François Compaoré : Bouc émissaire ou victime des démissionnaires?

| 04.02.2014
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Caricature - journal du jeudi
© DR / Autre Presse
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Dans la recherche des causes des démissions massives qu'enregistre le parti présidentiel, tous les doigts accusateurs semblent pointés vers le frangin du Blaiso national. Tout haut ou tout bas, certains le tiennent pour responsable de la «déviation de la ligne du parti». Mais ces accusations ne cacheraient-elles pas également un règlement de comptes mal soldé entre les démissionnaires et François Compaoré? Pourquoi partir simplement parce qu'on n'est pas d'accord avec un seul homme, fût-il le ''petit président''?

On ne le dira jamais assez, les démissions de Roch Marc Christian Kaboré, Simon Compaoré et Salif Diallo constituent un coup dur pour le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). A tort ou à raison, ces hommes sont considérés comme ceux qui ont conçu, pétri et grossi les rangs du parti présidentiel. Au plus fort de la crise consécutive à l'assassinat du journaliste Norbert Zongo en décembre 1998, ces anciens barons ont été à toutes les manœuvres qui ont redonné la main à l'enfant terrible de Ziniaré. Cet événement est d'autant plus important à relever parce que c'est par celui-ci que François Compaoré a été révélé à l'opinion publique nationale et internationale.

On le savait conseiller spécial de son frère de président, mais jamais on n'avait parlé de lui avant cette tragique disparition du directeur de publication de L'Indépendant et de ses compagnons d'infortune. On peut même dire qu'un nouveau destin s'est forgé pour François Compaoré à partir de ce drame qui a également modifié la donne politique et sociale du Faso. Ceci explique-t-il pourquoi il a décidé finalement de faire plus ouvertement la politique en prenant une place plus prépondérante au sein du bureau exécutif du CDP?

Toujours est-il qu'après avoir été l'objet d'une publicité très négative à la suite de l'affaire David Ouédraogo - du nom de son chauffeur torturé à mort par des éléments de la garde présidentielle -, François Compaoré s'est quelque peu senti le devoir de sortir du bois pour se construire une autre image de lui. Même s'il n'a jamais osé prendre, officiellement, les rênes du parti présidentiel, tout le monde savait que son frère lui a cédé une bonne parcelle de pouvoir. De mauvaises langues vont même jusqu'à dire que beaucoup de cadres sont devenus ministres par sa seule volonté. Et qu'il a fini par se former «son gouvernement» dans le gouvernement. Ce qui veut dire qu'il a ses hommes et ses intérêts à protéger et à défendre. Inutile d'ajouter que ses relations privées avec sa belle-mère Alizéta Gando ont contribué à booster l'influence de cette femme d'affaires devenue aujourd'hui présidente de la Chambre de commerce et d'industrie du Burkina. François Compaoré est-il devenu plus puissant et plus influent qu'il ne le fallait?

Une chose est sûre, c'est que dans tous les coins et recoins du pouvoir qu'il a voulu contrôler, des barons du CDP ont dû courber l'échine ou démissionner. Les exemples les plus patents viennent curieusement des chefs de file des démissionnaires que sont Roch, Simon et Salif. Tout a d'ailleurs commencé avec le troisième qui avait dit, à l'époque, qu'il n'était pas un «ministre yesman». Les observateurs les plus avisés de la scène politique burkinabè avaient perçu à l'époque que le torchon brûlait entre l'ancien tout-puissant ministre d'Etat et l'entourage du président. Ce qui devait arriver arriva avec son débarquement du gouvernement du Premier ministre Tertius Zongo.

Dans un premier temps, il a été envoyé en «exil» comme ambassadeur du Burkina à Vienne, en Autriche. Mais l'homme n'ayant pas sa langue dans la poche, il a fini par faire une déclaration médiatique sur l'avenir du président du Faso qui lui a coûté une suspension des instances du CDP. Fallait-il déjà voir la main de François Compaoré dans les mésaventures de Salif?

Officiellement, il n'a jamais été question de rivalité ouverte entre lui et le «petit président». Mais dans les coulisses, on a souvent appris que Blaise serait contraint de choisir entre son «ami» et son «petit frère». Info ou intox? La vérité c'est que l'ancien ministre et ambassadeur a fini par disparaître de l'entourage du président, confirmant ainsi une certaine «victoire» de François Compaoré.

Puis vint le dernier congrès du CDP à l'issue duquel Roch Marc Christian Kaboré a été débarqué de la direction du bureau politique national au profit d'Assimi Kouanda. Pour la première fois, le «petit président» s'installe comme secrétaire chargé des relations avec les associations. Roch, Simon, Salif et d'autres anciens barons sont relégués au garage comme «conseillers politiques». Un acte qui ne trompe plus désormais sur la tension qui règne au sein du parti et la volonté de François Compaoré de tout régenter. Aux élections législatives et municipales couplées de décembre 2012, aucun des trois mousquetaires n'a été curieusement candidat. De façon tactique et stratégique, Simon Compaoré, qui venait de passer 17 ans à la tête de la mairie de Ouagadougou, annonce sa «retraite politique» sous prétexte qu'il n'avait plus rien à prouver. En réalité, il reculait pour mieux sauter dans le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) qui a été finalement lancé le 25 janvier dernier, signant définitivement le divorce entre les deux camps.

Tandis que François Compaoré se bat aujourd'hui pour sauter le verrou de la limitation du mandat présidentiel pour que son frère demeure président ad vitam aeternam, la position de Roch, Simon et Salif s'y oppose on ne peut plus clairement. «Une seule personne ne peut pas penser indéfiniment l'avenir d'un pays», reprennent en chœur les trois hommes. En les laissant partir ou en se séparant d'eux - c'est selon -, Blaise Compaoré indique clairement qu'il a choisi son frère au détriment de ses «amis». Advienne que pourra?

Il reste maintenant à François Compaoré aussi de tirer toutes les conséquences de ses prises de position et surtout de les assumer. Il a obtenu l'éloignement de ses rivaux, mais la situation politique actuelle n'arrange ni le CDP, encore moins son grand frère qui se retrouve ainsi dans une posture délicate face à une opposition politique ragaillardie. Pour reprendre la main, il a donc le choix entre faire de son frangin un vrai bouc émissaire ou terminer tranquillement son bail comme le lui imposent du reste l'esprit et la lettre de la Constitution actuelle.

F. Quophy

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