Pour comprendre l'enjeu du meeting MPP à Gourcy, il faut se remettre dans le contexte politique de la localité. La belle-famille de François Compaoré est originaire de cette localité. Le beau-père, Tasséré Ouédraogo (l'époux de la richissime Alizèta Ouédraogo) est le maire de la commune, son fils est le suppléant de la député Catherine Ouédraogo, son neveu président du comité de jumelage avec une ville française et d'autres proches occupent des postes de responsabilité dans les sections locales du CDP.
Aux dernières élections de décembre 2012, le camp proche de Salif Diallo a été mis à la touche pour laisser libre court à celui de Tasseré. Voilà donc deux ans que certains attendent que certains attendaient ce jour. Les militants du MPP Zandoma attendaient avec impatience le meeting du 15 mars. Le point focal du parti, Lassané Sawadogo et ses camarades avaient sonné le tocsin depuis plusieurs jours. A l'arrivée, ils ont été comblés par la très forte mobilisation des populations de la province. Cette journée du 15 mars 2014 va rester graver dans la mémoire des habitants de Gourcy. Du matin jusqu'au soir, c'était la fête dans la ville. Le MPP et le chef de Gourcy se sont « entendus » pour se partager la journée. La demi-journée revient au MPP pour son meeting et l'après-midi est réservé à la cour royale pour sa fête coutumière de nabasga. Si ce partage horaire est bien beau sur le papier, dans les rues de la ville en revanche, c'est une autre réalité. Les affiches du MPP trônent à côté de celles du chef traditionnel, le naaba Baongho (par ailleurs PCA de SOMICA et de la Chambre des mines) et les gens font également des va-et-vient entre le palais du chef et la Place de la Nation de Gourcy, lieu du meeting. Faut-il pour autant voir une connivence entre les responsables du nouveau parti et le chef de Gourcy ? La question reste posée. Mais ce qui est sûr, la « neutralité bienveillante » du chef qui lui vaut tous les égards et respects de la part des responsables du MPP qui, tous, ont commencé leur discours par les salutations au chef.
Un meeting aux accents guerriers
on sentait une très grande détermination des militants du parti qui, malgré la forte chaleur, sont restés, pour la plupart debout, pour attendre les premiers responsables du MPP. Dans le chronogramme, le meeting était prévu pour démarrer à 11h, mais c'est à 12h15 que Roch et ses camarades feront leur entrée triomphale sur l'aire du meeting, sous des ovations nourries des milliers de personnes massées en cercle concentrique. Pendant près de deux heures, des discours très musclés contre « l'homme qui n'a pas de nom » vont être alternés avec des animations musicales elles-mêmes faites du mélange tradi-moderne (troupes traditionnelles hommes et femmes, Sana Bob, OSCI-B, Prince Zoetaba). C'est le représentant des jeunes, Noufou Ouédraogo qui déclenche l'artillerie contre l'homme qu'on ne nomme pas, mais qui est connu de tous. Il s'agit du maire de Gourcy Tasseré Ouédraogo, l'adversaire, voire l'ennemi du jour. Ce dernier aurait, selon Noufou, tenté de saboter le meeting en interdisant aux femmes de la brigade verte de la mairie (près de mille balayeuses de rues) de mettre pied au meeting sous peine d'être radiées. Noufou Ouédraogo croit savoir qu'outre cette menace, le maire aurait convié ces femmes à son domicile le 15 mars à 11h, comme par hasard. Il fustige cette attitude du maire tout en lui rappelant que le propriétaire du concept de « brigade verte » est bel et bien Simon Compaoré et celui-ci est avec eux au MPP.
Pour Lassané Sawadogo, cette journée est certes une journée de victoire, mais aussi de souvenirs. Il a demandé une minute de silence à la mémoire de tous leurs camarades disparus « les armes à la main » pour faire triompher « la vérité, la dignité au Zandoma ». Il cite nommément trois personnes. Il s'agit de Tegawendé, Salif Tougo et issouf Mandé. Tous les trois avaient été élus, à un moment donné, comme secrétaire général de la section provinciale du CDP, mais ils n'ont jamais pu exercer. L'actuel maire se serait farouchement opposé en faisant jouer ses relations avec la famille présidentielle. Pour les têtes d'affiches du MPP à Gourcy, Lassané Sawadogo, Raogo Antoine Sawadogo, Tanganéan Salif Ouédraogo et autres, Gourcy symbolise avant l'heure la résistance contre la patrimonialisation du pouvoir. « Gourcy était le laboratoire où on venait expérimenter tout avant de l'étendre à tout le pays », a imagé Lassané Sawadogo. Les trois compagnons disparus s'étaient insurgés contre cette pratique, selon Lassané et on leur a promis la mort. C'est pourquoi Lassané Sawadogo parle de Gourcy comme étant les racines du MPP avec ses martyrs. La « résistance » à l'interne du parti aurait commencé dans cette localité jusqu'à la rupture définitive intervenue en décembre 2012 à l'occasion du dépôt des listes de candidats CDP aux couplées Législatives-Municipales. Deux listes du parti étaient en concurrence et finalement le secrétariat exécutif national du CDP a préféré celle de Tasséré Ouédraogo. Les militants mécontents de Gourcy ont poussé à la démission, à défaut, ils ont fait vote sanction en faisant élire des candidats de l'opposition contre ceux du CDP aux législatives comme aux municipales.
