Adama Kanazoé: Effectivement ces derniers temps, il y a eu quelques discours politiques qui ont plus ou moins choqué l'opinion nationale. Nous avons été l'un des premiers partis à réagir face à ces discours. Il est important que chacun de nous garde en esprit l'intérêt supérieur de la nation burkinabè. Il est fondamental que les principes de cohésion sociale, de paix soient absolument préservés dans les propos que nous tenons. Mais c'est regrettable d'entendre certains discours. Je pense qu'il est important que les autorités prennent les dispositions nécessaires pour ramener tout le monde à la raison, quitte à passer par la sensibilisation, ou encore par des méthodes plus strictes.
Les jeunes ont été au devant de l'insurrection populaire. Alors, quelle est votre politique en matière de positionnement des jeunes sur les listes électorales?
Ce qu'il faut préciser, c'est que nous nous appelons Alliance des jeunes pour l'indépendance et la République (AJIR), mais AJIR n'est pas un parti constitué uniquement de jeunes. C'est fondamental. Parce que nous ne faisons pas des jeunes le fond de commerce du parti. Notre jeunesse est une réalité naturelle. Ce que nous proposons au peuple burkinabè, c'est qu'il utilise sa jeunesse pour un développement au profit de tout le monde. Il ne s'agit pas de faire de la jeunesse une entité distincte de l'ensemble de la population. Ce n'est pas un développement pour les jeunes avec en face d'autres couches sociales. Le Burkina est riche de son capital humain. Et ce capital humain est représenté par la jeunesse qui est une force de travail.
Vous n'avez pas répondu à la question jusque-là
Oui, nous sommes un parti animé essentiellement par les jeunes. C'est clair que nous aurons dans le jeu de positionnement sur les listes électorales plus de 90% des jeunes qui seront candidats pour le compte du parti. Si nous nous sommes engagés, c'est en partie pour qu'il y ait un renouvellement de la classe politique et cela passe par l'émergence d'une nouvelle classe politique animée par des jeunes.
Vous avez été désigné pour être le candidat de votre parti à la présidentielle du 11 octobre 2015. D'où est née cette envie d'aller à la conquête du palais de Kosyam?
C'est une envie qui est inhérente à tout parti politique. Vous savez très bien que la mission première d'un parti politique, c'est la conquête du pouvoir d'Etat. C'est vrai que c'est un challenge pour nous en tant que jeune parti d'aller à la conquête de Kosyam. Mais je pense qu'on va à la conquête du pouvoir surtout quand on a le sentiment d'avoir un projet intéressant à proposer au peuple. Avec la nouvelle donne politique, avec la maturité politique dont fait preuve cette génération, il serait difficile pour un homme politique d'espérer que sa seule personne, sa notoriété, sa richesse puissent automatiquement l'amener à la présidence. Aujourd'hui, ils sont nombreux ces Burkinabè qui n'ont pas encore décidé du choix de celui qu'ils vont voter. Et ceux-là ne sont pas des partisans systématiques d'un parti politique. Ils ont donc envie de savoir ce qu'on propose et nous pensons que nous avons le meilleur projet. Ce projet repose sur des théories économiques de l'heure. Il n'est pas envisageable une seule seconde qu'un parti ait une politique de développement qui mette à l'écart 60% de la population et espère atteindre ses objectifs.
Vous parliez tantôt de théories économiques. De quelles théories s'agit-ilexactement?
Ce qu'il nous faut, c'est d'avoir des vrais pics de croissance. A ce niveau, il y a deux façons. Il y a d'abord les facteurs exogènes notamment les phénomènes naturels. C'est le cas de la Guinée équatoriale. En 1995, la Guinée équatoriale était le pays le plus pauvre de l'Afrique centrale. Mais quand elle a découvert le pétrole en 1996, il a eu une croissance de 105% de son produit intérieur brut. Aujourd'hui, ce pays est le plus riche de l'Afrique centrale. Mais il y a aussi des facteurs purement endogènes qui peuvent être mis en œuvre pour développer un pays. C'est pourquoi aujourd'hui à Bretton Woods, on dit que le problème n'est plus la croissance seulement. C'est plutôt la participation de toutes les couches à la croissance, puisqu'on s'est rendu compte que c'est une toute petite couche de la population qui participe à la croissance. Donc si 10% des populations arrive à réaliser la croissance actuelle, si on arrive à faire en sorte que les 60% des populations notamment composés de femmes et de jeunes, contribuent effectivement à cette croissance, on devrait pouvoir augmenter les niveaux de croissance et forcément la production nationale va augmenter. Et quand la production nationale monte, la balance commerciale devient de moins en moins déficitaire et c'est l'économie qui s'améliore. C'est donc cette théorie que nous, nous voulons mettre en œuvre en disant simplement que le Burkina Faso a sa vraie richesse qui est son capital humain. Il faut mettre la jeunesse au travail afin qu'on puisse avoir des croissances exponentielles. C'est cela notre politique.
