La chefferie traditionnelle au Burkina, on le sait, a très souvent adopté une posture légitimiste, qui l'a toujours amenée à être favorable au régime en place. Les seuls régimes qui ont eu maille à partir avec cette institution et qui en ont d'ailleurs payé le prix fort, sont ceux de Maurice Yaméogo et de Thomas Sankara. Le premier avait voulu réduire l'influence du Mogho Naaba. Le second, pour des raisons liées à l'idéologie, avait rangé les chefs traditionnels dans le camp des ennemis de la Révolution et les avait combattus comme tels. Blaise Compaoré, qui avait participé à cette « croisade » contre les « bonnets rouges », s'était vite ravisé, à partir de 1987, et a vite fait de les réhabiliter en les mettant au cœur de son système. Une des explications de son long règne relativement tranquille, est à chercher certainement du côté de ses accointances avec les dépositaires du pouvoir traditionnel. Et il le leur rendait bien. Dieu seul sait combien de chefs ont bénéficié à ce jour des largesses du président. En contrepartie, il avait la garantie du soutien de « ces grands électeurs ».
A en croire certains dissidents, la stratégie d'humiliation était telle que tous ceux qui avaient encore un minimum de dignité ne pouvaient faire autrement que de rendre le tablier
Avec donc la démission du Larlé Naaba, dont le rôle auprès du Mogho Naaba est plus visible que celui des autres dignitaires du palais royal, l'on est tenté de dire que le pouvoir est en train de perdre sa principale machine électorale qui pourrait lui faire défaut, au cas où il souhaiterait en appeler au peuple, par la voie référendaire à l'effet de modifier la Constitution pour permettre à Blaise Compaoré de rebeloter en 2015, comme le souhaitent le CDP et la Fédération associative pour la paix avec Blaise Compaoré (FEDAP/BC). Mais au-delà de la démission du Larlé Naaba, dont la portée sociologique et politique n'est pas à négliger, l'on peut se demander ce qui a bien pu motiver ce ministre et porte- parole du Mogho Naaba, à poser un acte inédit au Burkina.
D'abord, les observateurs avisés de la scène politique burkinabè savent que l'homme a toujours marché dans les pas de Roch Marc Christian Kaboré, une figure de proue du CDP. Certaines indiscrétions ont pu laisser entendre qu'il en était « le chargé de missions » permanent auprès de la chefferie, notamment moaga. Une amitié et une complicité entretenues de longue date ont pu forger entre les deux hommes des liens forts qui ont pu résister au temps et à l'opportunisme politique. De ce point de vue, le Larlé Naaba, même si cela est rare en politique, s'est assumé en décidant d'accompagner son mentor dans la nouvelle aventure politique dans laquelle il vient de s'engager. D'ailleurs, le palais du Larlé Naaba peut passer pour être le QG (quartier général) de la « rébellion » portée par le trio Salif Diallo, Roch Marc Christian Kaboré et Simon Compaoré.
L'autre raison qui pourrait expliquer le geste du Larlé Naaba, c'est l'humiliation dont lui et tous les proches de Roch Marc Christian Kaboré ont été l'objet au quotidien, de la part de la nouvelle équipe dirigeante du CDP. A en croire certains dissidents, la stratégie d'humiliation était telle que tous ceux qui avaient encore un minimum de dignité ne pouvaient faire autrement que de rendre le tablier.
En tous les cas, l'occasion est donnée à tous ceux qui sont épris de démocratie, de réfléchir sur le rôle que la chefferie doit jouer dans l'espace public
Ne dit-on pas d'ailleurs chez nous que l'homme digne préfère plutôt mourir que de subir l'humiliation ? Cette hypothèse a pu être confirmée par la dernière sortie de François Compaoré à propos de la démission du Larlé Naaba, le 12 janvier 2013. A cette occasion, le frère cadet du président s'en serait pris violemment au Larlé Naaba en « des termes inacceptables ». Dans le même registre, le refus du Larlé de signer la déclaration d'allégeance des députés CDP au président, participe de la volonté de ce ministre du Mogho Naaba de ne pas participer à une cérémonie d'humiliation collective. Cela dit, l'on a l'impression que tout ce remue-ménage porte une seule signature. En effet, depuis que François Compaoré a décidé de sortir de son anonymat pour s'emparer des rênes du parti, le navire CDP a commencé à tanguer. De manière générale, quand la fratrie d'un chef d'Etat montre des velléités d'accaparement de tous les espaces publics, elle peut se permettre toutes les dérives. C'est le danger sur lequel Salif Diallo avait voulu attirer l'attention du président, lorsqu'il parlait de la « patrimonialisation du pouvoir ». En tous les cas, l'occasion est donnée à tous ceux qui sont épris de démocratie, de réfléchir sur le rôle que la chefferie doit jouer dans l'espace public. Cette démission du Larlé Naaba doit être mise à profit pour méditer sur la meilleure manière d'articuler des légitimités différentes en ayant pour ligne de mire l'édification d'une démocratie moderne où la place de chaque légitimité n'empiète pas sur celle des autres. Le Ghana, par exemple, l'a fait. Pourquoi le Burkina ne le ferait-il pas ?
Pousdem PICKOU