Constitution : Les raisons de son tripatouillage

| 14.04.2014
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Constitution : Les raisons de son tripatouillage
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Constitution : Les raisons de son tripatouillage
Que vaut la constitution du pouvoir en place ? Un machin, ce « document unifié » pour servir de vernissage démocratique. Depuis 1997, la constitution a été modifié cinq fois et la loi électorale au moins neuf fois. La démocratie est une camisole de force. La réalité est que le président Compaoré s'est enfermé dans une logique de pouvoir à vie.

Depuis l'assassinat de Norbert Zongo entrainant une crise profonde jusqu'à nos jours, le président Blaise Compaoré a fait de nombreuses reformes, engagé des négociations dont les conclusions ont été sélectivement mises en œuvre. Et Salifou Sawadogo situe mieux l'opinion depuis Paris. Selon l'ex-responsable des jeunes du CDP, « Le chef de l'Etat est élu par le peuple burkinabè et les recommandations ne s'imposent pas à lui en fonction du climat politique national, il juge de l'opportunité ou pas de la mise en œuvre de telle ou telle recommandations. » Et c'est justement cela qui pose problème et brise la confiance.

La première série de reformes s'inspire du rapport du Collège des sages qu'il a installé suite au mouvement de contestation déclenché par les élèves et étudiants et le Collectif contre l'impunité, après un constat d'échec des répressions féroces. «J'ai retenu vos attentes fortes et fondées pour l'examen des cas de crimes impunis, la réconciliation des cœurs et la consolidation de la paix dans notre pays. A cet effet, j'ai décidé d'instituer pour compter de ce jour, un Collège de sages comprenant des personnalités créditées pour chacune d'entre elles de vertus d'intégrité et de droiture morale... ce Collège passera en revue dans les meilleurs délais tous les problèmes pendants de l'heure et proposera des recommandations à même d'emporter l'adhésion de tous les protagonistes de la scène politique nationale. Il est de coutume, dans nos sociétés, de consulter les sages pour éclairer la prise de décisions consensuelles qui engagent l'avenir de tous... comme le dit l'Ecclésiaste, il est un temps pour tous les protagonistes de la crise de ramer résolument vers la concorde nationale et la paix», déclarait Blaise Compaoré en 1999.

Les réformes ou stratégie de la ruse

La mise en œuvre des conclusions des travaux des sages fut décevante. A la place de la commission vérité, justice et réconciliation, Blaise Compaoré préfère installer une commission de la réconciliation nationale extirpant la vérité et la justice pour les crimes de sang et économiques et confiée à Ram Ouédraogo. On était à la deuxième instance de réconciliation. Au lendemain de l'assassinat de Oumarou Clément Ouédraogo, le pouvoir avait organisé un forum de réconciliation. Acculé, il accepte le retour de la limitation des mandats à deux quinquennats, mais s'assure que la loi n'est pas rétroactive et susceptible de révision. Ce n'était qu'une reculade dans un contexte délétère. Pour cacher le piège à l'opposition et dans le désir d'affaiblir le Collectif, le pouvoir modifie la loi électorale longtemps décriée par l'opposition. Les modifications majeures porteront sur la redéfinition de la circonscription électorale et le mode de scrutin pour les élections législatives. Ainsi la région remplace la province et le mode de scrutin devient la représentation proportionnelle avec répartition complémentaire suivant la règle du plus fort reste (au lieu de la plus forte moyenne). Ces réformes qui favorisent les petits partis ont pour effet d'amener le G14, membre du Collectif, à participer aux législatives de 2002. Les résultats consacrent 54 voix pour l'opposition contre 57 pour le CDP. Ce score, planifié, est plutôt flatteur pour l'opposition en comparaison de celui de 1997 (10 contre 101 pour la majorité). Blaise Compaoré réussit alors à stabiliser son pouvoir et à reprendre la main sans rien céder. L'opposition l'apprend plus tard à ses dépens, lorsqu'en 2005, le président rebelote pour la présidentielle. Le pouvoir remet même en cause les modifications apportées en 2002. La province est redevenue la circonscription électorale, plus favorable au CDP. La deuxième série des reformes avec le CCRP consécutive elle aussi à la crise sociale de 2011 s'inscrit dans cette logique de ruse et de manipulation. Seulement, cette fois-ci, l'opposition et la société civile n'ont pas mordu à l'hameçon. Si les médiateurs autosaisis réussissaient à vendre le projet de transition apaisée de Blaise Compaoré, le Burkina serait à sa quatrième séries de reforme.

