burkinabè à s'installer dans ces zones qui sont plus humides. C'est une politique qui avait un impact social considérable.

Pour encourager le développement rural, Sangoulé Lamizana a créé aussi ce qu'on a appelé les organismes régionaux de développement ORD). Il y avait onze organismes régionaux de développement répartis sur tout le territoire national et chaque organisme régional comprenait un ensemble de sous-préfectures. Avant Lamizana, pour téléphoner d'un endroit à un autre, on devait installer des poteaux électriques de Ouagadougou à la prochaine ville où le projet téléphonique est prévu. Par exemple, il fallait installer des poteaux électriques de Ouagadougou à Fada N'Gourma. A un moment donné, Lamizana a trouvé que c'était devenu archaïque et aléatoire parce qu'il suffisait la survenue d'un vent, qu'un poteau tombe et la communication était réduite. C'est sur ses instructions qu'on a installé les faisceaux hertziens. C'est ce qu'on a actuellement à l'ONATEL avec les grands poteaux. Sur tous les 50 ou 100 km, on a installé ces poteaux qui se relayaient. Les communications téléphoniques se passaient maintenant grâce au moyen hertzien.

Sur le plan économique, la création de la zone industrielle de Kossodo est l'œuvre de Aboubacar Sangoulé Lamizana. La Société sucrière de la Volta (SOSUV) qui est devenue la Société sucrière de la Comoé (SOSUCO) avec la sucrière de Beregadougou, la Voltex qui est devenue Faso Fani sont aussi ses œuvres. L'aéroport de Ouagadougou a été réfectionné en 1972. C'est lorsque le président français George Pompidou devrait venir à Ouagadougou que le salon d'honneur a été refait. Avant cette réfection, il n'y avait pas de salon d'honneur. Maintenant, il y a deux salons d'honneur, le salon d'honneur ministériel et le salon d'honneur présidentiel. Le salon d'honneur présidentiel a été construit lors du sommet France-Afrique. Le premier salon d'honneur et la première restructuration de l'aéroport de Ouagadougou ont été faits sous Lamizana. L'hôtel Silmandé est à mettre à l'actif de Sangoulé Lamizana et à l'époque c'est Joseph Conombo qui était Premier ministre. La création de la Caisse nationale de dépôt et des investissements qui allait devenir par la suite la BFCI puis la Société générale a été consacrée sous Lamizana. Cette caisse a été créée par Pierre Claver Damiba qui est devenu par la suite le premier Président directeur général de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et c'est lui-même qui a choisi le plan actuel du siège de la BOAD. La Caisse nationale de crédit agricole, qui est devenue la Banque agricole et commerciale du Burkina (BACB) puis Ecobank aujourd'hui, est à mettre à l'actif de Lamizana. La Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEAO) - l'ancêtre de la CEAO c'était l'Union douanière et économique de l'Afrique de l'Ouest (UDEAO) dont le siège était à Ouagadougou qui avait disparu et c'est sous Lamizana qu'on a confirmé le siège à Ouagadougou. La CEAO est devenue l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Le Comité inter Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS), c'est Lamizana qui a été à l'origine et à l'aboutissement de la création du CILSS dont le siège se trouve à Ouagadougou. Aboubacar Sangoulé Lamizana a créé aussi l'Office de promotion de l'entreprise voltaïque (OPEV) afin d'encourager l'entrepreneuriat. Le siège de l'OPEV est le site actuel de la direction générale des transports terrestres et maritimes (DGTTM). Actuellement, le monde qui grouille autour fait que la beauté du style architectural du bâtiment n'est pas très visible mais à l'époque c'était l'un des joyaux de la ville de Ouagadougou. La direction générale du Trésor c'est également l'œuvre de Lamizana. On peut aussi citer son œuvre de diversification de l'offre électrique avec la Centrale électrique Ouaga 2. Aujourd'hui, on ne peut pas apprécier l'importance de ce projet mais à l'époque c'était une grande œuvre par rapport à l'état et aux capacités d'intervention du pays.

