Vous attendiez-vous à un éventuel recours contre votre client Djibrill Bassolet ?
Normalement tous les candidats sont susceptibles de faire l’objet de réclamation ; en effet, l’article 131 du code électoral permet aux candidats de faire des réclamations contre la liste des candidats ; mais attaquer en tant que tel, je dirai non.
Après cette requête en inéligibilité vous avez introduit un mémoire en défense ; sur quoi est fondé votre argumentaire si ce n’est pas trop secret ?
Je dois préciser qu’il y a eu plusieurs recours. Le premier est celui de Tougma Victorien pour lequel un mémoire a été déjà déposé et celui d’hier (lundi : 7 septembre Ndlr) et il y a un troisième recours, celui d’Ablassé Ouédraogo, dont la réponse est en cours d’élaboration et sera déposée aujourd’hui même. Lui, il a ratissé large : Ram, Salvador, Bassolet, Yacouba Ouédraogo et Roch Marc Christian Kaboré. S’agissant de notre argumentaire, nous avons expliqué dans notre mémoire que le droit de réclamation, tel que libellé à l’article 131 et son emplacement dans la structuration du Code électoral, ne permet pas à quelqu’un de revendiquer l’inéligibilité de quelque candidat que ce soit ; ça, c’est notre entendement.
Est-ce que vous pouvez être plus explicite ?
En français facile, si vous prenez la structure du code électoral, vous voyez les dispositions relatives à l’élection du président du Faso au chapitre 1 portant sur la déclaration des candidatures suivi du chapitre 2 sur les conditions d’éligibilité et d’inéligibilité et le chapitre 3 relatif à la campagne électorale. Les dispositions concernant la déclaration de candidature s’arrêtent à l’article 133. Vous vous rendez compte que les dispositions concernant l’inéligibilité commencent à l’article 134.L’article 131 qui n’est que dans la partie déclaration de candidature permet à tous ceux qui ont fait l’objet de validation de faire des réclamations contre la liste. Je dois vous indiquer que le Conseil constitutionnel valide les candidatures par décision individuelle et prend ensuite une décision d’arrêt de la liste des candidats validés.
Donc l’article 131 dit que les candidats ont un droit de réclamation contre cette liste de candidats provisoires. Selon nous, à partir du moment où le Conseil constitutionnel a validé cette liste en utilisant les dispositions concernant l’éligibilité et l’inéligibilité, ça veut dire que tous ceux qui sont passés ont été soumis à la même vérification, donc la décision du Conseil est définitive. Pour nous, ce qui est provisoire, c’est seulement sous réserve de ce qui est prévu à l’article 131, c’est-à-dire le droit de réclamation qui est tout autre chose que la contestation de l’éligibilité.
Je dis à vous, les journalistes : c’est vrai que c’est du droit et vous êtes quelquefois mystifiés par certains termes mais c’est du français avec une logique. Quand vous savez que l’article 129 donne au Conseil constitutionnel le droit de faire toutes les vérifications qu’il juge utiles pour valider les candidatures, ce qu’il fait en application de l’article 135 en rejetant certaines candidatures, cela veut dire que ceux dont la candidature a été même provisoirement validée et affichée sont éligibles. Vous verrez d’ailleurs avec l’article 136 qu’il est interdit la publication de la candidature d’une personne inéligible. Notre argumentaire en la forme est bâti sur ça. Tous ceux qui demandent d’invalider n’ont pas ce droit ; ce droit appartient exclusivement au Conseil constitutionnel. Tout ce qu’il y a comme recours est irrecevable vous savez bien qu’en droit, lorsque vous n’avez pas un droit d’agir votre acte est irrecevable.
En clair vous voulez dire que les recours-là n’ont même pas leur raison d’être ?
Exactement. Ils peuvent se comporter comme ils veulent bien le faire mais nous espérons que le Conseil constitutionnel leur fera savoir qu’ils n’ont que le droit de réclamation et non un droit de recours en inéligibilité comme c’est prévu à l’article 173 pour les législatives. Dans ledit article, il est stipulé que tout citoyen a le droit de saisir le Conseil constitutionnel après la validation des candidatures par la CENI s’il n’y a pas de recours devant le Tribunal administratif pour demander l’inégibilité d’un candidat. Ça, c’est clairement dit.
