Vous avez été consul honoraire du Burkina Faso au Niger. Comment est-ce que vous vous êtes retrouvé à ce niveau ?
J'ai eu à travailler au Niger pendant 13 ans, et à l'époque, il n'y avait aucune structure diplomatique du Burkina. Ce qui faisait que, en tant que personne-ressource de grande envergure, car je dirigeais une entreprise agroalimentaire comme la défunte SAVANA qui m'est propre, on m'envoyait tous les Burkinabè au Niger qui avaient des problèmes, et je les aidais à y trouver des solutions.
J'intervenais même parfois pour des ministres en visite qui voulaient rencontrer les autorités nigériennes. Les gens ont donc compris que, parce que j'avais ces capacités naturelles et étant Burkinabè, ce serait dommage qu'on aille chercher quelqu'un ailleurs pour être le consul honoraire du Burkina au Niger. C'est donc ainsi que j'ai été proposé à ce poste.
Le 30 avril 2014, au cours d'un conseil de ministres extraordinaire tenu à Bagré, vous avez été démis de vos fonctions. Pourquoi avez-vous été révoqué, à votre avis ?
Il est d'abord bon de savoir qu'il y a le consul général qui est un fonctionnaire, et un honoraire qui accomplit les mêmes tâches mais qui n'est pas du tout rémunéré pour ça. D'ailleurs, un consul honoraire a dit une fois que le consul honoraire, c'est le consul sans honoraire. On n'est pas payé pour ça.
Au Niger, le bureau du consul honoraire se trouvait sur mon immeuble, et le drapeau qui y flottait ne m'a pas été offert par le Burkina, je l'ai acheté. Même que j'ai mis une partie de mon personnel à la disposition de mes compatriotes burkinabè. Et comme je vous l'ai expliqué, je n'ai pas été désigné parce que j'étais du régime Compaoré ou quelque chose de ce genre, non.
Puis en 2010, l'UPC a été créée, et j'y ai adhéré bien avant même à travers le Forum des citoyens pour l'alternance. En 2012, si vous avez bien suivi, on m'a confié la direction nationale de la campagne de l'UPC, et nous avons eu 19 députés et 1652 conseillers à travers le pays, dans le contexte de fraudes de l'époque. Alors, j'avais même dénoncé les malversations du CDP.
La dernière, c'était lors des municipales partielles en février 2014, où j'avais dit que François Compaoré devait se retrouver à la MACO s'il y avait une justice dans ce pays, pour avoir promis de l'argent aux populations de l'arrondissement 4 de Ouagadougou si elles votaient CDP. Alors que cela est puni par le code pénal. A partir du moment où j'ai fait de telles déclarations, je venais de commettre un crime de lèse-majesté à leurs yeux.
C'est par suite de cela que j'ai été démis de mes fonctions de consul honoraire du Burkina au Niger. Mon passeport diplomatique a été annulé, en même temps que ceux des démissionnaires du 4 janvier 2014. Lorsqu'on a annulé les passeports des gens qui ont démissionné du CDP, Djibrill Bassolé avait déclaré que c'est parce qu'ils n'étaient plus en fonction, mais moi qui ai été mis sur la même liste, j'étais toujours en fonction au Niger ; malgré tout mon passeport diplomatique a été retiré. J'ai donc été démis parce que je militais à l'UPC.
Le président du Faso, Michel Kafando, en visite officielle à Paris, a déclaré sur RFI que Roch Marc Christian Kaboré, pour avoir quitté le CDP avant l'insurrection populaire, ne peut pas être considéré au même titre que ceux qui ont soutenu la modification de l'article 37 jusqu'au soir du 30 octobre. Quel commentaire en faites-vous ?
Le président Kafando, je l'aime beaucoup, je le respecte beaucoup, surtout maintenant qu'il est à la tête de l'Etat. Nous sommes tous ressortissants de la commune rurale de Komsilga. Mais je trouve que sa sincérité et son bon cœur lui jouent parfois des tours. Je pensais en fait que la loi telle qu'elle a été votée excluait ceux qui ont soutenu ouvertement le projet de modification de l'article 37 qui a entraîné une insurrection populaire.
Je ne savais pas qu'il y avait une liste secrète. Je sais bien qu'il n'y en a pas, mais comme je le dis, il est d'une sincérité touchante. Mais c'est une déclaration mal venue ; c'est plutôt à la justice de montrer qui a soutenu et qui ne l'a pas fait, pour quelle période, etc. Et lui-même, il l'a dit dans la même interview. Le président Kafando n'est pas juge et il faut laisser le soin aux juridictions compétentes de travailler comme il le faut.
Octobre n'est plus loin, et votre parti ainsi que les autres sont actifs depuis sur le terrain. Au MPP, on parle de gagner la présidentielle au ¼ de tour, c'est-à-dire haut la main. Comment on reçoit ce message à l'UPC ?
Vous savez, on ne change pas la nature fondamentale des hommes parce que tout simplement ils ont changé de veste. Il y en a qui croient que la démocratie, c'est comme un tour de passe-passe : ils sont d'un côté aujourd'hui parce que le vent souffle là-bas et se rendent de l'autre demain en fonction de la direction du vent.
Mais, de toutes les façons, leur passé les rattrapera. Nous savons qu'au Burkina, jusque-là, les élections n'ont jamais été transparentes, il y a toujours eu des fraudes massives. Des gens ont mis en place un système qui s'appelle le Tuk Guilli. Et on sait qui l'a prononcé.
Qui est-ce ?
