Laurent BADO : à propos de l’insurrection populaire : « Le pire n’est pas derrière nous, mais devant nous »

| 27.01.2015
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Laurent BADO : à propos de l’insurrection populaire : « Le pire n’est pas derrière nous, mais devant nous »
© DR / Autre Presse
Laurent BADO : à propos de l’insurrection populaire : « Le pire n’est pas derrière nous, mais devant nous »
Certains Burkinabè le qualifient de fou pour ses déclarations incendiaires, et pourtant, le professeur Laurent Bado, puisque c'est de lui qu'il s'agit, est un intellectuel lucide, qui dit tout haut ce que d'autres pensent tout bas. Dans l'interview qu'il a bien voulu nous accorder, le 16 janvier 2015 à son domicile à Ouagadougou, cet homme politique, comme à son accoutumée, n'a pas usé de la langue de bois pour apporter des éléments de réponses à nos questions, portant, entre autres, sur l'insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, la transition, les candidatures indépendantes, les émoluments des membres du Conseil national de la transition (CNT), etc. Pour ce professeur de droit public fondamental à la retraite, et fondateur du Parti pour la renaissance nationale (PAREN), Blaise Compaoré n'est pas seul responsable ni coupable des malheurs du Burkina, mais tous les Burkinabè, auxquels d'ailleurs il lance cet avertissement : « le pire n'est pas derrière nous, mais devant nous ». Lisez.


« Le Pays » : Comment avez-vous accueilli la chute de Blaise Compaoré ?

Laurent Bado : Ce n'est pas la chute de Blaise Compaoré, mais la chute du régime de Blaise Compaoré ; un seul homme ne fait pas un régime politique d'une trentaine d'années s'il n'a pas d'acolytes dévoués et de thuriféraires infatigables : Néron seul n'arriverait pas à brûler Rome pour composer un chant et Hitler seul ne pourrait pas organiser la Shoah ! Vous me comprenez bien, n'est-ce pas ? Blaise Compaoré n'est pas seul responsable ni coupable des malheurs de ce peuple. Tous sont fautifs : les ministres et les présidents d'institutions de Blaise Compaoré le sont par action (culpa in committendo), les intellectuels et les religieux, par omission (culpa in omittendo), les partis de la majorité présidentielle, par cupidité hyènesque, les jeunes et les analphabètes, par indignité coupable en acceptant d'être manipulés par leurs pires ennemis contre des espèces sonnantes et trébuchantes volées au peuple.

Vous êtes donc aussi fautif ?

Je suis l'un des moins fautifs de tous ! Fautif, parce que j'aurais dû dénoncer le régime à temps et à contretemps. Sans doute, j'allais augmenter le nombre de ceux qui me méprisent, qui me dénigrent, mais j'aurais probablement amené les gens de bonne volonté à se réveiller. Le moins, parce que je ne me suis pas tu, laissant à d'autres le soin de conduire la destinée du pays, en assistant en spectateur amusé à leurs entreprises ! Je vous demande de considérer ces faits :

- en octobre 1986, j'ai dénoncé les dérives totalitaires du Conseil national de la révolution (CNR) dans les colonnes de Sidwaya en m'attendant à être dégagé au moins, au plus à être assassiné ! Tous les autres citoyens se réfugiaient dans le silence et les lieux de culte.

- Blaise Compaoré m'a invité chez lui à Ziniaré le 5 octobre 1991 pour la première fois. Quand il m'a invité pour la troisième fois dans la villa de Ki-Zerbo, à côté de l'Assemblée nationale, il y a eu des étincelles :

Moi : « Monsieur le Président, en trois mois, vous m'invitez trois fois chez vous ! Je connais ce peuple ; il est crédule ; quand mes ennemis raconteront que je suis avec vous, la rumeur va se répandre que je ne suis pas indépendant d'esprit, sans parti politique et même que vous m'entretenez alors que je ne vous ai jamais aimé, je ne vous aime pas, je risque de ne jamais vous aimer ! »

Blaise (en col roulé bleu et pantalon noir) : « Je peux savoir pourquoi ? »

Moi : « A cause de vos mains ! »

Blaise : « Mes mains ! C'est-à-dire ? »

Moi : « Elles sont pleines de sang ! »

Blaise (se mettant debout au-dessus de moi) : « Voulez-vous répétez ! »

Moi (froid et me tournant vers lui) : « Vous ne m'intimidez pas. Vous m'invitez chez vous ? Alors, en bon fou du roi, je vous dis ce qu'il y a dans mon cœur ! »

Blaise (de nouveau assis et me regardant avec douceur) : « Et qui est-ce que j'ai tué chez vous ? »

Moi : « Mon grand frère Valentin Kinda ! »

Blaise, qui ignorait que j'avais un sang yadga et gourounsi à la fois, a pris son temps pour tout m'expliquer. Il a terminé en me disant qu'il n'est pas un universitaire comme moi, mais qu'il a l'expérience du pouvoir politique que moi je n'ai pas, donc de savoir que dans un régime comme celui-ci, il y a des gens qui prennent des initiatives et le chef est obligé de porter la casquette pour maintenir la cohésion.

