« Je ne suis pas candidat des multinationales ! » Jean Baptiste Natama, candidat à la présidentielle de 2015

| 24.07.2015
Réagir
« Je ne suis pas candidat des multinationales ! » Jean Baptiste Natama, candidat à la présidentielle de 2015
© DR / Autre Presse
« Je ne suis pas candidat des multinationales ! » Jean Baptiste Natama, candidat à la présidentielle de 2015
Jean Baptiste Natama, ancien directeur de cabinet de la présidente de l'Union Africaine ne fait plus mystère de ses ambitions présidentielles. Sa candidature est portée par un cadre politique dénommé « Collectif Natama 2015 ». Il a efectué sa rentrée politique le 6 juin 2015 au palais des sports de Ouagadougou. Pourquoi l'homme s'est-il lancé dans cette bataille ? Sa candidature peut-elle passer entre les mailles des différents textes qu encadrent les candidatures à la prochaine présidentielle ?Quels sont les fondamentaux pour apprécier la position de l'Union africaine face aux crises qui surviennent dans les pays membres ? Quelle est son histoire avec le sankarisme ?...l'homme s'en ouvre tout au long de cette interview.


Ambassadeur ? Officier Supérieur? Sénateur ? Ecrivain ? etc. Finalement comment Jean Baptiste Natama se présente –t-il ?

Chaque être humain est une somme de multiples « définitions ». Cela selon son parcours, son histoire de vie individuelle, son histoire de vie collective. Nous sommes tous au carrefour, que dis-je, à la conjonction de plusieurs « essences » et de moult regards. C'est cela notre altérité. C'est en cela que l'on dit que « notre corps est fait du bruit des autres ». J'ai eu l'humble privilège d'avoir été et d'être encore aujourd'hui, un peu de tout cela à la fois, un peu de toute la litanie des « êtres » que vous avez déroulée.

Sans fausse modestie, je dois dire que j'ai cherché à écouter toutes les vocations qui se sont imposées à ma conscience et perception de l'existence humaine. J'ai essayé de faire amende honorable en les approfondissant et en y apportant le meilleur de mon engagement. L'armée -dont je dois également dire ici clairement que je suis à la retraite- m'a construit en ce qu'elle m'a apporté de discipline, rigueur, vision nationaliste et patriotique. L'écriture a aiguisé en moi non seulement le sens esthétique et la compréhension des situations d'énonciation du langage et du discours, mais aussi m'a permis de mieux entendre battre le pouls profond des communautés diverses nationales ou africaines qui m'ont traversé, habité. La diplomatie m'a enseigné et affermi le sens et la nécessité de la médiation dans toutes les situations qui engagent les intérêts supérieurs : une vision holistique de l'existence des êtres et des événements.

J'entre en politique et j'ose définitivement croire que ces différentes facettes que vous énumérez constituent un atout décisif puisqu'elles ont construit un citoyen alerte, avisé et sensible aux préoccupations vitales de son peuple et des autres peuples.

Vous venez d'effectuer votre rentrée politique le samedi 6 juin 2015. Qu'est-ce qui vous a emmené dans la politique ?

On y baigne depuis le premier vagissement du bébé qui risque à tout instant de crever si les conditions de vie n'ont pas été aménagées de façon à lui permettre de rencontrer un monde viable ! On n'a donc pas besoin d'y être « emmené ». De la politique, (organisation de la cité), nous en faisons toujours tous un peu de façon active ou passive pour peu que l'on vive en société et que l'on s'intéresse à la chose publique. Par contre, entrer en politique, c'est-à-dire s'engager, se destiner à la gestion de la cité, c'est un acte de décision conscient et responsable. J'ai décidé solennellement ce jour-là de servir mon pays dans son entièreté, de m'engager avec les masses populaires marginalisées quoique majoritaires et qui souffrent inlassablement des errements d'une politique inappropriée ; mais masses populaires déterminées à voir leurs conditions de vie s'améliorer. Oui j'ai décidé de me battre pour proposer à ces 73 enfants sur mille (7,3%), autre chose que la fatalité d'une mort précoce parce que leurs parents vivent dans l'indigence à cause des terres, leurs moyens de production, confisquées par des individus sans foi ni loi. Oui j'ai décidé de m'engager dans le combat contre toutes ces formes d'exclusion et de discrimination socio économique, de sorte que tous les Burkinabè rencontrent les mêmes chances face à la vie. Les maux qui minent notre cher pays sont tellement nombreux, souvent instaurés et institutionnalisés par des gouvernants infatués de leur pouvoir au point d'être sourds aux aspirations du peuple. Leur énumération exhaustive ne fera que nous plonger dans une violente colère contre nous-mêmes. Certes il y eut de moments où nous avions privilégié le silence dans l'approche des solutions à apporter et des stratégies à mettre en place pour juguler le chaos social. Mais dans la vie de tout Homme, il y a des circonstances qui rassemblent l'histoire personnelle et celle du peuple à un point de non retour. C'est le sens de ma réponse à l'appel du collectif qui m'a sollicité et que je remercie infiniment. Je ne peux échapper à ma responsabilité face à l'histoire et au destin de mon pays.