Sur le plan social, l'Université de Ouagadougou a été mise en place sous Lamizana. Avant le régime de Lamizana, il y avait sans doute une ébauche d'université qui était l'Ecole normale mais c'est sous Lamizana qu'elle est devenue le centre d'enseignement supérieur en 1969 puis l'Université de Ouagadougou en 1974. C'est lui qui a construit le lycée technique de Ouagadougou qui porte aujourd'hui son nom à la Zone Du Bois, le lycée technique national Aboubacar Sangoulé Lamizana. C'est également lui qui a construit le lycée mixte de Gounghin. A l'heure actuelle, c'est négligeable, c'est même noyé dans la ville de Ouagadougou mais à l'époque, c'était le plus beau lycée de Ouagadougou en dehors du lycée technique, l'un des plus performants et la construction d'un lycée ne courait pas les rues. L'hôpital de Fada, c'est Lamizana qui l'a construit. C'est Lamizana qui a commencé à construire une zone résidentielle à l'extérieur de la ville. La zone Du Bois était à l'extérieur de la ville de Ouagadougou. Actuellement c'est encerclé dans la ville mais à l'époque c'était une zone hors de la ville. Il y a aussi le quartier Petit Paris à Gounghin. On l'appelait ainsi parce que les plus belles villas se voyaient là-bas et les routes étaient bitumées. C'était la classe supérieure et bourgeoise qui y était logeait et le nom est resté ainsi. On disait donc qu'ici, c'est Paris mais en petit. L'aménagement du canal du Mogho Naba appelé le Pont Kadiogo fait partie des œuvres du Président Aboubacar Sangoulé Lamizana. A l'époque, il n'y avait aucun aménagement. C'est sous Lamizana qu'on a aménagé. La SOCOGI, Société de construction et de gestion immobilière qui est devenue SOCOGIB qui a été rachetée par AZIMMO, c'est Lamizana qui a mis cela en place pour construire des maisons pour les classes moyennes et défavorisées. Le stade du 4-Août, c'est Lamizana, même s'il a été inauguré sous la révolution. Le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), c'est Lamizana qui l'a mis en marche. Le camp militaire de l'unité qui est devenue le camp Sangoulé Lamizana a été érigé sous sa présidence.

Sur le plan de la protection des citoyens, Lamizana n'a pas failli. Sur le plan des réalisations économiques et sociales, il y en a eu. Sur le plan de la redistribution de la richesse, on ne peut pas dire qu'il y en a eu parce qu'à l'époque il n'y en avait pas beaucoup de richesses. Le problème du bilan de Lamizana est que ses réalisations se sont étalées sur une quinzaine d'années donc l'impact sur la société n'a pas été très visible. Ce d'autant plus que la plupart des réalisations était centrée à Ouagadougou et dans une moindre mesure à Bobo-Dioulasso. Voilà un peu l'aspect négatif de la présidence de Lamizana.

Qu'en est-il du bilan de Saye Zerbo (Ndlr : il a dirigé le Burkina Faso du 25 novembre 1980 au 7 novembre 1982) ?

Il a eu le temps d'ouvrir la mine d'or de Poura et de lancer les travaux de construction du chemin du Sahel. Sur le plan social, Saye Zerbo a commencé à construire les établissements secondaires un peu partout dans le pays alors qu'avant il y en avait pas. Il a commencé la décentralisation administrative. Saye Zerbo a continué dans la réduction du train de vie de l'Etat du point de vue de la gestion. Il avait supprimé les jetons des administrateurs dans les conseils d'administration c'est-à-dire les représentants de l'Etat dans les conseils d'administration. Pour réduire le train de vie de l'Etat, Saye Zerbo a supprimé les jetons qui leur étaient reversés.

Il y avait un trop grand flux migratoire entre le Burkina Faso et la Côte d'ivoire. Saye Zerbo a voulu freiner cela parce qu'il estimait que c'était la force vive du Burkina qui partait se brader en Côte d'ivoire. Il avait instauré ce qu'il avait appelé les laisser-passer. Pour aller en Côte d'ivoire, il fallait donc un laisser-passer pour justifier qu'on avait de bonnes raisons de s'y rendre. On peut approuver ou désapprouver cette mesure mais il avait au moins une politique. Il y a eu des contournements et le système avait perdu de son efficacité.

Saye Zerbo avait aussi interdit la désertion des bureaux pendant les heures de service en décidant de la fermeture des maquis et débits de boisson. Pour cela donc, entre 7h et midi et 15h et 17h, les débits de boisson devraient être fermés. Il n'y avait que les week-ends qu'ils ouvraient. Pendant donc les heures de service, les débits de boisson devraient fermer. Bien sûr, il y a eu des contournements. De simples maisons sont devenues des débits de boisson et de bouche-à-oreille les gens savaient où se trouvaient les débits de boisson. Au moins, Saye Zerbo avait eu cette idée pour rendre l'administration plus productive. Sur le plan social, il a été le premier chef d'Etat à parcourir les villes et les campagnes du pays pour toucher du doigt les réalités du terrain. Quand il faisait ses tournées, en saison pluvieuse, il lui arrivait de s'arrêter, de prendre la daba et de cultiver avec les paysans. Il était appelé le président paysan. Même à Ouagadougou, Saye Zerbo est parti lui-même dans les caniveaux de l'hôpital Yalgado pour vérifier que le curage est effectif.

