Imprimer cette page

Jean-Baptiste Natama au peuple burkinabé : « 2015, point de départ d’un nouveau contrat social »

| 16.01.2015
Réagir
Jean-Baptiste Natama au peuple burkinabé : « 2015, point de départ d’un nouveau contrat social »
© DR / Autre Presse
Jean-Baptiste Natama au peuple burkinabé : « 2015, point de départ d’un nouveau contrat social »
Depuis Addis-Abeba, où il dirige le cabinet de la présidente de la Commission de l'union africaine, Jean-Baptiste Natama s'adresse à la nation, à l'occasion du nouvel an 2015. Dans son message, « Monsieur Bonne gouvernance », comme on l'appelle dans certains milieux, revient sur les grands événements qui ont ponctué 2014 tout en exposant sa vision pour un Burkina refondé sur les valeurs de démocratie, de justice et d'équité.


Mes chers compatriotes,

Après que l'année 2014 a transmis définitivement le témoin à 2015, il convient de nous pencher sur les faits majeurs qui l'ont ponctuée, car ils marqueront à jamais nos vies personnelles, mais aussi notre nation tout entière.

L'année 2014 a été exceptionnelle à plus d'un titre. Elle entre dans le panthéon de ces grands moments historiques qui ont façonné notre destinée nationale. L'année 2014 fait partie de ces moments historiques qui ont fait la Haute-Volta d'hier et font le Burkina Faso d'aujourd'hui. 2014 s'inscrit dans la droite lignée de 1960, 1966, 1978, 1980, 1983 et 1998. Elle renforce la singularité historique et continentale de notre peuple par notre attachement viscéral à des valeurs intangibles et intemporelles.

En 2014 il s'est agi de s'opposer à la pire des turpitudes en démocratie, à savoir la prévalence d'intérêts personnels sur les intérêts du peuple. Et, comme un seul homme, le peuple burkinabè s'est levé pour refuser cette ultime forfaiture. Ce faisant, nous avons tout simplement rappelé que notre nation restait à jamais déterminée à défendre les valeurs qui lui sont chères ainsi que ses principes fondateurs.

Si cette bataille fut une fois de plus gagnée par notre peuple, elle se solda, malheureusement, par la perte de plusieurs vies humaines au sein de notre brave jeunesse. Jamais nous ne devons cesser de les pleurer ! Ils sont morts pour notre liberté et resteront dans nos cœurs et mémoires. Ils ont donné ce qu'ils avaient de plus précieux, leur vie, afin que notre peuple poursuive fièrement et fermement sa marche pour la conquête de la démocratie et du mieux-être collectif et individuel.

Nous devons aussi nous rappeler que les 30 et 31 octobre 2014, ces Burkinabè ont sacrifié leur vie sur l'autel de la justice, de la liberté et de la démocratie. Ils sont tombés à la fleur de l'âge parce que d'autres Burkinabè leur ont tiré dessus, sans la moindre retenue, entachant ainsi notre histoire d'une noirceur indélébile. De cette ignominie sans nom il faudra nécessairement rendre compte dans les plus brefs détails. Et c'est dans ce sens qu'il convient de saisir ce moment-ci pour souligner qu'aucun crime ne peut plus rester impuni dans ce Faso renaissant, que toute vie en vaut une autre, et que nul ne peut l'ôter impunément. Rien ne peut être au-dessus du caractère sacré de la vie humaine. Rien ! Et cela, nous le devons à nos martyrs, par devoir de justice, par devoir de vérité, par devoir de reconnaissance !

Il y a lieu aussi de noter que si de certains évènements nous contrôlons les déroulements, il en est qui nous échappent et nous frappent en ne nous laissant d'autre choix que l'obligation de les subir. Est de ceux-là la tragédie encore inexpliquée du crash du vol AH 5017 d'Air Algérie du 24 juillet dans laquelle le pays a perdu plusieurs de ses enfants dans un déchirement total. Cette meurtrissure profonde fait désormais corps avec nous.

Il s'est agi de s'opposer à la pire des turpitudes en démocratie

Souvenons-nous que 2014 a également vu s'en aller, sans avoir crié gare, plusieurs de nos vaillants devanciers dont l'exemplarité de la conviction et le sens élevé de l'amour de la patrie continueront de nous raffermir. Hama Arba Diallo, Salifou Nébié, Gérard Kango Ouédraogo, tous ces disparus, illustres comme moins illustres, je m'incline ici encore avec déférence devant leur mémoire.