Excepté votre passage au Mécanisme africain d'évaluation par les pairs (MAEP), d'aucuns disent que vous n'avez pas marqué la vie nationale de vos empreintes. Et certains pensent que vous avez fait irruption dans la scène politique. Pensez-vous qu'un homme « neuf » peut faire concurrence avec les «dinosaures » ?

Je vous fais remarquer que le renouvellement de la classe politique, est le fondement même du nouveau contrat social auquel notre peuple aspire. Ainsi toute idée de retour à l'ordre ancien et tout ce qui peut concourir en cela n'aura aucune chance d'aboutir. Les « tyranausores » ou dinosaures comme vous dites, n'ont été dinosaures que parce qu'ayant trempé dans la même eau trouble que ceux qui ont grugé ce même peuple pendant de nombreuses années. Sous cette ère là, marquer la vie politique signifiait avoir des accointances fortes avec le pouvoir, en user et abuser du népotisme et du clientélisme qu'il permettait. Accointances qui dans sa compréhension première signifiait surtout compromission. Je suis donc heureux de n'y avoir pas concédé.

Quant à qualifier mon entrée en politique « d'irruption sur la scène politique », c'est de bonne guerre. Tout citoyen en a le droit. Et si dans le vocable irruption se développe l'idée d'une entrée violente et soudaine capable d'emporter tout le rebus sur son passage, ce serait alors parfait. Toute proportion gardée, mon action, si elle est isolée n'aura pas « la force de l'irruption » ; mais elle est plurielle et fortement nourrie de la volonté farouche de milliers d'hommes, de femmes, de jeunes, de vieillards et d'enfants. Ma conviction n'en est et n'en sera que plus forte.

Pourquoi avoir sacrifié votre poste de directeur de cabinet à l'UA pour vous lancer dans cette bataille ?

Avant de rejoindre l'ANC Nelson Mandela était avocat avec une situation parfaitement enviable. Mais quelle aurait été la situation actuelle du peuple sud-africain s'il avait privilégié son confort personnel, individuel, égoïste et égotiste ? Toutes les grandes Nations se sont érigées au prix de grands sacrifices ou d'engagement individuel ou collectif. Les États-Unis doivent tant à leurs pères fondateurs, la France à De Gaulle entre autre, l'Inde à Gandhi, le Ghana à Nkrumah, et certainement le Burkina à Thomas Sankara et tous ceux-là qui se sont sacrifiés au nom de la Nation.

A vous entendre j'aurais dû me contenter d'acquis économique et salarial à l'Union africaine, d'aisance personnelle au lieu d'une entreprise qui me ferait courir le risque de tout perdre ! Mais telle n'est pas ma compréhension des choses et des événements de la vie. Beaucoup ont perdu plus que je ne pourrai perdre. Aucun sacrifice ne pourra égaler aucune des vies perdues par tous ces héros célèbres ou anonymes pour que nous en soyons encore à espérer, à rêver le bonheur. Nous leur serons à jamais redevables.

Le parti qui vous soutient la CPR a adhéré au Front progressiste sankariste. Vous étiez candidat à l'investiture de la convention des sankaristes avant de vous rétracter. A quand date votre penchant pour le sankarisme ?