Quel est le bilan de Jean Baptiste Ouédraogo (Ndlr : il a été à la tête du pays du 7 novembre 1982 au 4 août 1983) ?

Il n'a pratiquement pas de bilan. Le bilan de Jean Baptiste Ouédraogo se résume au bilan de Thomas Sankara, Premier ministre, parce que ce dernier a conservé son poste du Conseil du Salut du peuple 1 (CSP 1) et du Conseil du Salut du Peuple 2 (CSP 2). C'est lui qui a pris en main la politique de développement du pays. Cela n'a pas duré, c'est passé rapidement du CSP 1 au CSP 2 puis au Conseil national de la révolution (CNR). Donc, en terme de bilan, c'est assez maigre. Sinon, c'est le bilan de Thomas Sankara.

Quel est donc le bilan de Thomas Sankara (Ndlr : il a dirigé le Burkina Faso du 4 août 1983 au 15 octobre 1987) ?

Si c'est sur le plan économique et social, c'est le meilleur régime au Burkina Faso. Malheureusement, la Révolution a beaucoup pêché pour ce qui est de la protection des citoyens. Il y a eu des morts inexpliqués sous la révolution. Il y a eu des atteintes aux libertés individuelles et collectives des citoyens et notamment les libertés d'association, politiques et syndicales. Les syndicats ont été malmenés. Les Comités de défense de la révolution (CDR) encadraient les citoyens en bon et en mauvais. Ce qui fait que sur ce plan de façon absolue, on ne peut pas dire que c'est le meilleur régime. Sinon en quatre ans, la révolution a envahi tous les domaines de la vie au Burkina Faso. Que ce soit sur le plan économique, financier, social, sportif et du changement des mentalités, la révolution a jeté les bases du Burkina Faso actuel et de l'avenir. Ce sera très difficile d'énumérer tout ce que le CNR a réalisé. Il sera difficile à un autre régime de faire autant que le CNR au Burkina Faso. N'eût été le fait que les citoyens ont été brimés dans leur droit subjectif et économique puisque la révolution restreignait la liberté économique des citoyens. Sinon pêle-mêle, il y a les réductions du train de vie de l'Etat, les coupures d'indemnités pour pouvoir investir et les contributions qui ont été demandées à la population pour les différents chantiers des batailles du rail et pour soutenir les sinistrés du Sahel. Il y a eu aussi l'effort populaire d'investissement. Le résultat est probant et encourageant.

Quel est le bilan de Blaise Compaoré (Ndlr : depuis le 15 octobre 1987 il est toujours le Président du Faso) ?

Blaise Compaoré est le moins bon des présidents. Pourquoi ? Ce régime a peu de respect pour l'un des éléments fondamentaux d'un président c'est-à-dire la protection des citoyens. Le Burkina Faso n'a jamais perdu autant d'hommes sur la base de leur appartenance politique que sous le régime de Blaise Compaoré. Il y a eu trop d'assassinats politiques pas autant que sous le CNR et de façon inexpliquée. Encore que sous le CNR, on ne savait pas qui commettait ces crimes parce que Thomas Sankara a fini par être fait lui-même. Les crimes se sont amplifiés. On a une centaine et même plus. Les plus célèbres de ces crimes sont Thomas Sankara et ses compagnons, Jean Baptiste Lingani, Henri Zongo (Ndlr : quand nous lui avons fait remarquer Jean Baptiste Lingani et Henri Zongo ont été condamnés à la peine de mort à la suite d'un procès, Me Kyelem s'est écrié : Quel procès ? Qui a assisté à ces procès ? Quel journaliste a assisté à ce procès ? Est ce que vous savez comment s'est passé le procès ? Est-ce qu'on a respecté les règles procédurales ? Tant qu'il n'y a pas eu de respect des textes, c'est un règlement de compte.), Clément Oumarou Ouédraogo, Dabo Boukary, Guillaume Sessouma, Norbert Zongo, etc. Les droits fondamentaux de l'être humain n'ont pas été respectés voilà pourquoi ce régime est le dernier.

Maintenant sur le plan économique, le projet ZACA, c'est Balise Compaoré qui a mise cela en œuvre mais l'idée est de la révolution. Blaise Compaoré a construit des échangeurs quoiqu'on dise, ça embellit la ville et fluidifie la circulation. C'est leur utilité sociale qui pose problème mais c'est un choix politique. Blaise Compaoré a continué dans le bitumage des voies par exemple Ouagadougou-Kongoussi, Ouagadougou-Koudougou, Ouagadougou-Léo, Dédougou-Bobo, etc. Beaucoup de voies ont été bitumées sous Blaise Compaoré. La production cotonnière s'est poursuivie et le Burkina Faso est devenu le premier producteur d'Afrique noire. La production minière s'est amplifiée. De grands projets ont connu leur concrétisation sous Blaise Compaoré. Il y a le barrage de Ziga qui approvisionne la ville de Ouagadougou en eau, de Bagré et de la Kompienga qui ont été entamés sous la révolution, le programme d'électrification rurale bien que ce programme a été conçu sous la révolution. Thomas Sankara avait conçu un programme d'électrification de tout le Burkina à l'horizon 2000.