C'est Simon Compaoré. Et il a eu à déclarer que si les populations ne les votent pas, les caïlcédrats le feraient. Et ça c'est grave. C'est une injure au peuple, et aujourd'hui dire aux Burkinabè qu'il n'y aura qu'un quart de tour à la prochaine présidentielle, c'est leur manquer de respect. Personne n'a de nombre de tours à imposer, c'est le peuple souverain à travers ses votes qui en décide.
Nous continuons à dire que ce sont des insultes faites en permanence parce que ces gens-là n'ont pas changé. Ils ont changé de manteau, mais fondamentalement ce sont les mêmes personnes. Ils vont donc encore utiliser les mêmes méthodes, les mêmes fraudes. Sinon, pourquoi ces déclarations ?
On peut parler en espérant qu'on va gagner les élections, mais on ne peut pas décider du nombre de tours. Mais ils sont habitués, comme par le passé, à transporter des urnes, de l'argent dans des djembé, à fêter leurs milliards... Mais je sais que le peuple aujourd'hui sera vigilant.
C'est pourquoi nous avons installé des commissaires antifraude. Nous plaçons jusque dans les communes, des personnes qui vont pister systématique la fraude. Nous travaillons donc avec les bailleurs internationaux, la CENI à ce que ces élections soient les plus transparentes possibles. C'est dire que ceux qui parlent de quart de tour ou de demi-tour vont se retrouver à la MACO s'ils continuent ainsi, parce que le jeu démocratique a des règles.
Et aujourd'hui, je suis convaincu que le peuple saura faire la part des choses. On ne peut pas vomir quelque chose et revenir le manger après. Si aujourd'hui, on a chassé Blaise, je vois mal comment Roch peut revenir. Il est au cœur de ce système. Eux qui ont été artisans pendant 26 ans de ce système. Et si on parle de paternité, on ne peut pas dire qu'ils ne partagent pas la paternité du CDP, ses déboires et, malheureusement, ses crimes.
Mais une faute avouée est à moitié pardonnée...
Oui, mais pas un crime. La faute de gestion, c'est quand les gens font leur travail avec honnêteté. Mais c'était un système bien huilé, qui est criminel sur les plans économique, humain et social. Ce sont des crimes terribles qui ont été commis par ce système et ses acteurs ; ce ne sont pas des fautes. Il s'agit de choses planifiées savamment.
Vous avez vu par exemple comment Norbert Zongo a été brûlé ? Même Dieu a dit que l'âme qui pèche irait en enfer. Il donne le salut, mais il y a châtiment. Dieu est bon, c'est ce qu'on m'a dit. On dit que Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son fils unique afin que quiconque croit en lui soit sauvé. Mais celui qui ne croit pas sera condamné.
Ça veut dire qu'il y a une responsabilité de chaque humain dans ce qu'il fait. Si vous choisissez de ne pas avoir pitié de vos concitoyens, de servir dans les crimes et trafics, vous devez en payer le prix. Il faut que l'Afrique sorte un jour de ce carcan de l'impunité. Toute nation aujourd'hui forte démocratiquement est fondée sur une justice implacable.
Il y a tout un livre qui a rapporté plus de 227 crimes au Burkina depuis la Rectification. Vous pensez qu'il faut laisser tout ça impuni ? Non. Les gens ne l'ont pas fait parce qu'ils y étaient contraints, c'est pour l'avidité du pouvoir et de l'argent. Il est temps qu'on paie, pour que les gens comprennent ce qui les attend s'ils commettent des malversations. Et c'est ça qui renforce la démocratie.
Il y a des arrestations qui ont cours actuellement au Faso. On sait notamment que d'anciens maires et d'autres responsables politiques sont actuellement détenus pour leur gestion ou pour des propos tenus. Quelle lecture faites-vous de cela ?
Ce que moi, je souhaite, c'est que toutes ces actions finissent devant un juge, car c'est la justice qui permet de coexister. La coexistence sociale pacifique dépend de l'outil judiciaire. J'ai vu des anciens ministres qu'on a arrêtés et déférés devant le procureur du Faso qui s'est déclaré incompétent. En effet, un ministre, c'est la Haute Cour de justice qui doit le juger. Pour moi, c'est normal. Le fait qu'on le conduise devant le juge est normal, et le fait que celui-ci se déclare incompétent c'est normal.
C'est pourquoi il faut mettre fin à l'impunité. Parce que si vous êtes au pouvoir et que vous parlez, quand vous n'y serez plus vous allez en répondre. De toutes les façons, les 27 ans du régime Compaoré ont toujours des traces. Je ne peux pas apprécier l'opportunité des arrestations qui ont cours actuellement, mais que ça finisse devant un juge, c'est ce qu'il faut.
Comment entrevoyez-vous octobre 2015 ?
Je pense que c'est une chance historique pour le Burkina Faso. Nous n'avions pas espéré cela, mais tant mieux. Le Burkina Faso est à un moment d'apesanteur politique, nous arrivons à des élections où tout le monde a pratiquement les mêmes chances. Nous souhaitons qu'elles soient propres, justes et transparentes.
Et nous pensons que tous les acteurs vont dans ce sens, autant les membres du gouvernement de la Transition que les partis politiques et la CENI qui est le moteur de ces élections, et en qui nous avons confiance. Nous avons, avec les partenaires techniques et financiers de ces élections, développé de nouveaux outils pour combattre la fraude.
Il va y avoir, par exemple, directement transmission des résultats de n'importe quel bureau de vote à la CENI à Ouaga. Les résultats seront donnés bureau de vote par bureau de vote. Ça veut dire que si vous êtes dans un bureau de vote et que vous constatez les résultats de ce bureau, vous pourrez les comparer à ce qui va être inscrit sur le site de la CENI au compte de ce bureau. C'est ainsi que nous aurons des élections transparentes, et c'est ce que nous souhaitons.
Interview réalisée par
Arnaud Ouédraogo