Interview : Madyna Sy/Tall, président du Collectif Dafra : «Le CDP m’a déçue»

| 19.06.2014
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Madyna Sy /Tall : «Le président de l’Assemblée est venu me voir à domicile»
© DR / Autre Presse
Madyna Sy /Tall : «Le président de l’Assemblée est venu me voir à domicile»
Elle est une mordue de politique et aura consacré la majeure partie de sa vie à défendre les couleurs du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Militante de première heure depuis l'ODP/MT, cette dame réputée battante s'est surtout illustrée sur la scène politique grâce à cette puissante structure féminine qu'elle a mise en place, le collectif Dafra. Une organisation qui lui vaudra pas mal de lauriers et qui contribuera à faire monter sa cote de popularité dans la sphère politique au Houet et même sur l'échiquier national. Et malgré les nombreuses sollicitations dont elle a toujours fait l'objet mais également les sacrifices qu'elle dit avoir consentis pour hisser haut le flambeau du parti de l'épi et de la daba, Madyna Sy/Tall puisque c'est d'elle qu'il s'agit semble aujourd'hui déçue du parti au pouvoir. Elle qui dit avoir connu une traversée du désert et qui a aussi vécu les pires situations politiques au CDP/Houet. Cette section provinciale où la démocratie et la transparence ne sont toujours que de vains mots, affirme‑t‑elle. Une déception que la présidente du collectif Dafra avait de la peine à cacher au cours de cet entretien qu'elle nous a accordé à son domicile. Elle fait partie des premiers démissionnaires du CDP au Houet pour rejoindre le MPP. Lisez plutôt.

Que devient le collectif Dafra ?

• Le collectif existe bel et bien et ce, malgré les tentatives de déstabilisation que nous avons connues à un certain moment. Mais vous savez, on a tout vu et tout connu ici à Bobo. Il y a des gens qui veulent construire et d'autres détruire. Notre organisation continue de jouir de la confiance de tous nos partenaires et demeure toujours en parfaite santé. Elle est aujourd'hui le regroupement de plus de deux cents associations féminines et quarante-cinq groupements féminins villageois. Nous sommes plus actifs en milieu rural et c'est peut-être la raison pour laquelle vous ne nous voyer pas tellement en ville.

Que faites vous concrètement en milieu rural ?

• Je suis opératrice en alphabétisation depuis 1995 et à ce titre, j'ai ouvert des centres à Bobo dans toute la province du Houet. Nous travaillons à aider les femmes rurales à se prendre en charge par des projets, en les dotant d'une formation technique spécifique (fabrication de savon, aviculture, élevage de bovins et de caprins, teinture, tissage, etc.), tout cela pour leur permettre d'être autonomes afin de pouvoir subvenir à leurs besoins. Par le biais de la Direction régionale de l'agriculture, nous avons pu doter une douzaine de centres d'alphabétisation de charrues mais aussi de semences et d'intrants. Parallèlement à tout cela, je mène des activités politiques.

Justement vous avez été l'un des premiers militants du CDP/Houet à embarquer dans le train du MPP dès sa création. Quelles sont vos raisons ?

• J'ai été très déçue par le CDP. Surtout la section provinciale du Houet. Nous nous sommes investis corps et âme depuis des années pour l'enracinement du parti dans la province ; mais finalement, on a été payé en monnaie de singe. Ici à Bobo, il n'y a qu'une poignée de militants qui gèrent le parti à sa guise et sur la base du mensonge, de la délation, du clientélisme, de la fourberie, du régionalisme et j'en oubli. Personnellement, j'avais compris que mon avenir politique n'était plus au CDP. Et lorsque j'ai vu des camarades du même parti qui ont été victimes des même situations et qui ont fini par se retrouver pour créer le MPP, je ne pouvais qu'adhérer. Dans l'espoir bien sûr de travailler pour une véritable alternance au Burkina et pour l'enracinement de la démocratie.