La délocalisation des fêtes du 11-Décembre avec le cortège d'investissements dans les villes qui abritent la fête même si certains investissements sont discutables. Le projet de l'aéroport de Donsin qui est un projet de grande envergure même si sa réalisation est aussi discutable parce que vu le trafic aérien actuel, est-ce que c'était la peine de lancer un tel projet en ce moment. L'hôtel Libya qui existe et qui est une infrastructure hôtelière et touristique de grande envergure. Sur le plan social, on peut noter la construction des universités régionales (Bobo, Koudougou, Fada, Dédougou) De même, on a la décentralisation juridictionnelle et les tribunaux s'ouvrent un peu partout. Vous avez la construction de la cité Ouaga 2000 qui est reservée à la classe supérieure. On peut discuter de l'intérêt mais sa réalisation a été faite sous Blaise Compaoré. Vous avez les projets de cités relais Nioko 1, 2, Bassinko, Saponé. La Maison de la culture et le stade Omnisport à Bobo-Dioulasso.

Sur le plan administratif, il y a la réalisation de la communalisation intégrale et la régionalisation du pays qui sont des acquis incontestables. Sur le plan de la gouvernance, c'est très mauvais. La gouvernance est catastrophique. Il y a eu l'amplification de la corruption, du népotisme, du favoritisme qui entrave la marche du pays. Sur le plan de la redistribution des richesses, il n'y a jamais eu autant de cassure sociale au Burkina Faso que sous ce régime. Les autres présidents en dehors de Maurice Yaméogo avaient une vie très simple. Ils donnaient l'exemple. Lamizana avait une vie très simple, il a toujours vécu dans la maison qu'il occupait au camp militaire en tant que chef d'état major de l'armée, il a conservé les mêmes voitures pendant toute sa présidence. Il n'y a pas eu un enrichissement de la classe dirigeante sous Lamizana. Quand Saye Zerbo accédait au pouvoir, il a encore réduit le train de vie que menait Aboubacar Sangoulé Lamizana en commençant par son traitement salarial. Il était toujours dans sa voiture R16 de l'armée. A l'avènement du Conseil du salut du peuple, on a encore réduit le traitement du chef de l'Etat et des autorités administratives. Quand Thomas Sankara accédait au pouvoir, c'était le comble. Il n'y avait plus grand-chose pour les gouvernants. Lui-même ne percevait que son traitement de capitaine d'infanterie. Sur ce point, Pierre Ouédraogo (Ndlr : il était le responsable des Comités de défense de la révolution, CDR, durant le Conseil national de la révolution) qui est devenu capitaine après Thomas Sankara percevait un salaire plus élevé que lui parce que dans l'aviation, la rémunération est plus intéressante que dans l'armée de terre. Avec Thomas Sankara, il n'y avait pas de cassure sociale. Tout le monde vivait au même niveau surtout qu'on avait instauré le Faso Danfani et le consommons burkinabè.

Blaise Comaporé a hérité de tout cela et tout au long de sa présidence, il s'est évertué à distendre les couches sociales entre elles. A telle enseigne qu'il n'y a plus rien de commun entre les gouvernants et les gouvernés. Il loge à Kosyam dans un luxe pareil. Il y a très peu de palais de ce genre. Certes, c'est un acquis mais était-ce utile à une époque où il y a d'autres besoins à couvrir ? Les ministres ont des traitements inégalés. Dans un pays où le salaire minimum est d'à peine 35 000 francs CFA, on a des directeurs généraux qui gagnent près de deux millions de francs CFA et qui, à des moments, gardent leurs privilèges six mois après avoir cessé service. Est-ce normal ? Dans un pays comme le Burkina Faso, le Président du Faso a son avion personnel. Il fut une année où Blaise Comaporé était le chef d'Etat qui a le plus voyagé au monde (Ndlr, il relève que même s'il le savait, ce sont ses étudiants de l'Ecole nationale d'administration et de magistrature ENAM qui l'ont fait remarquer cela) dans un pays comme le Burkina Faso où le décollage seul de l'avion coûte au moins 30 millions de francs CFA. Avec Blaise Compaoré, il y a une cassure totale. D'un côté, les dirigeants qui sont riches et de l'autre côté, le peuple qui n'a plus rien. L'impact social du régime de Blaise Comporé est catastrophique.

Propos recueillis par Henry BOLI

Avec ZoodoMail

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