Interview : Dr Alain Zoubga, président de l’Autre Burkina/PSR : « Etre opposant, ne signifie pas forcément être à l’écart du pouvoir »

| 27.05.2014
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Dr ALAIN ZOUBGA
© DR / Autre Presse
Dr ALAIN ZOUBGA
Connu des militants de l'Association des scolaires voltaïques (ASV) et de l'Union générale des étudiants voltaïques (UGEV), section de Dakar, ministre de la Santé dans le premier gouvernement du Front populaire dans les années 1987, aujourd'hui, président du Parti pour le socialisme et la refondation/L'Autre Burkina (L'Autre Burkina/PSR) et ministre de l'Action sociale et de la solidarité nationale, Alain Règuèma Zoubga n'est plus à présenter. Depuis quelques années, avec Hermann Yaméogo et d'autres acteurs politiques, il fait un appel du pied, à travers le mouvement dit de la refondation, pour établir ce qu'ils ont appelé le « Pacte transversal ». C'est certainement cette démarche qui a abouti à la création du Front républicain dont il est membre. Invité de la rédaction des Editions « Le Pays », le 7 mai dernier, il s'est prêté aux questions des journalistes sur l'effervescence politique nationale actuelle. Lisez plutôt !

« Le Pays » : Comment se porte L'Autre Burkina/PSR votre parti ?

Alain Zoubga : Le parti se porte bien. L'Autre Burkina/PSR est un parti jeune, même si ses dirigeants sont un peu anciens. Il y a beaucoup de cadres qui étaient avec moi au début, et qui sont maintenant partis dans d'autres partis. Ils ont refusé de me suivre. Certains ont dit carrément adieu à la politique parce qu'ils n'y trouvent pas leur compte. Malgré tout cela, le parti se porte relativement bien. L'autre Burkina est un parti qui a une voix, même si nous n'avons pas de représentants à l'Assemblée nationale. Pour preuve, nous sommes représentés dans le gouvernement, nous sommes membre fondateur du Front républicain, nous avons animé avec d'autres partis le mouvement de la refondation et nous travaillons sur le terrain avec nos militants pour nous faire entendre et comprendre.

Qu'est ce qui a motivé le départ des cadres de votre parti dont vous parlez ?

Je précise que ce sont des départs anciens. Je n'ai pas connu de nouveaux départs pour le moment. Lorsque je parle de départs anciens, je veux parler des compagnons avec lesquels j'ai cheminé depuis l'Université, de la Révolution jusqu'au Front populaire, qui ont dû partir à un certain moment quand ça chauffait. Beaucoup de compagnons m'ont quitté, et certains ont raison parce qu'ils sont devenus maintenant les grands patrons du Burkina.

Ne vous reprochaient-ils pas de gérer le parti comme votre famille ?

Vous savez, quand un parti n'a pas de moyens, il doit miser sur la solidarité de ses membres pour fonctionner. Mais lorsque vous êtes dans la direction d'un parti pendant trois ans et que vous ne cotisez pas 1 franc, cela ne peut que tirer le parti vers le bas. Lorsque vous ne venez pas aux réunions d'un parti, lorsque vous êtes incapable de proposer une liste de 4 noms, vous ne pouvez pas vous plaindre du fait que les autres gèrent le parti sans vous.

Quelle a été votre réaction après les défections dont vous avez parlé ? Avez-vous minimisé cela ou bien fait un examen de conscience ?

Actuellement, mon parti ne connaît qu'une seule nouvelle défection qui n'est pas officielle ; d'ailleurs, l'intéressé n'a pas déposé de lettre de démission en bonne et due forme. Il me semble qu'il a envoyé une correspondance non signée par la poste, et moi je ne considère pas cela comme une lettre de démission. Pour vous répondre, je dirais que nous ne minimisons aucun départ parce que, même si c'est un seul camarade qui s'en va, c'est une perte pour le parti. Pour le cas de notre démissionnaire non officiel, nous sommes en train de mener une réconciliation.

Mais vous ne lui reprochez rien ?

Non, pas du tout.