Vous étiez pourtant parmi les privilégiés du parti au sein de la section provinciale. Qu'est-ce qui se passait réellement alors ?

• En réalité, je n'étais qu'une figurante. J'ai certes occupé le poste de responsable aux activités socioéconomiques, mais je n'ai jamais joué ce rôle. Les responsables de la section provinciale n'avaient aucune considération pour moi et avaient toujours travaillé avec des intermédiaires. Des gens sans scrupule et sans dignité qu'ils utilisent pour leurs basses besognes et qu'ils manipulent à souhait. Comme je l'ai dit plus haut, il n'y a qu'une poignée d'individus à la solde de certains gourous de la capitale qui décident de tout au CDP/Houet et sans consulter la base.

Pourquoi avoir attendu la création du MPP pour enfin manifester votre colère ?

• J'avais dit adieu à ce parti depuis 2012. Vous pouvez vous renseigner auprès des militants puisque depuis cette date, je n'assistais plus aux réunions et je ne fréquentais plus le siège provincial du parti. J'ai compris que les choses ne faisaient qu'empirer et plusieurs camarades, à mon égard, étaient démobilisés et n'avaient plus le cœur au parti. Et le plus révoltant est que même les premiers responsables du parti à Ouaga acceptent de fermer les yeux sur certaines injustices les plus criardes.

Vous parlez d'injustice. Qu'en est-il exactement ?

• En 2012 par exemple, j'ai été retenue sur la liste de la députation pour la province du Houet. Mais en dernier ressort, mon nom a été biffé sans que je sache pourquoi. Mais là où le bât blesse, c'est que j'ai été remplacée par quelqu'un qui ne savait même pas où se trouve le siège provincial du CDP/Houet. C'est pour vous dire que mon remplaçant est quelqu'un que les militants ne connaissent pas puisqu'il n'a jamais assisté aux réunions. Et c'est ce que j'appelle une injustice. Des situations du genre sont légion aux CDP/Houet et c'est ce qui continue de menacer dangereusement l'avenir du parti. Jamais, aucune liste de candidature CDP dans le Houet n'a été élaborée de commun accord dans le cadre des élections. Il n'y a que quelques-uns qui décident de tout pour ensuite nous réunir au siège juste pour dire que c'est Ouaga qui a voulu ainsi. Les frustrations des militants sont presque quotidiennes au CDP/Houet. L'argent que le parti nous envoie ou le sucre destiné aux musulmans en période de ramadan sont toujours gérés d'une manière opaque. Souvent, on nous dit simplement que le parti à envoyer tant de francs, mais cet argent on ne le verra jamais. Bref, je ne donnerai pas tous les détails ici mais je veux seulement que l'on sache que le CDP/Houet est devenu la propriété de quelques individus.

Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que vous n'êtes plus sur la liste ?

• Ce n'était pas une surprise pour moi, parce qu'avec mes anciens camarades, on ne pouvait jamais jurer de rien. Des militants sont venus me voir à la maison pour m'encourager et me remonter le moral. Je recevais quotidiennement des délégations de femmes de Bobo, des départements et certaines m'ont demandé quel devra être la conduite à tenir pour la suite des évènements. En réalité, beaucoup d'entre elles voulaient connaître ma position. Je leur ai dit que personnellement je voterai pour le CDP. Mais elles sont libres de voter pour le parti de leur choix. Les résultats des élections couplées ; ont les connaît. Et nous savons tous par quelle acrobatie le CDP s'est octroyé autant de sièges.

Mais pourquoi n'avoir pas dénoncé ces injustices en son temps ?

