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Boukary Kaboré dit « Le Lion » : « C’est injuste de dire à un militaire de démissionner de l’armée parce qu’il veut faire de la politique»

| 13.06.2015
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Boukary Kaboré dit « Le Lion » : « C’est injuste de dire à un militaire de démissionner de l’armée parce qu’il veut faire de la politique»
© DR / Autre Presse
Boukary Kaboré dit « Le Lion » : « C’est injuste de dire à un militaire de démissionner de l’armée parce qu’il veut faire de la politique»
Les députés du Conseil national de la transition (CNT) ont adopté, le 5 juin dernier, une loi portant sur le statut du personnel des forces armées nationales. Cette loi oblige désormais tout militaire désirant s'engager en politique, à démissionner de l'armée. Elle détermine, entre autres, les conditions d'avancement et de nomination des généraux, l'âge de la retraite pour le personnel d'active. Nous avons approché une des anciennes figures de la galaxie de l'armée burkinabè pour avoir sa lecture sur cette nouvelle disposition. Le capitaine Boukary Kaboré dit « Le lion » n'a jamais caché ses ambitions politiques puisqu'il dirige actuellement le Parti pour l'unité nationale et le développement (PUND). Même étant dans son champ à Makognandougou dans l'Ouest du Burkina, « Le lion » du Boulkiémdé n'a pas hésité à répondre à toutes nos questions. Ces derniers jours, ses« rugissements » étonnent plus d'un, surtout ses prises de position par rapport à l'exhumation de la tombe de Thomas Sankara. Dans les lignes qui suivent, « Le lion » pense non seulement qu'interdire à un militaire de faire de la politique est injuste, mais aussi qu'on ne devrait pas exhumer la tombe de Thomas Sankara, car, dit-il, c'est une« profanation ». Lisez !


« Le Pays » : Quelle appréciation faites-vous du nouveau statut des forces armées, adopté par le Conseil national de la transition ?

Boukary Kaboré : Je ne sais pas beaucoup de choses sur ce nouveau statut, car, moi-même j'avais un avant-projet de loi que je voulais soumettre. Donc, à l'heure où je vous parle, je n'ai pas le contenu final de ce nouveau statut. Néanmoins, dites-moi les innovations majeures qui ont été apportées.

Ce nouveau statut souligne notamment que tout militaire désirant faire la politique, doit désormais démissionner. Votre position par rapport à cette nouvelle disposition ?

Dire à un militaire de démissionner de l'armée parce qu'il veut faire de la politique, est injuste parce que la disponibilité existe dans tous les pays. Je ne sais pas pourquoi cela pose problème au Burkina. Le militaire est devenu comme un indésirable dans notre pays. Cet article est incohérent à mon avis. On demande au militaire de démissionner pour un mandat électif. Et s'il n'est pas élu ? Il fait comment ? Que devient ce dernier ? C'était déjà bien dit : le militaire qui veut faire de la politique prend la disponibilité. Peut-être que c'était le délai de cette disponibilité qu'il fallait revoir. C'était tellement clair et bien dit qu'on n'avait pas besoin de réviser cet article.

« La disponibilité existe et ce n'est pas seulement au Burkina »

L'une des raisons de cette nouvelle disposition avancée par ceux qui l'ont adoptée, est que le militaire, bien qu'étant président ou député, a toujours des attaches avec son corps. Est-ce que ce n'est pas pour rompre avec cette pratique ?

Cela ne veut rien dire. Aujourd'hui, si un parti politique veut bien avancer, il doit avoir des attaches avec l'armée. Pour moi, c'est un problème de personne. Alors, si un militaire est mauvais, on le sanctionne. Cela ne veut pour autant pas dire que tous les militaires sont mauvais. La disponibilité existe et ce n'est pas seulement au Burkina. Je pense qu'il faut revoir cet article et ramener la disponibilité à quatre ans renouvelables une seule fois.

Les colonels sont nommés généraux par le président du Faso, si ces derniers ont eu à rendre de loyaux services à la Nation. Que pensez-vous de cet article ?

Cet article est correct, car la nomination d'un général doit toujours relever du pouvoir du chef d'Etat qui est également, chef suprême des armées. Cela se fait dans la discrétion et dans tous les pays, cela existe. Maintenant, le chef de l'Etat doit savoir que la nomination d'un général doit répondre à l'intérêt de l'armée et de la Nation. Il ne faut pas que ces nominations soient subjectives. Il ne faut pas que le chef de l'Etat nomme les gens par complaisance ou par affinités. Il faut nommer ceux qui méritent et non des amis, car lorsqu'on nomme des amis, cela divise parfois l'armée. Pire, cela peut créer un problème au sein du commandement.

A votre avis, cet article n'est-il pas taillé sur mesure pour ceux qui sont actuellement à la tête du pays ?

Non ! Si on nomme les gens à la place qu'il faut, cela ne posera aucun problème. C'est le contraire qui crée des frustrations. C'est pourquoi il faut nommer les plus méritants. Il ne faut pas nommer quelqu'un parce qu'il vous a rendu un service.

Une autre disposition de ce nouveau statut indique que toute femme militaire qui tombe enceinte au cours d'une formation initiale, est radiée du personnel des armées. Est-ce que vous trouvez cela normal ?