Et vous-même ; vous ne vous reprochez rien ?

Non plus ! Peut-être qu'il est en train de partir parce que je suis pauvre. Vous savez, lorsque vous êtes pauvre, les gens vous fuient à un certain moment. Il faut dire que je me classe parmi les dirigeants politiques du Burkina, qui mettent trop l'accent sur les questions de principe. Et lorsque vous mettez l'accent sur les principes, les gens vous trouvent trop dur. C'est cela peut-être qui explique le fait qu'il veuille aller ailleurs. Je pense que si je n'étais pas une personne de principe, nous ne tiendrions pas pendant plus de 25 ans.

Vous l'avez dit, cela fait plus de 25 ans que vous êtes sur la scène politique. Comment se fait-il que votre parti n'ait pas d'élus à l'Assemblée nationale ni de conseillers municipaux aux dernières élections couplées ?

Comme je l'ai dit plus haut, nous sommes un parti jeune, nous sommes venus aux élections 6 mois après la création du parti. Vous-même vous le savez bien, les électeurs ne votent pas les programmes de société des partis politiques. Si vous êtes pauvre, soyez en sûr, vous n'allez pas sortir des élections avec beaucoup de voix. Même vos proches vous disent souvent que, comme vous n'avez rien à leur donner, ils vont aller ailleurs. Voilà le véritable problème.

Est-ce que cet échec, si on peut l'appeler ainsi, n'est pas dû au fait que vous êtes représentés au gouvernement ?

Certainement que oui. Si tu prends une position, il faut en assumer les conséquences. Le combat politique est un combat qui se gagne dans la souffrance. Moi j'ai connu des situations difficiles. J'ai connu des moments où mes anciens camarades, mes amis sont venus mettre le feu à ma maison. Lorsque l'on vient en politique, c'est pour une raison bien donnée et on doit chercher à atteindre cette raison, quel que soit ce qui arrivera.

Pour quelles raisons votre maison a été incendiée ?

C'était à l'époque de la Coordination des Forces Démocratiques, et si vous avez suivi la CFD, il fallait intimider les uns et les autres.

Vous avez dit que certains viennent en politique pour des raisons bien précises, peut-on savoir ce que vous êtes venu chercher en politique ?

Notre ambition depuis le lycée, était de construire une société socialiste. Depuis donc le lycée jusqu'à l'Université où j'ai dirigé le mouvement des étudiants pendant des années, nous ne pensions qu'au socialisme et à la révolution. Avec la révolution et tout ce que nous avons connu, notre ambition s'est écourtée. Il n'empêche qu'au fond de moi-même, je crois que ce pays a besoin de révolution. Maintenant, de quelle révolution ? Ce n'est pas celle des kalachs, ni celle des brouettes, mais une révolution sur la base d'un programme de société qui sera choisi par le peuple.

Serez-vous candidat à l'élection présidentielle de 2015 ?

Tout dépendra des moyens dont nous disposerons. Nous pouvons avoir l'argent pour payer la caution, mais ce n'est pas évident que nous puissions avoir les moyens nécessaires pour aller sur le terrain afin de convaincre les électeurs à voter. Donc, pour tout vous dire, comme je n'ai pas les moyens, je ne serai pas candidat aux élections. Mais si jamais je gagne un appui financier conséquent, je serai candidat mais ce n'est pas sûr que je puisse les avoir. Je vous confie que depuis que je suis fonctionnaire, je n'ai jamais été propriétaire d'un véhicule neuf. J'ai toujours eu des véhicules qu'on appelle « au revoir la France », même jusqu'à présent. Comment voulez- vous donc que je batte une campagne dans ces conditions ?

L'accompagnement financier de l'Etat n'est donc pas suffisant ?

Non, cet accompagnement n'est pas suffisant pour battre une bonne campagne.

De qui attendez-vous le soutien dont vous parlez ?

De tout le monde, à commencer par vous. En plus des soutiens, la direction du parti va mesurer les chances réelles de notre participation avant de s'engager. Ce qui est sûr, je serai actif pendant la campagne et je la battrai soit pour moi-même, soit sous les couleurs d'une coalition quelconque pour permettre à un candidat plus important de gagner.