Il n'est point de doute que 2014 a été une année sous tension au cours de laquelle a prédominé le sentiment de fragilité et d'impuissance. A la détresse sociale de nos concitoyens, à une machine économique qui ne bénéficie pas à tous nos fils et filles, à une réelle iniquité des chances se sont jumelés au plus près de nos frontières l'hypothèque sécuritaire et le virus Ebola. Tant de phénomènes et fléaux qui ont eu pour effet de mettre à l'épreuve la capacité de résilience de notre nation.

Mais 2014 aura été une année de confirmation. Une année où, en plein cœur de la bataille, le Faso a vu triompher ses femmes et sa jeunesse. Des femmes et des jeunes positifs et à l'avant-garde. Des femmes et des jeunes vaillants. Des femmes et des jeunes conquérants. Des femmes et des jeunes qui ont refusé tout fatalisme. Au péril de leurs vies, foi et convictions en bandoulière, spatules en main, le poing formé et levé, ils ont balayé de leurs portes à celles des palais des gouvernants. Ils ont refusé toute idée d'intérêt égoïste et patrimonial. Ils ont osé. Ils se sont engagés. Et parce qu'ils l'ont fait, ils ont conservé vaillante et allumée la flamme de la Patrie.

Dans la rue, les places publiques, au pied des palais, ils ont emprunté les pas de leurs glorieux devanciers. Ils ont revisité l'histoire et l'ont mise à la hauteur de leur exigence actuelle. Ils nous le disent aujourd'hui : «Les morts ne sont pas morts en vain. Ils fécondent notre terre, ils convoquent pour demain notre devoir d'exigence. Ils relèvent la barre et la placent haut».

Ces jeunes, ces femmes, ce sont ceux de Koupéla, de Barsologho, de Tin-Akof, de Karpala, de Bobo, de Toma, de Houndé, de Dori, de Fada, de la diaspora, de Batié, de Léo, de Koloko, de Pô, etc. Ce sont ceux de la République, ceux du Faso dont, à présent, l'action fonde et consolide nos espérances pour le futur.

Ainsi, 2014 a été une année de lucidité où le défi de la responsabilité collective a été relevé. Sans défaillance opportune, sans faiblesse coupable ni excès outrancier.

L'arrogance a été balayée. L'arbitraire vidé. La gouvernance sectaire et ondoyante évacuée. L'intégrité et la vaillance sont revenues aux frontispices de nos exigences solidaires. La terre de Yennenga, d'Oubri, de Rialé, de Diaba Lompo, de Yadéga, de Ouézzin Coulibaly, de Nazi Boni, de Maurice Yaméogo, de Sankara, de Joseph Ki-Zerbo, de Lamizana, de Norbert Zongo, de Boukary Dabo, entre autres, a besoin de son passé pour se retrouver, car le Faso est le fruit d'une longue gestation qui exige que nous réconciliions notre histoire et notre présent. Nous sommes fiers d'être burkinabè, d'être les héritiers de cette histoire, et nous nous drapons désormais de notre intégrité et de notre résilience pour inventer le futur avec sérénité et confiance.

De tous les clichés de cette année 2014, si nous devons retenir un et en faire notre ferment pour le futur, c'est que 2014 a été une année de basculement. La chute d'un pouvoir vermoulu par 27 ans de vase-clos, de flétrissures, de solitude, de gestion clanique, d'agissements arbitraires, de dogmatisme sectaire et d'autisme a été entendue au-delà de nos frontières dans les palais, les cours, les places publiques, les jardins... Et tous les pouvoirs savent maintenant que l'on ne bâillonne pas un peuple. Il est malheureux qu'ils ne se le rappellent que quand il est trop tard !

Je serai et toujours attentif au devenir de mon pays

Nos partenaires, les amis du Burkina, et par-delà la communauté internationale, l'ont compris. Passé l'heure du saisissement, ils ont pris la juste mesure, des aspirations d'un peuple jeune et fort. Ils savent que rien ne peut plus être comme avant. A juste titre ! A l'heure de la distribution des prix, le peuple burkinabè a été plébiscité comme «Africain de l'année 2014». C'est un motif de fierté et une interpellation à tenir cette position de même que les promesses qu'elle a secrétées.

Cette aube nouvelle charrie dans son sillage une promesse à tenir : 2015 sera le point de départ d'un nouveau contrat social. Le Faso doit être refondé dans ses pratiques, dans nos rapports, dans le rôle de l'Etat et de sa gouvernance. Il s'agira de replacer au cœur du jeu l'individu, la communauté, la patrie ; d'ancrer en soi la justice et l'équité ; de veiller à la primauté du droit et des institutions qui la protègent.