L'obsession d'un pouvoir à vie

Mais au-delà des velléités de modification de l'article 37 pour permettre à Blaise Compaoré de revenir en 2015 et de la mise en place d'un sénat, il faut se poser des questions sur la place de la constitution dans l'esprit de nos gouvernants. Rien que de 1997, date de sa première révision, jusqu'en 2012, la constitution du Burkina a été révisée cinq fois et une fois en moyenne tous les trois ans. Le code électoral a fait l'objet de relecture 9 fois. L'échec des médiateurs autosaisis traduit la nature du pouvoir de Blaise Compaoré. Le président n'a jamais songé à l'alternance. Les médiations et les reformes sont des instruments de manipulation à chaque fois que le régime est aux abois. En réalité, la démocratie est une camisole de force pour Blaise Compaoré. Il a libéralisé le jeu politique par pur formalisme politique. La légitimation par les urnes étant devenue, une condition pour les bailleurs de fonds et une exigence des occidentaux au regard de l'évolution du monde, Blaise Compaoré va s'y conformer tout en gardant les survivances autoritaires héritées des périodes d'exception et de sa formation. Depuis la transition démocratique, amorcée en 1990, Blaise Compaoré n'engage aucun projet, qu'il ne contrôle pas totalement. Le processus de transition jusqu'à l'organisation des premières élections multipartites censées installer les premières institutions démocratiques fut placé sous son contrôle total et conduit par Blaise Compaoré et ses camarades du Front populaire d'alors. Il n'a accédé à aucune revendication des leaders de l'opposition politique, ni de la société civile. Pour mettre la main sur la vie politique du pays, c'est d'abord la mise en place de la Commission constitutionnelle chargée d'élaborer l'avant-projet de la constitution qu'ils vont verrouiller. Les conclusions de la Commission constitutionnelle n'est qu'une copie conforme des travaux des instances du Front populaire et taillée sur mesure pour le président. Blaise Compaoré avait donné le ton à la veille de ce congrès en 1990 en demandant qu' « Au sortir du congrès du Front populaire, nous devons nous acheminer vers un environnement institutionnel légalisé, accepté par la majorité de notre peuple. Il nous faut arriver à édifier un ensemble de règles qui nous permettent de légitimer, de légaliser cette volonté qui s'exprime à travers le projet de société que nous sommes en train de bâtir. Cela veut dire, et le congrès va en décider s'il est judicieux, profitable pour notre peuple aujourd'hui et pour notre révolution de formaliser tout ce qui existe dans un document unifié qu'on appelle sous d'autres cieux, une Constitution. » La tâche fut confiée à Arsène Bognessan. Le président de cette Commission constitutionnelle, le ministre des reformes politiques et des relations avec le parlementBongnessan Arsène Yéindique très clairement à l'époque que « le processus révolutionnaire guide et prévaut dans la future loi fondamentale. Il ne s'agit donc pas d'une remise en cause de l'option révolutionnaire». Le retour de Bognessan Yé après plusieurs années de disgrâce pour conduire les reformes politiques doit être compris dans le processus de construction de pouvoir à vie. Dans l'esprit de Blaise Compaoré et ses camarades, il faut construire un parti-Etat. Le parti-Etat est effectivement construit sur les structures CDR et inféodé à l'appareil administratif et à la chefferie traditionnelle. « L'objectif fixé à ce niveau est l'instauration d'un régime présidentiel selon la volonté des congressistes. », écrit Arsène Bognessan Yé. La nature de l'Etat et le type de souveraineté, la durée du mandat et le mode de désignation du chef de l'Etat, la dénomination de l'Assemblée qui est mise en place, le mode de désignation des députés, le mode de scrutin, le gouvernement, les libertés individuelles et collectives. La constitution qui est donc adoptée par referendum en 1991 contient pour l'essentiel l'orientation politique de Blaise Compaoré. Il ne pouvait pas être autrement puisque plus de 62% des membres sont issus du régime. Les oppositions des syndicats et de certains partis d'opposition n'ont pas véritablement pesé. L'église Catholique, les partis politiques comme le PAI, la CNPP/PSD, ainsi que le MBDHP ont fait des propositions qui n'ont pas été prises en compte. Pour preuve, la proposition du sénat avait été rejetée par une grande partie de la société civile à la Commission constitutionnelle, mais elle a été ramenée aux Assises nationales. La constitution adoptée en 1991 consacrait un bicaméralisme, avec une Assemblée des députés du peuple et une Chambre des représentants. Le toilettage de la constitution pour soustraire les « accents révolutionnaires » est intervenu en 1997. L'Assemblée des Députés du Peuple (ADP) a été remplacée par l'Assemblée nationale, les armoiries marquées par la kalachnikov et la daba ont été abandonnées et la devise révolutionnaire « la patrie ou la mort, nous vaincrons» remplacée par « Unité-Progrès-Justice ». Mais cela ne change rien à la volonté du pouvoir, sauf qu'elle plait aux bailleurs de fonds et flatte tous ceux qui ne portaient pas dans leur cœur, les révolutionnaires. Comme on a pu le constater, Blaise Compaoré s'est installé dans un esprit de pouvoir à vie. La limitation du nombre de mandats figure dans la constitution par pur formalisme. C'est pour cela qu'en 1997, le nombre de mandats présidentiels est supprimé par le parti au pouvoir qui disposait plus des 2/3(sur 107 députés, 78 étaient de l'ODPMT) des parlementaires élus aux législatives de 1992. Les constitutionnalistes qui ont élaboré la constitution de 1991 ont laissé un boulevard à Blaise Compaoré pour manipuler la loi fondamentale. Ils ont limité les mandats présidentiels sans verrouiller.

Franck Régis Tapsoba

Mutations N°49 du 15 mars 2014

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