Pourriez-vous battre campagne pour Blaise Compaoré ?

Nous n'avons pas encore parlé de cela, pour le moment. Ne confondez pas mes relations personnelles avec le président qui est un ami, et nos ambitions politiques. Nous sommes des amis depuis longtemps, et nous nous sommes rapprochés sur le plan politique parce que nous avons des points sur lesquels nous pouvons travailler ensemble. Le président Blaise Compaoré ne m'a jamais demandé de le soutenir en tant que candidat, et il ne m'a jamais dit qu'il sera candidat.

Et s'il vous le demandait ?

S'il me le demande, nous allons, au niveau de la direction, examiner l'ensemble des candidatures pour voir celles où nous avons des chances non seulement de faire passer le candidat, mais aussi de défendre nos idées.

Que pensez-vous d'une candidature unique de l'opposition ?

Ce sera une bonne chose. Mais la question est de savoir qui s'alliera à qui pour cette candidature unique. Il y a des opposants qui croient au socialisme, d'autres au néolibéralisme, d'autres encore à la révolution et avec ces idées disparates, il sera très difficile de trouver un candidat unique qui pourra représenter l'opposition à l'élection présidentielle. Si on est opposant, il faut un minimum sur lequel on peut aller en campagne. Si ce minimum est acquis, je pense que nous pouvons faire mal, mais je doute fort que cela puisse se faire parce que chacun veut être candidat.

Vous voulez faire mal à qui ? Au pouvoir ?

Bien sûr que oui. Lorsque vous êtes candidat dans l'opposition, c'est face au pouvoir que vous êtes ; n'est-ce pas ?

Et vous souhaiteriez donc faire mal au pouvoir ?

Ce n'est pas un souhait, je dis que c'est une possibilité. Si par exemple je décide de soutenir la candidature de Blaise Compaoré, je ne vais pas souhaiter cela. C'est un constat d'analyse et non du sentimentalisme.

Pourquoi les opposants n'arrivent-ils pas à s'entendre, selon vous ?

Ceux qui sont considérés aujourd'hui comme les patrons de l'opposition sont de purs produits du parti au pouvoir. Faites le constat. La deuxième chose est que l'opposition devrait pouvoir transcender un certain nombre de différences. Vous savez, la différence politique n'exclut pas l'unité par rapport à une plateforme minimale. Nous avons tenté cela avec le Pr Joseph Ki-Zerbo, depuis des années, avec qui nous avions travaillé à avoir une vraie vision. La question électorale est une question qui a toujours divisé l'opposition politique. Nous ne sommes pas capables de nous entendre sur un minimum et je trouve cela malheureux. Lorsque les élections viendront, je vous assure que nous allons nous tirer encore dessus. Chacun dira qu'il veut être chef et lorsqu'il y a plusieurs chefs, les voix sont dispersées et nous ne ferons que perdre.

Le pouvoir n'y est-il pas pour quelque chose ?

Evidemment et je trouve cela normal. Pensez-vous que le parti au pouvoir va s'asseoir pour nous regarder ? Non ! Il va travailler à nous diviser, cela est clair.

Mais vous êtes déjà avec le pouvoir, puisque vous êtes dans le gouvernement !

Vous savez, ce n'est pas la première fois qu'il y a un opposant dans un gouvernement en Afrique ou dans le monde. Ma présence dans le gouvernement burkinabè a une histoire et je vais vous la raconter. Nous sommes allés à des réformes politiques à l'issue desquelles nous avions dit que nous ne sommes pas d'accord que ce soit le CDP seul qui mette son gouvernement en place pour appliquer ses réformes. Ensuite, lorsque l'on m'a appelé pour faire partie du gouvernement, l'idée de fond était que nous y serions en tant que membre du Front républicain. C'est le premier élément sur lequel j'ai discuté avec le Premier ministre. Vous savez, le Front républicain regroupe des partis qui ne sont pas tous de la mouvance présidentielle. Et bien entendu, à partir du moment où nous y sommes, nous devons partager une parcelle du pouvoir.