Dès le lendemain, je suis allé me confier au curé de ma paroisse : « J'ai exagéré avec le Président du Faso hier. Comme c'est un flegmatique, c'est-à-dire, non émotif, actif, secondaire, il peut m'en vouloir. Donc, si dans les mois à venir, je meurs, vous pourrez analyser l'évènement autrement ». Mon curé m'a reconduit : « je n'ai rien entendu, je n'ai rien à voir dans cette histoire, ne me crée pas des problèmes ! ».

Avez-vous accueilli la chute du régime avec joie ou tristesse ?

La fin de ce régime est une chance historique pour le peuple de se relever, de se tenir debout et de commencer une marche audacieusement sereine vers le progrès et le bien-être pour tous. Tout a une fin, même les décadences !

« Le sort de Blaise Compaoré a été proportionnel à son entêtement asinien à vouloir conserver le pouvoir »

Il y a trois vices qui guettent tout dirigeant : la passion ardente du pouvoir à la manière de Néron, la froide cruauté à la manière de Caligula et la fourberie à la manière de Cromwell. Le sort de Blaise Compaoré a été proportionnel à son entêtement asinien à vouloir conserver le pouvoir. Mais, pas d'illusions : ses acolytes et ses thuriféraires doivent préparer son retour en personne ou par personne interposée ! Wait and see !

Il y a quelques années de cela, vous traitiez le peuple burkinabè de mouton. Ne pensez-vous pas que les choses ont changé aujourd'hui ?

Je ne traitais pas le peuple de mouton par mépris, par mauvaise éducation ! Je voulais l'éveiller, le conscientiser, le responsabiliser, car on ne peut pas développer un pays avec une masse d'individus pauvres et ignorants, abandonnés à l'exploitation des anacondas politiques, des monstres sans foi ni loi, sans idées ni idéal et qui n'ont pas une minute de lassitude comme les autres monstres dans l'ordre physique, mais avec un peuple de citoyens conscients et responsables, ayant la capacité de discerner et de se faire une opinion personnelle.

Ce peuple n'est-il plus mouton ?Je ne sais pas ; je sais seulement une chose : les jeunes qui ont bravé les balles les mains nues, sans peur et sans reproche comme Bayard, ont crié leur ras-le-bol contre l'injustice, les inégalités criardes, l'impunité, le chômage et, plus encore, l'absence de perspectives, d'espoir : ils ont compris que les morts d'aujourd'hui seront bien plus heureux que les vivants de demain ! C'était ça, octobre 2014 : la revendication d'un ordre nouveau, d'une nouvelle espérance ! Et il faut que ce sursaut débouche sur une conscience citoyenne ! Hélas ! Ce n'est pas encore le cas. Si on en était là, on ne continuerait pas à violer le code de la route, à faire des services publics des lieux où les agents qui arrivent tard le matin au bureau croisent à l'escalier ceux qui repartent tôt, à entretenir la corruption, etc.

Quel rôle votre parti (le PAREN) a-t-il joué les 30 et 31 octobre derniers ?

Veuillez vous adresser au président du PAREN pour cette question. Pour ma part, j'ai sacrifié le printemps de ma vie à donner des conférences (une dizaine par an !), des interviews, à publier des articles, des ouvrages, dans la seule intention de contribuer à faire de chaque Burkinabè un homo faber ! Ai-je été utile à cette jeunesse ?!

Pensez-vous qu'il faut poursuivre Blaise Compaoré en justice comme certains le demandent ?

En 27 ans, il y a eu des assassinats frankensteinesques, des trafics divers, notamment d'armes, des privatisations sauvages, de la gabegie, du, de la, des ... Tout cela doit être soldé ou notre pays, pauvre mais aimable à merci, et qui n'a pas eu un passé simple, qui n'a pas un présent indicatif, n'aura de futur qu'au conditionnel ! Juger les fautifs, les coupables, qui sont tous des frères à nous, sans les condamner, sans les sanctionner, surtout s'ils font le premier pas, voilà qui fera du Burkina un pays des Hommes intègres exemplaire.

Personnellement, j'aurais aussi souhaité que Blaise revienne au pays se mettre à la disposition de la Justice, expliquer ses actions ou ses omissions, demander pardon pour le mal qu'il a pu faire et pour le bien qu'il a refusé de faire. Tout le pays danserait au soir de ces confessions et là, c'est tout une autre société humaine qui naitrait dans les ruines de ce monde en putréfaction.

Comment avez-vous accueilli la demande de pardon du CDP et de l'ADF/RDA après la chute de Blaise Compaoré ?