Vous croyez donc que vous avez les reins suffisamment solides pour défier des mastodontes politiques comme l'UPC, le MPP et même les sankaristes qui sont, il faut le dire, plus actifs sur le terrain actuellement ?
Il est clair que les capacités de mobilisation de fonds de l'UPC et du MPP ne sont pas les mêmes que celle de AJIR. Mais nous sommes convaincus d'une chose: nous avons eu un exemple au Burkina qui a été très éloquent d'ailleurs. C'est le cas de l'arrondissement n°4 de Ouagadougou lors des élections municipales, où le CDP s'était déporté avec tous ses dirigeants les plus hauts placés. Ils y avaient mis de l'argent, ils avaient offert des biens à certains jeunes etc. Mais à la fin, le CDP n'a pas remporté les élections. C'est le candidat le plus modeste en termes de ressources financières qui les a remportées. Nous pensons donc que c'est la conscience politique du peuple burkinabè qui a changé. On peut voir des mastodontes politiques, on ne va pas le nier; ce sont des personnes qui ont une autorité politique parce qu'elles sont sur la scène politique depuis toujours. Mais c'est justement ce que nous, nous disons aux gens. Pourquoi avoir le sentiment d'être obligé de choisir parmi ceux-là? Des gens qui nous ont dirigés pendant 30 ans, et qui n'ont pas changé notre quotidien. Pourquoi pensez-vous systématiquement que c'est encore eux qu'il faut choisir? Il faut arriver à faire comprendre au peuple burkinabè qu'il a le droit d'essayer autre chose. Les moyens que ces partis mettent au niveau des médias et autres en font de véritables monstres politiques comme on le dit. En réalité, le peuple burkinabè est un peu matraqué par ce tapage médiatique-là. Les gens sont un peu obnubilés, mais il faut arriver seulement à leur prouver qu'ils on le droit de mettre en place une nouvelle classe politique avec de nouvelles façons de faire. C'est ce que nous sommes en train de proposer aux Burkinabè. Et nous nous sommes dit qu'il n'est pas normal que nous ne participions pas à l'élection présidentielle car nous ne donnerons pas d'alternative au peuple qui serait finalement contraint de choisir entre les mêmes qui sont là depuis 30 ans. C'est inacceptable. Nous sommes conscients que les moyens diffèrent mais le peuple a changé sa façon de voir. Les mentalités ont changé, et beaucoup seront surpris du comportement électoral du peuple burkinabè aux élections.
Vous invoquez le cas de l'arrondissement n°4, mais on sait que pour prétendre au fauteuil présidentiel, il y a quand même un travail qu'il faut avoir fait au préalable. Et quand on regarde votre parti, on se rend compte que vous ne couvrez presque pas la moitié des provinces du Burkina. Ne pensez-vous pas que vous allez un peu vite?