Si vous ne le savez pas, je voudrais ici vous rappeler que déjà à 20 ans je fus moi-même membre de l'Organisation Militaire Révolutionnaire qui participait au Conseil National de la Révolution dirigé par le Capitaine Thomas Isidore Noel Sankara et que je m'étais pleinement investi dans la Révolution de 1983 comme animateur politique de la province du Nahouri, membre des CDR, idéologue. Et cela sans jamais dérober aux principes auxquels cette révolution était attachée !

Si on part du postulat que le Sankarisme recouvre l'action, l'œuvre mais aussi la praxis de Thomas Sankara surtout pendant les quatre années où il a porté la révolution burkinabè qui consistait en l'édification d'un pays nouveau, avec des hommes et des femmes intègres, débarrassé de toutes les formes d'injustice, je suis Sankariste, je l'ai été dès les premiers instants, et nul n'en aurait le monopole, ni ne devrait m'en vouloir de m'en réclamer. Ma vision pour mon pays a toujours été cela. Une prospective humaniste et endogène portée par des valeurs d'intégrité, de justice et de solidarité. Une prospective qui place l'homme et le peuple au cœur de toute action.

Je n'ai par contre aucune intention de manipuler l'héritage du sankarisme comme fonds de campagne électorale ou rente politique. Mais ne nous trompons pas, cette quête d'une société nouvelle que les Burkinabè ont initiée avec ces journées historiques des 30 et 31 Octobre 2014 ne pourra être détournée. Pour finir, je vous dirai qu'être Sankariste ne se proclame pas mais se vit. Et l'intégrité en est une des pierres angulaire et qui ne tolère ni coup-bas, ni félonie.

Comment avez-vous réussi à évoluer dans le giron du pouvoir pendant tant d'années sans ravaler vos convictions ?

Il est permis à tout le monde d'avoir des convictions. Mais l'inacceptable, c'est de renier ses convictions uniquement pour quelques appâts qui puissent vous tenter. J'ai évolué bien autrement que ceux qui faisaient stricte allégeance au pouvoir, se sont complus à en construire l'édifice, l'archéologie, les échafaudages et qui s'y sont perchés aux plus hauts sommets, l'ont manipulé tout le temps de leur règne despotique et qui aujourd'hui font les doux agneaux réconciliés avec le peuple qu'ils méprisent en fait au plus haut point. Ceux-là se connaissent bien et savent de qui et de quoi je parle. Il y en a qui sont des inventeurs de désespoir au point de piétiner les autres mais il y en a aussi qui sont inventeurs d'espérances têtues et ces derniers là n'ont pas le droit de fléchir. Qui donc a été sanctionné, radié, exclu, caler, recaler ? Qui donc a dû parfois s'isoler dans l'ailleurs géographique, trouver refuge dans les institutions internationales... mais parfois le temps sait jouer de sa partition.

L'opinion nationale était désemparée face à l'indifférence quasi institutionnelle dont l'Union africaine avait fait montre pendant la polémique sur la modification de l'article 37. L''organisation continentale serait-elle si impassible au point de ne pas se laisser émouvoir par des signaux crisogènes?

C'est un sentiment que l'on peut comprendre, mais dont la légitimité reste à étayer. Il faut rappeler que l'UA n'est pas une autorité supranationale et ne peut donc pas exercer un pouvoir coercitif sur un de ses Etats membres. D'où le fossé entre l'horizon d'attente des peuples et la capacité réelle de l'Organisation à répondre aux vœux de nos populations. L'UA fait du mieux qu'elle peut pour accompagner le continent dans la gestion des problèmes auquel il est confronté. Toutefois, il existe des dysfonctionnements structurels et systémiques qui constituent un goulot d'étranglement pour l'organisation. L'exercice de la souveraineté individuelle des Etats membres reste fort et prépondérant dans les processus décisionnels, entre autres dispositions hélas paralysantes. Le peu d'espace qui nous reste pour l'action, nous l'investissons efficacement à travers des actions que l'on ne met pas toujours sur la place publique à cause de certaines implications qu'elles peuvent avoir.

Dans certains milieux, il se dit que personnellement, vous auriez pu mieux faire en utilisant votre position pour peser sur la situation du Burkina Faso avant l'insurrection !