Je les félicite. Mais qu'ils comprennent que ce n'est pas après la mort qu'on demande pardon à Dieu pour ses péchés ! Ils savaient très bien que l'immense majorité du peuple ne voulait plus du pouvoir de Blaise Compaoré et ils ont persisté et signé, même après la gifle honteuse du stade du 4-Août, en cherchant à se donner un comportement majoritaire avec l'achat des indignes dont j'ai parlé plus haut ! Voyez-vous, c'est à eux de prouver sur le terrain que leur regret n'a rien de théâtral, d'une tragicomique mise en scène. Mais, personnellement, j'incline à penser qu'ils pourront apporter du béton à la construction de la nouvelle démocratie burkinabè : j'ai confiance.

Ces deux partis ont été dans un premier temps frappés de suspension qui a été plus tard levée par le Président du Faso. Quel commentaire en faites-vous ?

Ces deux partis ont été sanctionnés et, en un laps de temps, la sanction a été retirée ! J'ignore les motifs de ces deux décisions ! Je me dis que le pouvoir étant une altitude où on a d'autres perspectives que dans les vallées de l'obéissance, les décideurs avaient leurs raisons !

Que pensez-vous de l'avenir du CDP ?

Je pense qu'il ne sera plus la Convention pour la Destruction du Pays (CDP) qu'il a été !

Quel regard portez-vous sur l'attelage Kafando-Zida ?

Je suis très loin de l'Olympe où résident nos principaux décideurs ! J'ai seulement confiance en eux, surtout qu'ils sont les premiers à savoir que l'échec n'est pas permis. Et ils n'échoueront pas s'ils continuent à écouter la société civile, à se comporter avec humilité.

Et quel regard portez-vous sur l'action de la transition telle que menée jusque-là ?

Il manque à la transition ce je ne sais quoi d'assez chaud, d'assez brûlant pour accompagner son action en profondeur et créer chez chaque Burkinabè une opinion nécessitatis du changement radical d'idées et de comportements. Par exemple, au lendemain du renversement du régime, je m'attendais à ce que la police, après avertissement et après la prise de mesures draconiennes à l'encontre de ceux qui ne respecteraient pas le code de la route, se déploie dans les carrefours et réprime cruellement : 30 000 F CFA pour toute infraction au code dont 15 000 F CFA revenant au policier et 15 000 F CFA à la police ! L'action de la transition sans manifestations extérieures est une âme sans corps. Il ne faut pas que le peuple doute à un moment donné de la volonté réelle de changement.

J'ajouterai ceci : le temps de la transition étant court, j'aurais souhaité que le peuple ait le programme d'action en mains : quelles lois changer, quels sont les crimes économiques et de sang à solder, quelles sont les institutions à revoir, etc. De cette façon, même si la transition n'arrivait pas à tout résoudre, le prochain pouvoir y serait lié. Je termine en me demandant pourquoi la transition n'a pas suspendu les activités partisanes, le temps de voir clair! Voilà que certains battent déjà campagne avec les moyens, les manières et les appuis de coutumiers, exactement comme sous le régime de la corruption institutionnalisée qu'ils ont servi, adoré, défendu jusqu'à ce qu'on les chasse d'une manière comme d'une autre! Cela ne présage rien de bon pour le renouveau démocratique.

La nomination de certaines personnalités à des postes de responsabilité a suscité des contestations. Quel commentaire en faites-vous ?

Les contestations sont la plus pure expression de la démocratie gouvernante. Bravo aux contestataires et bravo au pouvoir qui ne fait pas la sourde oreille à ces contestations. Je conseille seulement une chose aux contestataires qui se battent pour le non-retour aux erreurs, aux errements et aux fautes d'hier : qu'ils invitent le pouvoir à revoir telle nomination pour telle (s) raison (s) et non pas qu'ils fassent des injonctions au gouvernement qui finira par perdre toute crédibilité et toute autorité.

Des jeunes appellent à la candidature de Djibrill Bassolé qui fut un des bonzes de l'ancien régime. Quelle appréciation en faites-vous ?

Vous avez bien dit un des bonzes de l'ancien régime? Si donc, parmi tous les bonzes du régime, parmi tous les compagnons et amis de Blaise, c'est Djibrill que des jeunes, conscients et responsables, saluent comme la voie du salut, l'heureux changement dans la continuité, eh bien, il n'y a rien à dire. Le peuple en décidera en fin d'année. Mais tous les prétendants à la succession de Blaise devraient s'en convaincre ; le pire n'est pas derrière nous, mais devant nous.

Pourquoi dites-vous que le pire est devant nous ?

Pour les jeunes qui ont bravé les balles les 30 et 31 octobre derniers, il n'y avait plus d'avenir si Blaise se maintenait au pouvoir. Pour eux donc, il valait mieux mourir tout de suite que de mourir à petit feu. C'est pour cela qu'ils ont accepté la mort.

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