Même dans nos traditions africaines, cette prime de bienvenue est recommandée par les convenances : c’est la fameuse calebasse ou eau à l’étranger, le fameux san wamdé (1), qui commande qu’on fasse bonne chère au nouveau venu avant de lui faire voir de quel bois on se chauffe.
Roch Marc Christian Kaboré, que les électeurs burkinabè viennent de hisser au faîte de l’Etat, dans les conditions qu’on sait, bénéficiera-t-il d’un tel répit ?
S’il ne fallait en juger que par le fair-play avec lequel l’ensemble de la classe politique a accepté ce verdict des urnes et dont l’illustration la plus frappante restera l’historique embrassade entre le vainqueur et son challenger immédiat, Zéphirin Diabré, à l’annonce des résultats, il y a de quoi ne pas désespérer. On peut même penser que l’homme du 30 novembre s’est trouvé doublement légitimé et que ce ne devrait pas être la mer à boire pour lui que de trouver les neuf députés qui lui manquent pour l’investiture, haut la main, du Premier ministre qu’il chargera de conduire sa politique.
Côté organisations de la société civile, les perspectives semblent moins sereines, à en croire en tout cas le porte-parole de l’Unité d’action syndicale, dont les récents propos comminatoires en disent suffisamment long sur leur détermination à sonner la charge dès que le nouveau locataire de Kosyam aura effectivement mis le pied à l’étrier.
« Il n’y aura pas de répit pour le nouveau gouvernement. Tout le monde connaît le problème des travailleurs », a en effet prévenu Bassolma Bazié. On ne peut pas faire plus clair et plus net : Roch doit savoir qu’il trouvera à qui parler d’entrée de jeu. Ce serait faire dans la redondance que de vouloir insister sur ce ferment que furent les OSC pour l’insurrection victorieuse des 30 et 31 octobre 2014, et combien la grève générale déclenchée par la même Unité d’action syndicale fit pièce à l’équipée des 16 et 17 septembre en bloquant le fonctionnement de l’Administration et du secteur productif.
Mieux, les syndicats auront eu la franchise d’adresser à chaque candidat à l’élection présidentielle leur plateforme revendicative, dont ressortent des urgences comme le cas des victimes de l’insurrection et du putsch raté, l’apurement des vieux dossiers de crimes de sang, la lutte contre la vie chère.
Maintenant qu’ils savent que c’est un vieux routier des affaires publiques qui sera au gouvernail et qui s’y connaît pour avoir coltiné pendant un quart de siècle, il est compréhensible qu’ils soient aussi exigeants qu’impatients. Ce faisant, ne restent-ils pas d’ailleurs dans leur rôle ?
Malgré tout, à notre humble avis, il faut accorder au fils de Bila un certain état de grâce, lui laisser le temps de s’asseoir et de prendre la pleine mesure de ses nouvelles responsabilités avant de commencer à accomplir ses premiers miracles. A charge pour lui, bien sûr, de ne pas abuser de ce temps d’observation, mais au contraire de donner, dès l’entame de son pouvoir, des signaux forts et rassurants d’une réelle volonté de rupture avec les mauvaises pratiques du régime défunt.
Toutes les revendications portées par les syndicats et les autres composantes de la société civile se valent sur l’échelle des priorités. Mais leur résolution passe par un préalable sine qua non : l’assainissement du climat des affaires, sans quoi l’argent, qui reste le nerf de la guerre contre la pauvreté, fera dramatiquement défaut.
Bien sûr qu’il ne faut pas attendre la croissance à deux chiffres du PIB, qui ne viendra jamais ou pas de sitôt, avant de se pencher sur le panier de la ménagère. Mais il faut absolument que la confiance revienne et, avec elle, les investissements tant intérieurs qu’extérieurs, pourvoyeurs de ressources publiques par le biais des impôts et autres taxes.
Rien de tout cela ne sera aisé sans cet autre préalable qu’est la restauration de l’autorité de l’Etat ; une autorité déjà chancelante les dernières années du règne de Blaise Compaoré et qui s’est retrouvée totalement délitée aujourd’hui.
Comment y parvenir si, dès les premiers pas de Roch à Kosyam, Bassolma Bazié et ses fantassins déclenchent le harcèlement syndical et si l’insurrection permanente s’empare de la rue, même à propos du sexe des anges ?
Nonobstant le sang et les pertes de toutes natures qui ont été le prix à payer, ce qui s’est passé ces douze derniers mois au Burkina Faso a quelque chose de grand, de beau et de sublime qui hisse notre pays au rang de modèle.
A nous de veiller à ce que le résultat final n’en soit pas un Etat impuissant et inefficace dans un pays ingouvernable.
La Rédaction