On ne peut déroger aux règles d'une institution en usant de sa position parce qu'on est soi-même assujetti à une situation particulière quelle qu'elle soit. Mais en ce qui me concerne, la position était très claire et très précise. Dès l'amorce de ces velléités de modification de l'article 37 par Blaise Compaoré je me suis tout de suite exprimé sur la question en tout début de janvier 2014. Voici exactement ce que je disais :

« Tout est possible sous le ciel bleu du Burkina Faso. Cependant il faut espérer que la raison saura prévaloir afin que les acteurs de tous ordres se montrent lucides et responsables pour éviter à notre pays ce que nous avons tous déploré ailleurs. Il faut respecter (la Constitution) dans l'esprit et dans la lettre et sans faux-fuyants.

Il faut que chacun puisse savoir ramener ses intérêts égoïstes et partisans au second plan par rapport à ceux de la nation. En ce qui me concerne, je m'engage à jouer ma partition, aussi modeste soit-elle avec esprit de responsabilité au service de la nation à laquelle je suis fier d'appartenir et que je suis prêt à défendre, sans état d'âme. »

Je passe sous silence certaines actions que j'ai menées pour accompagner mon pays et les acteurs politiques de notre pays le savent y compris ceux qui étaient de l'opposition à l'époque.

Le 7 juin dernier, vous avez déclaré à la télévision nationale que vous avez été radié de l'armée en 1990. Qu'est-ce qui s'est passé ?

En effet, alors que j'étais en poste à Gaoua, j'ai été radié de l'armée le 22 mai 1990 et reversé à la fonction publique pour emploi par un décret présidentiel signé par le Président Compaoré sans motif officiel puisque le décret n'en fait aucunement mention. Mais officieusement l'on m'accusait d'être justement sankariste et de ne pas soutenir le front populaire qui était en train de liquider le peu qui restait de la révolution d'août 1983. Suite à cette sanction j'ai été affecté par arrêté du Ministre de la fonction publique à Nouna comme agent public au Haut Commissariat de la province de la Kossi.

Mais sauf erreur, vous portez le grade de colonel de l'armée. Comment est-ce possible si vous aviez été radié de l'armée ?

J'ai été radié comme je l'ai expliqué dans ma réponse précédente. Par la suite j'ai été réhabilité, à un moment où le régime cherchait à arborer une démarche démocratique et après que toutes les scories révolutionnaires ont été rayées de tous les coins et recoins de notre système de gouvernance. On pensait peut-être la conscience révolutionnaire définitivement éteinte. Mais malgré cette réhabilitation on m'a refusé toute possibilité de réintégration dans le corps militaire en me détachant d'office à la fonction publique où j'ai toujours été maintenu. Et, en 2008, le président Compaoré a signé un décret reconstituant ma carrière. Ce qui a permis que je recouvre le grade non moins prestigieux de Colonel ; mais une fois de plus sans aucune possibilité de retour à l'armée. De ce fait mon statut militaire que l'on brandit ces temps-ci à des fins politiciennes relève d'un anachronisme et d'une mauvaise foi de la part des auteurs de telles arguties. Au demeurant, sachez que j'ai démissionné de l'armée depuis belle lurette. Je n'ai pas attendu le nouveau statut du personnel des forces armées pour le faire. C'est un choix dicté par ma foi en l'état de droit et aux principes démocratiques et républicains.

Le CNT vient de voter une loi assez contraignante pour les militaires qui veulent se lancer en politique. Que pensez-vous d'une telle législation ?

Je ne me sens pas concerné par ce statut. Toutefois même s'il peut se justifier je perçois certaines de ses dispositions comme un acharnement contre un corps particulier qui au demeurant n'est pas le seul corps auquel l'on demande à son personnel d'observer une neutralité politique quand l'on exerce en son sein. Il serait plus juste que ces dispositions soient étendues aux autres corps de même nature. Pour moi toute loi doit être impersonnelle et non conjoncturelle. Elle ne doit pas concourir à mettre à mal la cohésion nationale et la paix sociale. N'oubliez pas aussi qu'un militaire est un civil en tenue.

Cette loi est censée s'appliquer à tout le personnel militaire intéressé par la politique dont vous !

Ah bon ? Et à quel titre ? Parce que je suis ancien militaire ou parce que je représente une nouvelle classe d'hommes politiques ?

Quelle vision avez-vous pour le Burkina Faso ?