Je n'ai pas trop de commentaires à faire là-dessus. Pour moi, c'est logique, car l'armée n'est pas un forme-tout. Un militaire qui est inapte pour une mission ou une tâche, doit être immédiatement radié, et c'est normal. Cet article est le bienvenu et ce n'est pas parce qu'on n'aime pas la femme.

Est-ce que cet article ne va pas à l'encontre de l'émancipation de la femme ?

Quelle émancipation ? Vous croyez que la femme peut combattre comme les hommes ? Il y a combien de femmes qui peuvent le faire ? Elles se comptent sur le bout des doigts. Je regrette qu'au Burkina, on veuille nommer les femmes au hasard parce qu'on veut qu'elles s'émancipent. C'est l'homme qui émancipe la femme ou bien c'est la femme qui doit s'émanciper ? Il ne faut pas qu'on confonde les choses. Il ne faut pas qu'on aille à l'encontre de la loi de la nature. Ce n'est pas à la femme de s'émanciper.

L'âge d'admission à la retraite est fixé entre 58 et 65 ans pour les officiers, notamment les généraux et 50 à 52 ans pour les militaires du rang. Est-ce qu'il n'y a pas de discrimination de traitement de corps ?

Il n'y pas de discrimination. Si à 65 ans, un militaire est fatigué, je pense que ce n'est pas normal. C'est un corps particulier.

Que pensez-vous de l'actuel commandement de l'armée ?

Je connais tous ceux qui sont aux commandes de l'armée aujourd'hui. Ce sont des gens compétents, mais est-ce qu'ils ont les mains libres pour bien mener les missions qui leur sont assignées ? Ils sont tous compétents. Mais comme vous le savez, l'armée est un corps qui a besoin de liberté, elle a ses propres principes. Donc, si ceux-là qui la commandent ne sont pas libres, je ne pense pas que les choses pourront bien marcher.

« Nous avons demandé justice pour Thomas Sankara, mais nous n'avons pas demandé que sa tombe soit profanée »

Un mot sur l'exhumation de la tombe de Thomas Sankara.

Je suis bouche cousue (Rire). J'ai dit que c'est interdit, mais ils ont forcé. Je crois que tout le monde est témoin de l'histoire. C'est une gaffe. C'est une profanation de la tombe du père de la révolution d'août 1983. Personne ne leur a demandé cela, car la famille n'était pas à l'exhumation de la tombe. C'est pour qui, on a fait ça ? Qu'est-ce qu'on veut ?

Mais sa femme était partante que la tombe soit ouverte et elle fait partie de la famille

Je le répète, ce n'est pas une demande de la famille, car je fais aussi partie de la famille. Nous n'avons jamais demandé cela. Nous avons demandé justice pour Thomas Sankara, mais nous n'avons pas demandé que sa tombe soit profanée.

Pensez-vous que cette justice peut se faire pour Thomas Sankara, à partir du moment où on a exhumé sa tombe pour savoir réellement ce qui s'est passé ?

Je précise que la famille a demandé justice et elle attend justice. Mariam Sankara n'était pas là quand on tuait son mari. Elle était au service. Aucun des parents de Thomas Sankara n'était sur les lieux de l'assassinat. Ce sont des tournures qui n'ont rien à voir avec la réalité. C'est pour fatiguer les gens inutilement. Il faut rechercher les coupables.

Mais comment rechercher les coupables si on n'a pas les preuves ?

Vous me prenez pour le gendarme du Burkina ? Vous n'avez pas appris comment il a été tué ? Il a été tué au camp. Il faut demander aux militaires qui y étaient de dire clairement ce qui s'est passé. Il y a des spécialistes pour cela. Si on crée une Cour spéciale pour trouver le tueur, cela ne prendra même pas plus de trois jours. Il faut que le gouvernement mette en place une Cour spéciale et les langues vont se délier au lieu de tourner autour du pot.

« Si je suis sorti chasser Blaise Compaoré du pouvoir, c'est pour qu'on aille à une Ve République »

Etes-vous d'accord qu'on aille à une Ve République comme le souhaitent certains Burkinabè ?

Je me suis opposé à la modification de l'article 37 de la Constitution et vous le savez tous. La Ve République, c'est le souhait de bien des Burkinabè. Mais comment arriver à cette Ve République ? Les gens parlent au hasard, mais ne font pas de propositions. (Rire)

Avez-vous une proposition à faire ?

Si je suis sorti chasser Blaise Compaoré du pouvoir, c'est pour qu'on aille à une Ve République. Au lendemain de l'insurrection populaire, la Constitution avait été suspendue. C'était l'occasion d'aller à un régime d'exception afin de doter le Burkina d'une Constitution qui puisse permettre d'aller à une Ve République. Malheureusement, elle a été rétablie dans les 24 heures qui ont suivi par la classe politique. Si la Constitution n'avait pas été reconduite, le CNT allait en établir une nouvelle pour le Burkina et on n'en serait pas là aujourd'hui. Nous avons raté la chance d'aller à une Ve République. Mais rien n'est encore perdu.

Serez-vous candidat à la présidentielle de 2015 ?

Le Parti pour l'unité nationale et le développement (PUND) sera partant pour la présidentielle de 2015. Mais c'est le Congrès prévu probablement à la fin de ce mois, qui décidera de qui sera le candidat du PUND aux échéances électorales à venir. C'est l'homme qu'il faut à la place qu'il faut qu'on désignera. On ne cherche pas celui qui veut, mais celui qui peut.

Interview réalisée par Mamouda TANKAONO

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