Nous sommes convaincus que pour optimiser ses chances de remporter des élections, il est important d'avoir des bases au niveau national. C'est cette base qui constitue l'appareil électoral qui arrive à pousser le candidat vers la victoire. Nous sommes présents dans 25 provinces du Burkina, plus de la moitié pour être un peu plus précis. Nous sommes aussi présents dans 102 communes sur 300. C'est vrai, nous existons depuis une année maintenant, mais il faut nous reconnaitre le mérite d'avoir intégré tout de suite la nécessité d'implanter le parti au maximum sur le territoire. Nous n'avons pas fini ce travail, nous en sommes conscients. C'est un travail qui va être poursuivi. D'ailleurs, le principal objectif pour nous sur les 5 prochaines années, c'est d'avoir un parti qui soit ancré dans tous les villages du Burkina Faso, un parti qui soit ancré dans toute la sous-région et même hors du continent. Mais nous pensons que pour les prochaines élections, il y a l'idée de projet qui va forcément influencer. Nous allons à ces élections avec le sentiment d'avoir déjà tout gagné. Nous ne pouvons que sortir enrichis de l'expérience que nous allons y acquérir, enrichis de la visibilité que le parti aura, enrichis de la perception positive, nous le souhaitons, que le peuple aura de notre parti. Donc nous sommes déjà gagnants de ces élections-là. Mais les résultats des urnes nous importent parce que nous y allons pour conquérir le pouvoir mais en même temps il faut être très lucide car il y a encore un travail à faire. Nous ne partons pas défaitistes non plus.
La caution pour la candidature s'élève à 25 millions de francs CFA. Comment comptez-vous vous y prendre pour rassembler cette somme?
Je ne sais pas pourquoi cette question est permanemment posée à nos partis. Est-ce que les autres vous ont dit qu'ils ont plus de moyens que nous? Qu'est-ce que vous en savez de l'état financier de chaque parti politique au Burkina Faso? Les 25 millions de FCFA, ce n'est pas du tout une préoccupation pour AJIR. Cette somme sera récoltée par différents moyens. On en a parlé un peu lors de notre congrès, qui a pris une motion de collecte de fonds pour payer la caution du candidat. Moi-même j'ai géré la campagne de souscription populaire du Chef de file de l'opposition politique; donc on a une expérience dans ce domaine. On a aussi des camarades du parti qui veulent mettre la main à la poche. Il y a le président (Ndlr: lui-même) qui va mettre la main à la poche. Dieu merci, nous ne sommes pas des indigents. Qu'on arrête de nous poser cette question de la caution des 25 millions. Mais si vous voulez savoir ce que nous pensons de cette idée selon laquelle quand tu n'as pas 25 millions, c'est que tu es un plaisantin, c'est ça qui est de la plaisanterie. Penser une seconde au Burkina que ceux qui ont 25 millions sont les plus intelligents, ça c'est de la connerie! Ça va au-delà de la plaisanterie. Mais la loi c'est la loi et nous nous inscrirons dans ce sens. La loi veut qu'on paye 25 millions, et nous nous payerons 25 millions.
On dit de vous que vous êtes assez proche du MPP idéologiquement, mais particulièrement de Rock Marc Christian Kaboré. Est-ce vrai?
Vous savez, le président Rock Marc Christian Kaboré, je l'ai rencontré pour la première fois quand on a adhéré ensemble au CFOP. J'y suis allé avant le MPP. Avant cela, je ne l'avais jamais vu. C'est un personnage public mais moi je ne l'avais jamais rencontré de ma vie. Rock Marc Christian Kaboré me connait à peine. Idem pour Simon Compaoré qui ne me connait quasiment pas. Je l'ai rencontré pour la première fois lors du 11 décembre 2014 à Dédougou. C'est là qu'il a su qui est Adama Kanazoé. Salif Diallo, lui ne me connait toujours pas. Donc les gens peuvent raconter ce qu'ils veulent. Cette génération qui est là depuis 27 ans, je la trouve égoïste. Voilà une génération qui est entrée dans la sphère politique depuis les années 1980, très jeune. Certains avaient 26 ans, 27 ans et d'autres 30 ans. Rock a été DG de la BIB à 29 ans. Zéphirin Diabré a été ministre des Finances à 32 ans. Ils ont dirigé ce pays pendant 30 ans et sont devenus des cinquantenaires et ils estiment aujourd'hui que ma génération à moi est soit très pressée, soit très jeune. C'est égoïste. On stigmatise ma génération. Je refuse qu'on fasse croire que dans ma génération, il n'y a que des cancres. On fait croire aux gens que s'ils ne sont pas derrière vous, vous ne pouvez rien entreprendre. Ce sont eux qui ont instauré cela. Ils ont réussi à faire du jeune burkinabè un individu amorphe, sans ambitions, qui n'a pas de hargne. Mais c'est fini ça! Pendant tout ce temps, ils se sont tous alignés derrière Blaise Compaoré. Notre génération a refusé de se soumettre à Blaise Compaoré.Adama Kanazoé n'est pas plus proche de Rock Marc Kaboré qu'il n'est proche de vous; Adama Kanazoé n'est pas plus proche de Zéphirin Diabré qu'il n'est proche de vous. Notre parti est autonome. C'est pourquoi nous irons à l'élection présidentielle. Nous avons des convictions.