Au risque encore de me répéter, comme j'ai pu le dire à plusieurs reprises dès que l'occasion m'en est donnée et au travers d'écrits que j'ai publiés, ma vision pour mon pays n'a pas changé et je consacrerai toute mon énergie à défendre cette vision. Nous devrons bâtir un pays uni où l'humain est au cœur de toutes nos entreprises, de toutes nos préoccupations. Un pays où des femmes, des hommes, des jeunes, fièrement enracinés dans leur culture séculaire, regarde avec sérénité l'avenir qu'ils interrogent, planifient, affrontent avec courage et dignité. Un pays, une société en bonne santé physique et morale ; une communauté de savoir, de savoir-faire, et de savoir-être et qui choisit de vivre en intelligence avec ses voisins ; une collectivité productive et solidaire, résolument tournée vers le progrès et la paix, pleinement ouverte sur l'Afrique et sur le monde. C'est dans ce sens que je proposerais aux Burkinabè que nous nous engagions dans un nouveau contrat social, qu'ensemble nous élaborions et mettrions en œuvre. Ce contrat reposerait sur un principe : la souveraineté de la volonté générale. Il aurait pour objectif primordial : la cohésion sociale qui est le ciment de la société. Je répète qu'ici il s'agit d'une vision et non d'un programme exhaustif. Et cette vision devra alors faire l'objet d'une conversion en actions concrètes pour se réaliser dans le cadre d'un programme de gestion collective et de bonne gouvernance pour assurer une prospérité partagée dans un esprit de justice économique et sociale. C'est ce que j'ai encore clamé dans mon dernier livre.

C'est vrai qu'au gré des ouvrages que vous avez publiés, vous avez abondamment conceptualisé mais comment comptez- vous faire pour concrétiser une telle vision si vous parvenez à vous faire élire en octobre?

Je ne l'ai pas seulement conceptualisé. Je l'ai vécu. Ma vie entière a été consacré à ne jamais trahir cet idéal. On ne peut pas, même à force de doctrine, d'idéologie amener les autres à épouser un idéal qu'on leur propose si on ne le vit pas soi-même. Et s'il s'avère que ce que vous, vous appelez théorie ou concept répond aux aspirations des masses alors je vous garantis que cela ne restera pas qu'en « l'état de concept ». Vous voyez on parle encore aujourd'hui de séparation des pouvoirs que tout bon gouvernement démocratique digne de ce nom doit tenter d'établir. Pourtant il a fallu la conceptualiser, la systématiser par des grands théoriciens qui avant cette conceptualisation se sont investis d'une observation non seulement pratique, mais aussi historique. C'est pour vous dire que tous les concepts qui découlent d'une observation de la réalité, historique ou présente ancrée à une société donnée peuvent trouver leur terrain d'application s'ils sont acceptés par cette même société et en dehors s'il s'agit de concepts universels.

Vous avez affirmé avoir le soutien des forces politiques et des forces issues de la société civile. Comment avez-vous réussi à agglutiner au tour de vous autant de forces alors que vous étiez à mille lieux du pays ?

Même loin je n'ai jamais été coupé de notre peuple. D'où son appel que j'honore humblement. Souvenez-vous, toutefois, qu'en 2013 un appel m'avait déjà été lancé pour les élections de 2015 et en son temps j'avais répondu dans une interview chez vos confrères de Burkina24 être prêt à servir mon pays à quelque niveau de responsabilité que ce soit. Mais au-delà, je considère ce rassemblement autour de ma personne comme la preuve d'un réel besoin de changement mais aussi d'une réelle volonté de renouvellement de la classe politique. Cela traduit l'échec de la classe politique qui par manque de vision n'a pas su tisser des liens objectifs et subjectifs avec le peuple en contribuant à la socialisation d'une pensée à même de favoriser la construction d'une grande nation. C'est le rejet de la politique politicienne marquée par l'achat des consciences, la concussion, la fourberie, le mensonge, le charlatanisme et que sais-je encore. C'est le refus de se complaire dans cet échec collectif que le peuple manifeste et en appelle à un véritable changement qui lui permettra de prendre en main son destin pour construire le bonheur qu'il idéalise.