Mais quelle est la différence entre droit de réclamation et droit de recours comme vous en faites cas ?
C’est du français et nous avons la même compréhension du mot. Quand je viens faire une réclamation chez vous, ça veut dire que j’ai droit à quelque chose qu’on ne m’a pas donné mais le recours est une action à part entière pour aussi réclamer quelque chose auquel j’ai droit mais d’une autre manière. La réclamation est plus légère que le recours. Si je suis candidat à un examen et je vois que mon nom a été mal écrit dans la publication des candidats, je vais faire une réclamation ; mais si on me dit : M. « Bonkoungou, vous n’avez pas le droit de compétir à ce concours », alors que j’estime en avoir le droit, je ferai un recours contre la décision qui a été rendue à mon encontre. La réclamation concerne des éléments qui ne peuvent pas être le fond parce qu’on pense qu’il y a déjà un acquis et la réclamation vient comme un complément. J’ai reçu un colis de la poste, je me rends compte qu’il a été violé je fais une réclamation à la poste. Nous espérons que le Conseil constitutionnel sans préjuger de sa décision, nous suivra dans notre logique.
Ça, c’est du français comme vous le dites. Même si la forme est la mère du droit, quels sont les arguments sur le fond ?
Pour ce qui est du fond, vous voyez que jusqu’à présent même pour les législatives qui ont connu des décisions, il y a comme une globalisation des faits et des récriminations contre un groupe donné de personnes. Le principal argument utilisé contre Djibril Bassolet, c’est qu’il a été membre du gouvernement qui a adopté le 21 octobre 2014 un projet de loi, alors que la disposition invoquée contre lui dit : «toutes les personnes ayant soutenu...». Ce qui veut dire qu’il s’agit des personnes et non d’une institution. L’appartenance d’une personne à une institution ne peut pas être un élément de caractérisation.
Pour agir contre des gens individuellement, il faut faire la preuve individuellement en ce qui les concerne. Notre argumentaire consiste à dire que Monsieur Djibril Bassolet n’a pas soutenu personnellement la révision de l’article 37 et mieux à chaque fois qu’il lui était donné l’occasion de s’exprimer individuellement, il a laissé voir qu’il n’était pas pour cette révision. Il y en a qui font remarquer qu’entre 2011 et 2014, il a dû changer de position. Je leur rétorque que même en 2014, il a dit à son personnel lors des vœux du nouvel an de se rassurer que le chef de l’Etat ne ferait rien contre la paix sociale. Vous ne pouvez pas exhiber un seul fait, un discours, un acte posé par lui de manière détachée qui soutient ladite révision. Du reste en matière d’action en justice la charge de la preuve incombe à celui qui allègue le fait.
Ceux qui ont déposé ces recours s’appuient sur l’article 68 de la Constitution qui dit, entre autres, que les membres du gouvernement sont solidairement responsables des décisions du conseil des ministres.
La solidarité dont on parle, il est d’abord dit que chacun est responsable de son département. Je n’ai jamais été ministre et je ne sais pas comment les choses se passent en conseil des ministres mais je sais que lorsqu’un organe délibère, vous n’allez pas chercher à savoir qui est pour à 100 à 80 ou à 10% d’accord avec la décision adoptée. Je caricature : je suis issu d’une famille dont on dit qu’elle est arrogante alors que tout le monde sait qu’il y a peut-être Dieudonné Bonkoungou qui est modeste, conciliant, sociable et fait exception ; mais chaque fois qu’on attaque sa famille il la défend. Si on veut globaliser qu’on le fasse.
Les gens se disent qu’il aurait dû démissionner s’il n’était pas pour
Vous savez bien que les choses ne sont pas automatiques. Le fait de ne pas démissionner en soi ne prouve pas qu’il était d’accord avec le projet ; il y a des gens, vous le savez bien, qui ont déconseillé au président de modifier le fameux article et j’en connais qui ont fait des années sans serrer la main du président à cause de cette position mais ils n’ont jamais quitté le parti. Ils ont même été touché par les événements des 30 et 31 octobre. Que dites-vous de ces gens-là ? C’est pas parce qu’on a refusé de m’entendre une ou deux fois que je suis obligé de claquer la porte. Retenez que pour l’essentiel, il ne s’agit pas pour notre client de dire « moi, je n’ai pas soutenu » mais plutôt c’est à ceux qui l’accusent d’apporter la preuve de leur accusation.