Votre participation au gouvernement est-elle antérieure à la mise en place du Front républicain ?

Mais, bien sûr que oui. Le Front républicain ne date pas d'aujourd'hui. Nous en avons discuté, il y a bien longtemps. C'est à cause des erreurs de management qu'il n'a pas pu se mettre en place plus tôt. Sinon, le Front républicain devait être mis en place avant les élections de 2012. Mais, comme je l'ai dit, à cause des erreurs de management, nous avons traîné les pieds et sa mise en place a coincidé avec l'affaire de l'article 37. Toute chose qui a amené au débat que vous connaissez.

Etant au gouvernement, ne craignez- vous pas pour votre avenir politique ?

(Rire). Je vais vous dire que Abdoulaye Wade a été pendant longtemps avec un parti de gauche et qu'il est sorti par la suite pour devenir président. Il faut que l'opinion comprenne que cela n'est pas une hérésie politique.

L'essentiel c'est de pouvoir s'en sortir à bon compte, n'est- ce pas ?

Nous ne sommes pas là pour abattre un pouvoir et il faut que vous le sachiez. Lorsque nous parlons de changement, de refondation, cela concerne tous les partis politiques. Nous avions dit au CDP que s'il refuse de se refonder, le parti aura des problèmes. Et voilà ce qui se passe aujourd'hui. Si les dirigeants du parti avaient accepté de faire un travail interne pour se refonder, ils n'en seraient pas là. C'est vous dire que la refondation est valable pour tout le monde.

Un autre scénario aurait été de laisser le pouvoir gouverner et assumer ses éventuels échecs ?

Notre ambition n'est pas de faire de telle sorte que le pouvoir échoue. Je vous dis une fois de plus qu'être opposant ne signifie pas forcément se tenir à l'écart du pouvoir en place. Chacun de nous a une différence politique et ce n'est pas seulement au Burkina que vous trouverez des opposants dans les gouvernements. Cela existe un peu partout dans le monde. Mais, j'ai remarqué que les gens pensent que lorsqu'on fait la politique, on doit être soit contre, soit pour.

Que pensez-vous de la célèbre phrase de feu Dim Salif qui disait que l'opposition s'oppose et la majorité gouverne ?

Je vous dis toute suite que Dim Salif n'est pas un exemple de démocrate. Même Roch Marc Christian Kaboré l'a dit mais laissez-moi vous dire que ce qu'ils avancent n'est pas évident.

Etes-vous pour ou contre la révision de l'article 37 ?

Sur la question de l'article 37, notre position est claire. Les conditions qui ont prévalu en Afrique et qui ont emmené les démocrates à dire qu'il faut aller à la limitation des mandats, n'ont pas changé. C'est sur cette base que nous avons dit que nous souhaitons que l'article 37 reste en l'état, qu'il ne soit pas révisé. Laissez-moi vous dire que nous ne sommes pas de ceux qui disent qu'ils sont contre l'article 37, sans raisons valable. Lorsque nous prenons une position, nous avons des arguments valables. Lorsque nous avions proposé au CCRP qu'on verrouille l'article 37, nous n'avions pas été suivis et nous avions fait une déclaration pour dire que tôt ou tard, la question allait revenir. Sinon, la révision de l'article 37 est parfaitement légale. Il y a des gens qui, lorsqu'on veut mettre en avant le caractère légal de ce qui est proposé, disent que c'est légal, mais ce n'est pas légitime. Ils vont même jusqu'à affirmer que lorsqu'on s'approche uniquement de la légalité et qu'on laisse tomber la légitimité, on se dirige droit dans le mur. Il y a certains aussi qui disent que lorsqu'on ne voit que la légitimité et qu'on piétine les textes, on est putschiste politique.

Et quelle position avez-vous par rapport au référendum ?