Mais si toutefois il y a second tour, et que vous n'en faites pas partie, vous envisagerez une alliance?
Il faut d'abord souhaiter que nous soyons au second tour. Mais si nous ne sommes pas au second tour, c'est clair qu'il y aura ces alliances qui vont défrayer la chronique. Les alliances ne sont pas exclues. Mais s'il y a alliance, elle doit être basée sur des éléments objectifs et positifs pour le peuple burkinabè.
Quand on vous entend parler, vous n'êtes pas du tout tendre avec ceux que vous avez nommé lors de votre congrès les «messies de la vieille garde politique». Si toutefois ce sont eux qui sont au second tour vous composerez tout de même avec eux pour des postes?
S'il y a quelqu'un à AJIR qui s'attend à ce qu'au second tour des élections, il y ait une alliance pour aller manger, cette personne peut quitter le parti. On ne va pas soutenir quelqu'un parce qu'il a les chances de gagner. On ne va pas soutenir un candidat parce qu'il nous a proposé des postes. C'est vrai qu'il y a l'idéologie, mais cela a vécu. C'est le projet, le programme des candidats qui va faire la différence. Nous ne sommes pas fermés aux alliances, mais celles de l'AJIR seront très étudiées. S'il y a un parti politique qui nous sollicite et qui n'a pas un programme mettant clairement en avant la contribution des femmes, des jeunes à l'effort de production nationale, il ne pourra pas avoir notre assentiment.
Adama Kanazoé, candidat à la présidentielle, avez-vous aussi trois atouts?
Non, notre atout essentiel, c'est notre programme. Nous ne ferons pas de notre jeunesse un fond de commerce. Nous n'espérons pas du peuple burkinabè qu'il élise Adama Kanazoé parce qu'il est jeune. La jeunesse n'est pas un mérite en soi. Tout le monde a été jeune un jour. Cela ne peut pas être un atout pour nous. Ce qui devrait nous favoriser, c'est notre force de proposition. Et quand il s'agit de proposer un programme, les jeunes connaissent les réalités du pays. Il y en a qui vivent les réalités des étudiants, des jeunes entrepreneurs, des jeunes chômeurs. Par conséquent, ils savent ce qu'il faut pour les sortir de cette situation-là. Donc notre atout n°1 va être notre programme qui est «développer le Burkina Faso avec sa jeunesse».
On va sortir un peu de la politique. On suppose que vous aimez la lecture. Quel est le dernier livre que vous avez lu?
C'est une très belle question. J'essaie de m'en souvenir. Je ne suis pas très grand lecteur, je ne vais pas vous le cacher. Je suis dans une génération où on est beaucoup dans un foisonnement d'informations. Donc c'est clair qu'on a beaucoup d'informations qu'on lit en même temps. Le dernier livre que j'ai lu, je crois qu'il portait sur un phénomène purement social. Il abordait un peu la question des hommes et des femmes. Je crois que c'est Ahles hommes! Ah les femmes de Isaïe Biton Coulibaly. Mais si vous souhaitez savoir si j'ai lu Machiavel, oui je l'ai lu. Mais je n'en fais pas non plus de la propagande politique, idéologique. Aujourd'hui, on parle plus de communication politique. Et les dérapages que nous connaissons actuellement prouvent que la communication politique doit être bien comprise par nos aînés parce qu'ils ont été moulés à la sauce du marxisme-léninisme. Aujourd'hui ils ont du mal à comprendre qu'on est passé de la propagande politique à la communication politique.
Interview réalisée par Lomoussa BAZOUN
(1)Adama Kanazoé, président de l'Alliance des jeunes pour l'indépendance et la République
(2)Il sera certainement l'un des plus jeunes candidats à la présidentielle d'octobre 2015