• Je n'ai jamais été indifférente à tous ces agissements qui pourrissaient l'atmosphère au CDP/Houet. Certains m'appelaient madame transparence parce que j'avais toujours exigé des comptes et dénoncé ces pratiques mafieuses susceptibles de compromettre la cohésion au sein du parti. Mais vous savez que moi j'étais étiquetée depuis les municipales de 2000 pour avoir soutenu le docteur Alfred Sanou contre le duo Koussoubé-Salia. J'ai passé neuf jours de détention à la police dans le cadre de cette affaire, et le docteur Alfred Sanou avait été conduit à la Maison d'arrêt et de correction de Bobo. Et depuis lors, le CDP/Houet a été divisé en deux. Et tous ceux qui sont du côté d'Alfred Sanou sont aujourd'hui traités comme des moins que rien. Et c'est dommage.

Mais vous auriez pu porter l'affaire au niveau des instances dirigeantes du parti ?

• Au CDP, on n'a besoin que des enfants de chœur prêts à tous avaler sans chercher à comprendre. Moi, j'ai fini par comprendre que pour percer dans ce parti, il faut avoir un gourou avec soi ou tout simplement accepter de jouer leur jeu et être à leur service pour exécuter les basses besognes. Et c'est ce qui a surtout contribué à fragiliser le socle du parti. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de rencontrer le président du Faso avant la crise que nous connaissons aujourd'hui. Blaise Compaoré que je respecte et qui d'ailleurs me considère comme une aînée. Je lui ai fait comprendre que le parti vit des situations difficiles et qu'il se devra d'ouvrir les yeux pour bien voir et bien comprendre les choses.

Et quelle a été sa réponse ?

• Vous savez que Blaise Compaoré parle peu, seulement, il m'a fait savoir qu'il se doit d'écouter toutes les parties. Ce qui est normal pour un bon chef. Mais je pense davantage que le président du Faso est beaucoup influencé par son entourage. Et c'est là que se situe le problème. On ne lui dit pas les choses telles quelles. Son problème actuel, c'est son entourage.

Depuis votre démission du CDP, est-ce que vous avez été approchée par d'ex-camarades, responsables du parti ?

• J'ai reçu la visite du président de l'Assemblée nationale qui est un homme de consensus. Il est venu me voir. Je savais qu'il n'était pas content de mon départ. Il ne pouvait que respecter mon choix.

Vous êtes aujourd'hui au MPP. Et comment les choses se passent pour vous dans cette nouvelle formation politique ?

• Au MPP, nous n'avons qu'un seul et même objectif. Travailler pour une alternance véritable en 2015 et pour l'enracinement d'une véritable démocratie au Burkina. Dans le Houet, nous continuons de mener la sensibilisation dans ce sens et aujourd'hui, j'avoue que les gens ont politiquement mûri dans la province. Et beaucoup, aujourd'hui, réclament l'alternance. Ce qui me fait dire que le MPP est en phase avec les aspirations légitimes de la grande majorité de la population.

Pour vous, est-ce que Blaise Compaoré doit partir ?

• Bien sûr que oui. D'autant plus que c'est le peuple qui réclame le changement. Et moi, je pense que le président du Faso est un homme qui saura prendre ses responsabilités en temps opportun. Il n'y a que les personnes qui gravitent autour de lui qui sont en train de l'induire en erreur. Mais à mon avis, le chef de l'Etat saura prendre la décision qui sied au moment venu. Parce que si vous faite un sondage, vous vous rendrez compte que cette question du référendum est plus qu'une utopie aujourd'hui au Burkina.

Qu'avez-vous à dire pour conclure ?

• Notre préoccupation majeure aujourd'hui au MPP est la préservation de la paix sociale au Burkina. Nous avons toujours sensibilisé nos militants dans ce sens. Et samedi dernier à Bobo, le pire a été évité grâce à la maturité et au civisme de nos militants dans le cadre des meetings du CDP et de l'opposition. Nous leur avons demandé de ne pas céder à la provocation et c'est ce qu'ils ont fait. Je pense que seul le président du Faso détient la clé de cette situation. Il lui suffit de se prononcer pour qu'enfin nous soyons tous libérés. Mais en attendant, j'invite les militants de l'opposition à rester vigilants et surtout à ne pas baisser la garde.

Jonas Apollinaire Kaboré

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