Mais, gardons à l'esprit que demain ne sera pas calme. Le ciel sera chargé de menaces et de vents qui tonnent. Toutefois, il y a au-delà des intérêts particuliers et des calculs partisans une impérieuse nécessité de nous rassembler et de nous retrouver autour de l'essentiel. Car par-delà tout, notre pays est confronté à deux défis majeurs. Sa survie en tant que démocratie républicaine dépend de la manière dont il les résoudra. Le premier de ces défis est l'intolérance entre ses filles et ses fils. Le deuxième de ces défis est l'écart sans cesse croissant entre une élite et la grande majorité de la population. L'absence de tolérance érode la cohésion sociale et l'inégalité sociale est un cancer qui nous tue à petit feu.

En 2015, le Faso devra y trouver réponse. En 2015, le pays devra rappeler que la loi est égale pour tous et que burkinabè, nous le sommes tous. En 2015, la page de la transition sera, elle aussi, tournée. Le retour à une vie constitutionnelle normale devra être une réalité. Dans l'intervalle, et chaque jour qui passe, doit être convoqué le devoir de vigilance scrupuleuse. Tous les germes qui sont emblématiques du pouvoir passé n'ont pas disparu. Des jalons doivent être posés pour ancrer davantage notre pays dans le sentier vertueux de la bonne gouvernance et de la prospérité pour tous.

En effet, malgré l'émergence qu'on nous a martelée urbi et orbi, le dernier rapport du PNUD, publié le 17 octobre 2014, nous place uniquement devant quelques pays sortant de crises majeures ou de conflits armés. Il est impérieux que nous réinvestissions dans l'humain si nous voulons relever les grands défis à venir. Ce qui implique le renforcement, sans attendre, des capacités de ces deux secteurs-clés desquels l'Etat avait démissionné : l'éducation et la santé.

Nous ne pouvons plus admettre que notre masse productive que sont nos paysans et paysannes soit la plus exposée aux méfaits de la pauvreté et de la faim. Nous ne pouvons plus accepter que notre jeunesse n'ait pas accès à des emplois décents. Nous devons refuser que nos femmes restent en marge de la création de la richesse nationale. Nous ne devons plus permettre que le peuple soit à la périphérie du progrès. Nous nous devons de reconsidérer notre politique de développement, surtout si nous souhaitons qu'elle soit durable.

En 2015, il y a lieu d'avoir confiance, de ne pas perdre espoir. Le Faso de nos ancêtres est une terre de labeur et de dignité, d'innovation et d'inclusion. Une terre d'avenir où chacun est convié à écrire l'histoire. Nous sommes une nation qui se doit d'être indulgente, protectrice, bienveillante, juste et équitable envers ses enfants. Nous l'avons rappelé : nous sommes un pays intègre et rétif à tout pouvoir personnel. Nous devons donc avoir en permanence le souci de la préservation de la sémantique réelle de son nom : le Burkina Faso. Si certains semblaient l'avoir oublié, vous, vous ne l'oubliez pas. Je ne l'oublie pas non plus !

Il y a des moments singuliers dans la vie d'une nation où la conjonction des aspirations refonde le pacte commun, et donne sens à l'implication et au sacrifice. Il y a des moments où, au carrefour de toute aspiration, il y a l'ambition commune et le leadership. 2015 fera partie de ces moments.

Je serai encore et toujours aussi attentif au devenir de mon pays. Le destin commun est une responsabilité individuelle et collective. Le sort du Faso est dans chacune de nos mains. Le Burkina que nous voulons n'est pas une chimère. En 2015, j'invite chacun à faire et à assumer sa part.

Pour ma part, je réitère humblement que ma vision de l'avenir du Burkina Faso est celle d'un pays uni où l'homme et le peuple sont au cœur de toutes nos actions ; un pays où des femmes, des hommes, des jeunes, fièrement enracinés dans leur culture séculaire, regardent avec sérénité l'avenir qu'ils interrogent, planifient, affrontent avec courage et dignité ; un pays, une société en bonne santé physique et morale ; une communauté de savoir, de savoir-faire et de savoir-être et qui choisit de vivre en bonne intelligence avec ses voisins ; une collectivité productive et solidaire, résolument tournée vers le progrès et la paix, pleinement ouverte sur l'Afrique et le monde.

C'est une telle société, dont l'objectif primordial est la cohésion sociale avec pour principe directeur la souveraineté de la volonté générale, que nous devons nous atteler à bâtir et à laisser comme héritage aux générations futures.

Pour chacun et chacune d'entre vous, pour tous, mes vœux pour 2015 sont ceux de la solidarité ; de la tolérance et du pardon ; de la mémoire ; de l'engagement ; de la sollicitude ; de la fraternité et de l'amour ; du partage ; de la bienveillance ; de la réussite.

Ambassadeur Jean-Baptiste Natama

Addis-Abeba 10 janvier 2015

Publicité Publicité

Commentaires

Publicité Publicité