Concrètement, comment va se faire cette défense ? Est-ce comme ordinairement en présence de l’avocat qui prend la parole ou est-ce que le mémoire sera tout simplement déposé ?
En la matière, le Conseil a la possibilité d’organiser des audiences mais ce n’est pas une obligation ; il peut examiner sur pièces et rendre sa décision.
A quand la décision quand on sait que vous avez déposé votre mémoire ce lundi ?
Pour les législatives, il y a des délais ce qui n’est pas le cas pour la présidentielle puisqu’il n’y a pas de recours en inéligibilité comme je l’ai souligné plus haut. Cela dit, je sais que le Conseil va statuer diligemment .
D’aucuns soutiennent que votre client a œuvré à éviter un bain de sang pendant l’insurrection ; il nous l’a même laissé entendre lors d’une interview ; qu’est-ce qu’il a pu faire concrètement le jour de l’insurrection ?
Pour tout vous dire, moi-même j’étais dans la foule ; je ne peux pas vous dire ce qu’il a fait.
Comme vous êtes son avocat, il a dû vous dire ce qu’il a fait ?
Non, ça ne fait pas partie de son argumentaire. Mais si les gens veulent faire une conjugaison des faits et gestes de ce monsieur, ils vont d’abord noter qu’il n’a pas soutenu la modification de l’article 37 et que lors des émeutes, il a été un de ceux qui ont été qualifiés de Judas parce qu’il aurait facilité l’accession du peuple à ses aspirations par des actes concrets qu’il n’a pas décrits. Mais si les militaires et les gendarmes avaient défendu farouchement l’Assemblée Nationale, les choses auraient pris une autre tournure.
Est-ce que vous insinuez qu’il les a amenés à lever le pied ?
Je ne saurais le dire, je suis de ceux qui croient que, tant dans le déroulement des événements que dans la transmission du pouvoir, il a été une personne-ressource pour non seulement éviter un bain de sang mais aussi permettre un relais institutionnel pour que les choses se calment.
Avec quel sentiment vous abordez les perspectives du verdict : optimisme ou scepticisme ?
Je suis convaincu des arguments que j’avance, pas parce que je défends quelqu’un mais parce que c’est ma lecture juridique. Dans tous les cas lorsqu’on va devant le juge, on s’attend à être contrarié dans ses aspirations mais je reste optimiste. Je pense que le Conseil constitutionnel pouvait s’autosaisir sur la constitutionalité de l’article 135 ; je pense aussi qu’au regard du verdict de la Cour de justice de la CEDEAO qui lie le Burkina Faso et dont le protocole dit que les décisions sont immédiatement exécutoires et sans appel, et que le Conseil constitutionnel est le garant de la bonne marche de l’Etat de droit, il peut se conformer à la décision supranationale qui a été rendue. En effet la dernière motivation de cette décision dit ceci : «Pour l’ensemble de ces raisons, et sans qu’il soit besoin de statuer sur le caractère «consensuel» ou non du changement de la loi électorale intervenu avant les élections, la Cour estime que les formations politiques et les citoyens burkinabé qui ne peuvent se présenter aux élections du fait de la modification de la loi électorale (loi n° 005-2015/CNT portant modification de la loi n° 014-2001/AN du 03 juillet 2001) doivent être rétablis dans leurs droits. Elle précise en outre que les instruments internationaux invoqués au soutien de la requête lient bien l’Etat du Burkina Faso.
La Cour estime qu’il est logique, dans ces conditions, que l’Etat du Burkina Faso supporte les dépens
La décision précise plus loin :
- Dit que le Code électoral du Burkina Faso, tel que modifié par la loi n° 005-2015/CNT du 07 avril 2015, est une violation du droit de libre participation aux élections ;
- Ordonne en conséquence à l’État du Burkina de lever tous les obstacles à une participation aux élections consécutifs à cette modification ;
- Condamne l’État du Burkina aux entiers dépens.
Au regard de tout cela, les dispositions très équivoques et liberticides du nouveau code tombent en désuétude si le Conseil veut bien suivre la Cour de la CEDEAO.
Interview réalisé
Abdou Karim Sawadogo