Sur la question du référendum, il y a des gens qui disent qu'on peut y aller, mais qu'il ne sera pas légal parce qu'il faut passer d'abord par l'Assemblée nationale et que c'est au cas où celle-ci échoue qu'on peut aller au référendum. Donc c'est le drapeau de la légalité qui a été brandi ici pour dénoncer le référendum. Il est certainement la voix la plus indiquée pour une vision, pour une démarche de légitimité. Auparavant, on nous avait fait croire que la légalité est subsidiaire et que ce qui est important c'est la légitimité. La question que je me pose actuellement est de savoir si nous pouvons aller à un référendum dans la paix et la quiétude dans les conditions actuelles. Les gens iront-ils voter et revenir s'asseoir tranquillement à la maison pour attendre les résultats ? Je crains que non, parce qu'il y a des risques de dérapage. Et c'est cela qui nous amène à dire aujourd'hui qu'il y a un problème dans l'organisation de ce référendum. Sinon, l'organisation du référendum est parfaitement légale.

Au cas où il y aurait des dérapages comme vous le craignez, qu'allez-vous proposer comme éventuelles solutions d'apaisement ?

Sachez que je ne prédis pas qu'il y aura des problèmes au Burkina. Ce sont des analyses que j'ai faites. Et je sais que ceux qui sont au pouvoir travailleront pour qu'il n'y ait pas de problèmes. Mon souhait est que les gens sortent massivement pour aller voter afin qu'on tranche la question une fois pour toute. Nous concernant, au moment venu, la direction du parti se réunira pour prendre une décision, celle de savoir s'il faut voter pour ou contre le référendum.

Dans une loi, il y a une lettre et un esprit, mais ce que vous venez de dire concerne la lettre !

J'ai parlé de l'esprit de la loi en parlant du contexte qui a amené les démocrates à dire qu'il faut limiter les mandats. Je ne suis pas constitutionnaliste ni juriste, mais je dis simplement que l'erreur que nous avons commise a été de ramener le débat sur la Constitution. C'est une erreur théorique que nous avons commise. Si le débat avait été campé sur le contexte actuel en Afrique et dans le monde, où il est question de limiter les mandats présidentiels, c'aurait été un débat purement politique. Ceux qui ont campé le débat sur la Constitution ont parfaitement raison et si demain le chef d'Etat dit qu'il y a un référendum, il aura parfaitement raison.

On comprend bien que vous êtes pour le référendum mais contre la modification de l'article 37.

C'est encore là une interprétation que nous jugeons comme trop rapide. Nous avons dit que le référendum est légal et la révision de l'article 37 aussi. Il ne revient pas à notre parti de dire au chef de l'Etat d'aller au référendum, mais s'il y va, il aura parfaitement raison. C'est la nuance dans le raisonnement. Il y a certains partis politiques avec nous qui disent qu'ils veulent qu'on aille au référendum mais nous avons répondu que c'est leur position à eux. Mais est-ce que c'est notre rôle de dire au président du Faso d'aller au référendum ? Il le sait parfaitement car il est suffisamment intelligent. S'il va au référendum, il aura parfaitement raison car la Constitution le lui permet.

Il y a des constitutionnalistes bien connus de chez nous, qui disent pourtant que la question du référendum aujourd'hui tourne autour des intérêts personnels du président et non de la nation. Qu'en dites-vous ?

Tout cela est vrai, mais, en réalité, la Constitution le permet. Ceux qui sont contre la révision de l'article 37, qu'ils battent campagne pour que le Non l'emporte. On ne peut pas empêcher la tenue du référendum, mais on peut se battre pour que le Non ou le Oui l'emporte.

Battre campagne nécessite beaucoup d'argent alors que l'opposition n'en a pas assez.

Vous croyez en cela ? Pensez-vous que Zéphirin Diabré ou Ablassé Ouédraogo n'a pas d'argent ? Laissez-moi vous dire que ce sont des milliardaires. Mais ils ne voudront pas faire sortir leur argent pour battre campagne pour le référendum. Je doute fort qu'ils fassent sortir des centaines de millions pour battre campagne. Surtout pour une élection qu'ils ne sont pas sûrs de remporter. Chacun préfère en garder pour battre campagne en tant que candidat à l'élection présidentielle. Ce sont des anciens du CDP, ils ont non seulement de l'argent, mais aussi des carnets d'adresses bien fournis. Ils ne sont pas comme nous autres qui sommes dans la galère (NDLR, rire au coin des lèvres).