Lors de votre rentrée politique, les discours et le cérémonial ont laissé transparaitre des visées panafricanistes. Serait-ce le séjour au siège de l'UA qui aurait forgé ce relent panafricaniste en vous au moment où ce sujet semble ne plus emballer que les historiens?

J'aurais aimé que vous pensiez surtout le contraire. L'Union africaine se veut un organe fédératif des États Africains. Par conséquent elle se veut panafricaine par objet et par principe. Ainsi, le bon sens voudrait que les postes stratégiques soient dévolus à des ressources pétries de panafricanisme. Il m'est difficile de concevoir le contraire. Si l'on n'est pas panafricaniste il peut paraitre paradoxal d'être convaincu par la mission de cet organe. C'est pour vous dire que ce n'est pas l'UA qui m'a fait panafricaniste. Toutefois, ce passage à l'UA qui n'était pas le premier fut pour moi un immense honneur et un bonheur intense d'avoir pu contribuer une fois de plus, et dans un esprit de collégialité positive, à la consolidation du rêve de nos fantassins de l'Aurore, tels que Nkrumah, Hailé Sélassié, Nasser, Modibo Keita, etc., tous ces visionnaires qui ont, à l'aube de nos indépendances, appelés à l'unité du continent et suggéré des pistes de développement concertés. D'avoir été un témoin actif de la célébration des 50 ans de l'organisation et d'avoir contribué un tant soit peu à la réalisation de tout ce que j'ai évoqué précédemment est d'une chance et d'un orgueil inouïs. Le cinquantenaire a été pour nous une opportunité de remettre sur l'établi le panafricanisme et de réaffirmer haut et fort notre besoin de renaissance. De nombreux forums de panafricanistes : journalistes, communicateurs, activistes, scientifiques, diaspora africaine, ont été organisés. Des rencontres de femmes, de jeunes, d'artistes ont célébré la nécessité de s'unir dans une vision responsable pour le continent. Ceci restera à jamais gravé dans ma mémoire. D'avoir été de ceux qui ont effectué les premiers pas de la marche vers l'autre moitié du centenaire constitue pour moi un motif de fierté. Je saisis cette opportunité pour exprimer ma profonde et sincère gratitude à Mme Zuma qui m'a fait confiance en me conviant à cette haute responsabilité continentale, ainsi qu'à tous ceux qui m'ont accompagné de près ou de loin dans l'accomplissement de cette exaltante mission au service de l'Afrique. J'y ai accompli toujours avec dévouement les missions à moi confiées parce que je me sens foncièrement panafricaniste et fier de l'être. C'est bien tout ça qui a conduit le Professeur Elikia M'bokolo grand historien à me qualifier de « panafricaniste de cœur, de raison et d'expertise ». L'histoire est souvent vite oubliée au profit de nécessité immédiate ou réécrite parce qu'on veut lui donner un sens déterminé. Je me souviens que notre mouvement révolutionnaire avec l'avènement du CNR, se voulait déjà panafricaniste. D'ailleurs le discours du président Sankara à Addis-Abeba en était une proclamation. Je pense aussi que c'est mésestimer l'aspiration actuelle de la jeunesse africaine. Je suis certain qu'elle portera plus haut le panafricanisme. En tout cas beaucoup plus haut que ses devanciers n'ont pu le faire. Mes rencontres multiples avec cette jeunesse, tant sur le continent qu'au sein de la diaspora au travers de mes missions, n'ont fait que conforter, renforcer cette assertion. Ce n'est pas uniquement l'apanage des historiens.

Vous êtes une des personnalités politique actives sur les réseaux sociaux. Quelle place vous donnez à ces nouvelles plateformes dans votre ambition politique ?

La jeunesse étant au cœur de mes préoccupations, il va de soi que j'adopte aussi les nouvelles technologies de l'information. En plus c'est plus facile de s'adresser ainsi à toute la jeunesse. Toute la jeunesse africaine. C'était aussi cela ma responsabilité en tant que haut fonctionnaire de l'Union. La rapidité avec laquelle l'information circule sur les réseaux sociaux est en train de palier petit à petit la non transparence que l'on observait partout et, en Afrique, en particulier. Plus rien ne peut se cacher, tout se sait. Pour nous cette plateforme sera déterminante car nous y sommes depuis bien longtemps, avec toujours la même constance dans la pensée que nous prônons. Certes ces réseaux sociaux peuvent aussi véhiculer de la désinformation et malheureusement nos pays ne sont pas encore outillés pour parer à de telles dérives.