Le MPP veut chasser le maire
Avec la disqualification de leur liste, les anti-Tasseré se retrouvent complètement exclus des instances du parti et des postes électifs. Leur tête de file, Lassané Sawadogo, sera victime, plus tard, d'une autre disqualification. Admis au test de recrutement de DG de l'Ecole nationale de l'Administration et de la magistrature (ENAM), il s'est vu refusé le poste quelques mois plus tard. Le Conseil des ministres a décidé entre temps de changer les règles de désignation des responsables de certains établissements publics dont l'ENAM. De sources informées, c'est lui qu'on visait particulièrement en changeant les textes. Là aussi, Lassané et ses camarades y voient la manifestation d'une forme de privatisation de l'appareil de l'Etat. On utilise l'Etat pour régler des comptes politiques : « patrimonialisation du pouvoir ». Après Lassané Sawadogo et Simon Compaoré qui s'est appesanti sur l'instrumentalisation des femmes de la brigade verte et les rumeurs de démobilisation à Gourcy, c'est un Salif Diallo très offensif qui monte à la tribune pour envoyer des salves à leurs ennemis irréductibles. Pour lui, Tasseré et ses proches sont tombés comme une mouche dans leur sauce. Il explique que ce dernier est venu de nulle part pour récupérer un parti que lui et ses camarades ont mis du temps pour construire. A ses yeux, Tasseré Ouédraogo veut ramener l'esclavage dans le Zandoma, mais il se serait trompé d'époque. Il promet de le chasser de la mairie et même de la ville s'il insiste dans ses « provocations ». Il rappelle à ses détracteurs qui gèrent la commune que celle-ci ne les appartient pas plus que lui. « Comme ils sont des ignorants, ils ne savent pas que dans la tradition, cette ville m'appartient plus qu'eux qui se disent natifs. », déclare-t-il. Il fait référence à sa mère native de la zone et à ce titre, le neveu a tous les droits chez ses oncles. Salif ne rate aucune occasion de railler le « beau-père national ». Il rappelle ainsi l'échec de Tasseré à la chefferie de Gourcy avec une ironie caustique. Pour lui, c'est le signe que le personnage est assoiffé du pouvoir et n'a aucun programme pour la commune. Il promet d'ailleurs qu'en 2015, le MPP va tout récupérer au Zandoma, y compris la mairie (les élections municipales doivent pourtant avoir lieu en 2017). Roch Marc Christian Kaboré est venu clore la série des interventions. Il a été moins offensif, mais très ferme sur les intentions du MPP de tout rafler en 2015 à Gourcy pour laver tous les affronts que les militants ont subis depuis près d'une décennie. Il a bien sûr expliqué pourquoi il doit avoir alternance en 2015. Il demande directement à Blaise Compaoré d'écouter les populations et d'aller se reposer. Il a promis de revenir après le congrès pour expliquer ce que le parti compte faire pour changer les conditions de vie des populations.
Autre symbole de ce meeting, c'est la présence de Alouna Traoré, le seul survivant du massacre du 15 octobre 1987 au Conseil de l'Entente. C'est une nouvelle recrue du MPP et apparemment, c'est lui qui a coordonné les préparatifs du meeting. Il était au four et au moulin, jamais assis. Il était reconnaissable à sa taille, son faso danfani et son turban touareg. Pour interrompre par exemple les troupes traditionnelles dans leur élan, à cause du timing serré, ou pour demander à certains spectateurs d'être moins mobiles, c'est l'imposant Alouna qui vient mettre de l'ordre. Visiblement, il est bien écouté. Il n'est pas le seul « sankariste » au MPP. Malick Yamba Sawadogo, l'ex-député UNIR/PS était bien visible également. Gourcy était à n'en pas douter une rencontre de symboles ce 15 mars.
Idrissa Barry
Mutations N°49 du 15 mars 2014