Un ministre dans la galère, c'est étonnant de vous l'entendre dire !

Ah bon ? Etant journaliste vous devez savoir combien un ministre touche au Burkina. Au cas où vous ne le sauriez pas, sachez que j'ai un salaire de 800 000 F CFA par mois. Pensez-vous qu'avec ce salaire je peux battre campagne ? Je vous avoue que ce ne sera pas facile.

Mais il y a en plus du salaire, des avantages et autres privilèges.

A ce que je sache, je pense qu'il n'y a pas d'affaires qui puissent permettre à un ministre d'avoir de l'argent. C'est vrai qu'en tant que ministre, j'ai un véhicule de service, j'ai des bons de carburant, mais cela ne suffit pas pour battre campagne. Pour une campagne, il faut des moyens collossaux. Si vous allez en campagne avec moins de 100 ou 200 millions de F CFA, je vous assure que vous n'allez rien récolter.

Comme vous avez participé au CCRP, certains estiment que ça a été une vaste escroquerie, qu'en dites-vous ?

Nous n'avons escroqué personne. Avant qu'on aille au CCRP, certains nous ont dit que nous serons amadoués, pour pouvoir toucher à l'article 37. Ces personnes comprennent maintenant que ce n'est pas le cas. Au CCRP, nous avons exigé que les décisions soient prises de façon consensuelle. Nous avons dit que s'il y a un individu, un « loufia » comme moi qui lève le petit doigt et qui dit qu'il n'est pas d'accord avec une décision, sa position devra être prise en compte. Voilà comment le débat a été mené au CCRP et, le lendemain, les journalistes en ont parlé et ont dit que c'est une victoire parce que les gens ne voulaient que cela. A l'époque, les démissionnaires du CDP tels que Roch Marc Christian Kaboré, Sara Sérémé, nous disaient : « Vous là, vous n'avez rien compris ; que vous le vouliez ou non, nous allons toucher à l'article 37 ». Pensez-vous qu'aujourd'hui, ces derniers peuvent nous convaincre qu'ils ont véritablement changé ?

Au CCRP, on a dit que les points sur lesquels il n'y a pas eu de consensus restent en l'état ; mais comment expliquez-vous que l'article 37 qui n'avait pas été un point consensuel, pose aujourd'hui problème ?

Quand le chef de l'Etat a fait son discours, il a dit qu'il prend acte du fait qu'il y a des points non consensuels, mais que les débats se poursuivent ; et ce sont ces débats qui se poursuivent aujourd'hui.

Vous avez parlé un peu plus haut de Roch Marc Christian Kaboré ; que pensez-vous de la lutte qu'il mène avec son parti ?

Sur le plan des principes, ils ont le droit de démissionner et de créer leur propre parti. Moi, je suis un des spécialistes de la scission depuis l'université. Lorsqu'on démissionne, ce n'est pas pour aller en guerre mais pour défendre une vision, un idéal. C'est ce que Roch et ses camarades sont en train de faire : aller en guerre. Mais la question que je me pose est de savoir s'ils peuvent effacer ce qu'ils ont écrit et défendu noir sur blanc depuis 30 ans d'exercice du pouvoir avec le chef de l'Etat.

Mais ils ont quand même eu le courage de présenter leurs excuses !

Qu'est-ce que vous appelez courage ? Ils n'ont pas plus de courage que moi qui avais démissionné du gouvernement avec des Kalachs braquées sur moi, il y a de cela quelques années (NDLR au temps de la Révolution). C'est encore plus facile de démissionner aujourd'hui. En rappel, quand on franchissait la porte du Conseil des ministres, quelqu'un avait laissé entendre ceci : « Si vous laissez ces gens franchir la porte, c'est un déshonneur pour nous ». C'était un officier qui nous avait sauvés mais je me garde de citer son nom.
Mais cela, c'était sous le Front populaire. Aujourd'hui, ils ont fait la différence. Ils sont partis en disant qu'ils ne sont pas d'accord avec la gouvernance du pouvoir actuel. Mais quelle gouvernance ? Celle qu'ils ont eux-mêmes dirigée depuis des années ?