Les soutiens internationaux des candidats se dévoilent. On sait que Anne Louvergion, l'ex patronne du groupe Areva soutient Zephirin Diabré, son ex collaborateur. Votre candidature bénéficie certainement d'encouragements ! De qui par exemple ?

C'est à ses fruits que l'on reconnaît l'arbre! J'aurais voulu ne pas me perdre en conjectures sur ce qui ne me concerne pas. Mais, donc que vaut un soutien international sans l'appui de son propre peuple ? Je ne suis pas un candidat de l'étranger ; je suis un candidat burkinabè, candidat du peuple Burkinabè. Je ne suis pas candidat de multinationales ! Certes avoir des soutiens internationaux au plan diplomatique facilite certaines relations de paix, de concorde, d'échanges et de partenariat. Et à cet égard, mes nombreuses fonctions à l'international m'ont permis de nourrir des relations que je mettrai à la disposition de notre peuple. Oui nous avons des soutiens de pays amis. Cependant, ce qui compte pour nous c'est la présence active et engagée de notre peuple à nos côtés, car nous abhorrons les conceptions extraverties du développement. Notre prospective politique, économique et sociale est endogène car elle prend sa source dans le vécu culturel identitaire et historique de notre peuple et se déploie à partir des réalités qui sont les nôtres.

Selon certaines indiscrétions, l'idée des retrouvailles des sankaristes aurait germé au cours d'un entretien que vous auriez eu avec Mariam Sankara, la veuve du président Thomas Sankara. Quels sont vos rapports avec Mariam Sankara ?

Nous avons de très bons rapports.

Récemment des hommes politiques ont fait des sorties médiatiques qui ont été jugées maladroites par l'opinion. Que pensez-vous des propos à polémique de Ablassé Ouédraogo et de Yamba Malick Sawadogo dans la presse en rapport avec leur stratégie de conquête de Kosyam?

Nous ne pouvons aucunement cautionner cela. C'est aussi la preuve tangible qu'un renouvellement du personnel politique est impérieux. Tout ce qui peut concourir à diviser notre peuple sur des critères autres que les opinions doit être banni de nos actes et paroles. De même que cela est consacré par notre constitution, nous devons toujours nous souvenir des chaos inhérents à ce type de comportement sous d'autres cieux. Nous devons nous en tenir loin même de façon ironique ou allusive. À l'avenir il me parait justifier de mettre en place les moyens adéquats de surveillance et de sanction de ce genre de comportement. Nous ne pouvons tolérer aucune apologie, serait-ce discursive, qui puisse inciter à la division et de surcroit à la haine ; toutes choses qui concourront à mettre en péril la cohésion nationale et la paix sociale. J'en appelle donc à l'esprit de responsabilité de tous.

Il y a un débat actuel sur le Régiment de sécurité présidentielle (RSP). En tant qu'ancien militaire quel pourrait ou doit être selon vous le sort du RSP dans l'ère post Blaise Compaoré?

Le RSP est un corps d'élite comme il en existe dans tous les pays du monde. La question qui se pose c'est l'utilisation qu'on en fait. Dans l'intérêt de la paix, de la sécurité et de la stabilité nationale, il convient donc de maintenir ce corps et de réorienter sa mission pour en faire une unité au service du peuple et des institutions de la république. Cette transformation peut et doit s'inscrire dans une démarche globale de restructuration de l'ensemble des forces de défense et de sécurité. Nous disposons d'une des armées les mieux formées et organisées du continent et nous devons faire en sorte qu'existe une symbiose entre elle et le peuple au service duquel elle doit être entièrement dédiée. N'oubliez pas que la nature de plus en plus complexe des questions sécuritaires dans l'environnement qui est le nôtre exige plus de professionnalisme et de spécialisation de la part des forces de défense et de sécurité. Et en cela le personnel du RSP a une place à occuper et un rôle à jouer.

Interview réalisée par Touwendinda Zongo
In Mutations N°79 du 15 juin 2015

Publicité Publicité

Commentaires

Publicité Publicité