Mais est-ce que vous seriez prêt à démissionner du gouvernement, aujourd'hui ?

Si j'ai démissionné pendant qu'il y avait le danger, ce n'est pas aujourd'hui que je ne peux le faire si je le veux. Aujourd'hui, il est très facile de démissionner car il n'y a plus de danger. A l'époque, lorsque nous avions démissionné, les gens nous avaient fait savoir que nous étions un cas rare. J'ai démissionné en plein Conseil des ministres. Nous ne nous étions pas entendus sur la conférence nationale souveraine et c'est ce qui nous avait amené à démissionner.

Mais, en ce temps, le statut de ministre par rapport à celui d'aujourd'hui était différent ! Un ministre de l'époque n'est quand même pas celui d'aujourd'hui...

C'est certainement vrai, mais ce n'est pas parce que vous êtes plus à l'aise aujourd'hui que vous ne démissionnez pas s'il le faut. Nous sommes partis suite à des divergences politiques, notamment l'ouverture démocratique.

Est-ce que les raisons de ceux qui ont démissionné aujourd'hui ne valent pas celles que vous venez de présenter ?

Je ne juge pas leurs raisons. En dehors de la limitation des mandats, je ne vois pas autre chose sur le plan politique qui a pu les motiver à quitter le CDP.

Mais la limitation des mandats n'est pas une petite chose, cela concerne l'avenir de la Nation...

Après avoir crié que l'article 37 est antidémocratique... On peut se poser des questions.

Le CDP a demandé au Président d'utiliser ses prérogatives pour tenir le référendum. Quel commentaire en faites-vous ?

Je ne suis pas du CDP. Je n'ai pas de commentaire à faire par rapport à cela. Nous avons dit que ce n'est pas à nous de dire au président d'aller ou pas au référendum. Les membres du CDP sont dans leur plein droit en demandant à Blaise Compaoré d'user de ses prérogatives pour la tenue du référendum.

Pensez-vous que le Front républicain tiendra quand on constate qu'il y a des gens qui sont pour et d'autres contre la révision de l'article 37 ?

Avant qu'on ne mette ce fameux front, nous avons discuté.

Pourquoi vous dites fameux front ? C'est comme si vous n'y croyez pas ?

Je dis fameux front parce que la presse estime, jusque-là, que c'est une coquille vide qui n'a pas sa raison d'être, que c'est un front qui été mis en place pour contrer les autres de l'opposition. Comme je l'ai dit plus haut, le front avait été constitué bien avant. Les objectifs n'ont pas changé aujourd'hui. Nos objectifs sont, entre autres, la cohésion sociale et la préservation de la paix.

Parlant de la préservation de la paix, quel commentaire faites-vous par rapport à l'attitude de l'Eglise et de la médiation échouée de Jean- Baptiste Ouédraogo ?

L'Eglise ne dit pas n'importe quoi. Nous avons lu avec beaucoup d'intérêt le fond de leur analyse. Ce que je n'ai pas compris, c'est leur position. Elle a pris trop position dans cette affaire et c'est ce qui l'a empêchée d'être dans le rôle d'une médiation véritable. Quant à la médiation échouée du président Jean-Baptiste, jusqu'à présent, nous la saluons. Jusqu'aujourd'hui, nous saluons ce qu'il a voulu faire. Mais les acteurs ont refusé parce que chacun croit qu'il est plus fort que l'autre pour gagner. Certains disent que le régime est aux abois et, pour cela, il ne faut pas négocier. Ils estiment que si on négocie, c'est pour prolonger la survie du régime en place.

Mais comment expliquez-vous votre position et celle de Hermann Yaméogo dans le Front républicain ?

A la différence de Hermann Yaméogo qui appelle ouvertement à un référendum, nous, nous n'appelons pas ouvertement à un référendum. Il parle de démocratie transversale et consensuelle. C'est son droit le plus absolu mais ce n'est pas notre position.

Etes-vous inquiet pour l'avenir de ce pays ?

Je ne suis pas inquiet. Le Burkina s'en sortira. La bataille autour de l'article 37, c'est une bataille qui va s'estomper car le Burkina est un pays fabuleux. J'aime mon pays et je ferai tout pour que mon pays soit en paix.

Zéphirin a exclu quelques partis politiques de l'opposition dont le vôtre. Comment avez-vous accueilli cela ?

Zéphirin ne peut pas exclure un parti de l'opposition car ce n'est pas son rôle. Il aurait pu, à la limite, écrire au ministère de l'Administration territoriale et de la sécurité (MATS) pour poser le problème. Il ne peut pas faire la police des partis politiques. Nombre de partis politiques qu'il a exclus ne sont pas dans le gouvernement. Nous, nous menons à présent un combat de position de principes. Il est clair que chacun doit se déterminer si la réalité du référendum se présentait car nous voulons la paix.

Vous parlez de paix, pensez-vous que le parti au pouvoir travaille vraiment pour l'instauration de la paix en tenant coûte que coûte à modifier l'article 37 ?

Ne soyez pas subjectif. J'ai connu l'ancienne direction du CDP qui est une direction guerrière par rapport à l'actuelle direction du CDP. Ce que je peux reprocher à l'actuelle direction, c'est son manque d'expérience. L'actuelle direction est moins guerrière, plus porteuse de paix et plus humaine. Par contre, l'ancienne direction du CDP, qui dirige aujourd'hui le MPP, est une direction de va-t'en-guerre car je les connais mieux que Assimi Kouanda (Ndlr : l'actuel secrétaire exécutif du parti au pouvoir CDP). C'est des guerriers au sens propre du terme, sur le plan des idées et du combat.

Quelle appréciation faites-vous des mesures sociales prises par le gouvernement, notamment celles qui concernent votre ministère ?

C'est bien car c'est la première fois que le ministère de l'Action sociale bénéficie d'une aide aussi énorme. Mieux, depuis quelques jours, ces mesures sociales sont inscrites comme la 5e priorité du gouvernement.
Il faut maintenant souhaiter que ces mesures soient pérennes.

Pourquoi ces mesures, maintenant ?

On nous a dit en province que c'est parce que nous sentons venir le vent, que c'est parce que nous avons peur. Je vous dis que non. Ce n'est pas forcément cela.

Que pensez-vous du vote des Burkinabè de l'étranger ?

C'est une bonne chose car c'est leur droit ; seulement, j'ai peur que cela n'échoue parce que cela va être complexe. Mais il faut commencer pour voir la suite. Chacun des partis le réclame au moment où c'est opportun, au moment où il se rend compte qu'il a des partisans à l'extérieur.

Etes-vous pour les candidatures indépendantes ?

Nous avons soutenu cela pendant longtemps et nous avons été battus au CCRP car les gens avaient estimé qu'il fallait que nous soyions dans des partis politiques. Je crois que les gens se font des illusions. Créer un parti aujourd'hui n'est pas facile. Soit, vous vous positionnez dans l'opposition, et là les choses ne seront pas faciles, soit vous vous positionnez dans le parti au pouvoir et vous souffrez des avis que vous émettez.

Que souhaiteriez-vous que le peuple burkinabè garde de vous comme image en tant que président de parti politique ?

Je souhaite qu'il fasse un bilan de ce que j'ai fait. Qu'il juge en reconnaissant ce que je n'ai pas pu faire, involontairement. Le reste, qu'il me pardonne pour mes défauts. En ce qui concerne mes qualités, seul lui peut le savoir. Je suis venu en politique alors que j'étais encore étudiant. J'aime la politique ; malheureusement, je n'ai pas les moyens de ma politique car, aujourd'hui, il ne suffit pas d'avoir des idées pour faire la politique, mais plutôt des moyens.

Propos recueillis par la redaction et retranscrits par Yannick SANKARA et Mamouda TANKOANO

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