Mamadou Kabré: Effectivement en date du 7 avril 2015, le projet de loi portant révision du Code électoral, celui de juillet 2001 est passé devant la plénière de l'Assemblée de transition. Nous avons voté l'abstention pour plusieurs raisons. La première est en rapport avec la question morale. Vous n'êtes pas sans savoir que sous la quatrième république avec Blaise Compaoré, il y a eu des dispositions qui ont été prises à dessein et pour lesquelles l'opinion publique nationale et internationale s'est émue face à cette distorsion des lois de la république. Au regard de cela, il n'était pas de bon ton qu'actuellement sous l'ère de la transition, la neutralité ne caractérise pas la prise des lois. Si ça doit être des lois taillées sur mesure, on risque d'avoir des problèmes demain, lorsque le rapport de force aura changé. Deuxièmement, il y a les questions objectives. Nous avons contesté au total quatre articles dans cette révision. Le premier point concerne une série d'articles qui porte sur l'introduction des candidatures indépendantes. Nous estimons que c'est de l'usurpation. Il est vrai que des gens ont participé à l'insurrection des 30 et 31, mais il n'en demeure pas moins que c'est sous les auspices des partis politiques. Dans le même sillage, des militaires et des magistrats ont été actifs au cours de l'insurrection. Pour nous, cela ne leur donne pas le droit d'être candidats malgré les prescriptions de la Constitution qui dit que «tout citoyen burkinabè est électeur et éligible». Nous, nous estimons que les Organisations de la société civile doivent, si elles veulent faire de la politique, créer leur cadre politique. Elles ne doivent pas détenir leur récépissé du MATDS qui précise qu'elles n'ont pas pour «objectif la conquête du pouvoir d'Etat»et se prévaloir d'un autre statut. Donc, l'ensemble des amendements qui introduisent les candidatures indépendantes nous ont amené à nous abstenir, parce qu'il y a une violation, dans le giron politique. Nous l'avons expliqué en disant que c'est un aspect qu'il faut prendre en compte. Au niveau des OSC, le fait de vouloir conquérir le pouvoir d'Etat est en contradiction avec leur nature. D'ailleurs le ministre de l'Administration territoriale qui a été auditionné en tant que ministère qui endosse le projet de loi, a déclaré qu'il y a trop de partis politiques au Burkina Faso (115) et qu'il fallait réduire leur nombre. Aujourd'hui dans le Code électoral, on parle de scrutin de liste. Ça veut dire qu'au Kadiogo, un individu qui dépose une liste pour les législatives, doit avoir 18 personnes au moins et un corps électoral qui va le voter. Déjà vous avez 115 partis, vous vous plaignez et vous acceptez que des individus leaders soient à la tête des listes, pour mener la bataille électorale. En ce moment, vous créez des problèmes. Corrélativement avec cette disposition, il y a l'article 175 qui n'a pas été touché. Cet article dit que sur les listes, c'est le bulletin unique qui est utilisé et c'est établi en fonction de chaque élection; et ceci en tenant compte des candidatures qui ont été déposées pour la circonscription électorale concernée. Nous, nous avons fait un amendement pour qu'on nous dise, pour le logo du parti qui doit figurer sur le bulletin unique, quelle est sa dimension. On ne nous a rien précisé. Le problème est qu'on va se retrouver dans des situations où certains logos seront illisibles parce qu'il y a une pléthore de candidatures. C'est la deuxième incrimination. La troisième, lorsqu'on dit qu'il faut payer 25 millions pour être candidat à l'élection présidentielle, nous, nous estimons que c'est la ploutocratie. La démocratie actuellement est le pouvoir du peuple, et le peuple dans sa majorité au Burkina Faso est du coup exclu parce qu'il est pauvre. Et quand on aspire à des fonctions présidentielles, ce ne sont pas des fonctions honorifiques ou de prestige. C'est un sacerdoce et des gens peuvent être candidat sans être nantis. On a vu des exemples en Amérique Latine notamment en Bolivie, en Argentine et bien d'autres pays où des présidents sont sortis simples paysans et qui ont été des candidats. Je prends un exemple très simple. A combien de francs CFA par moisle fonctionnaire burkinabè est payé? Moi j'étais à la fonction publique avant d'aller au CNT et je touchais moins de 400 mille francs CFA de salaire, après 23 ans de service. Vous ne pouvez pas me dire qu'à cause de ça, je ne suis pas sérieux pour être candidat à l'élection présidentielle? D'ailleurs, si je dois postuler à 10 millions, c'est déjà un problème. Maintenant on me dit 25 millions de FCFA. A travers cette loi, on exclut tout simplement les idées, on exclut le don de soi au profit de ceux qui ont volé l'argent dans les caisses de l'Etat. Au regard de tout ça, nous, nous avons trouvé que c'est un code sélectif. Quatrième élément, c'est l'article 135 qui dit que tous ceux qui ont soutenu la révision de l'article 37 ayant abouti à l'insurrection sont disqualifiés. Moi j'ai une préoccupation, il n'y a pas eu de datation. A partir de quand commence ce soutien? C'est à partir du meeting de l'opposition tenu en mai 2013, ou c'est à partir de la date du transfuge de certains membres du CDP qui sont allés au MPP? Logiquement nous, nous avons dit qu'il n'y a pas de précisions, et si on laisse ça à la tête du décideur, il va faire à la tête du client. Nous, nous ne voulons pas d'injustice et c'est pour cela que nous nous sommes abstenus au regard de ces quatre éléments.
Maintenant que la loi a été votée, quelle est votre appréciation?
On n'a pas dit par exemple qui a supporté l'article 37 et qu'en conséquence, il est exclu. Si on doit viser ceux qui étaient présents au Conseil des ministres, ce n'est pas suffisant. Il y avait des responsables de l'ADF/RDA qui n'étaient pas dans le gouvernement, mais qui ont soutenu la modification de l'article en question. Ils ont même clamé à qui veut l'entendre qu'ils n'ont de leçon à recevoir de qui que ce soit. Il y a donc un problème qui se pose au niveau de la délimitation du champ des personnes qui sont visées. Il y a également le problème de délimitation des compétences historiques de la datation de ce fait. Egalement, est-ce que c'est le rôle du législateur de prendre position si la justice elle-même ne s'est pas saisie du dossier au préalable? La conséquence de cette loi est que certains risquent de ne pas baisser la garde, et on risque d'avoir des affrontements par rapport à cette situation. Ce n'est pas bon. Egalement, si du jour au lendemain, ce qu'on a voulu faire ne triomphe pas, on sera appelé d'ici une année à réviser encore ce Code électoral, parce qu'il a été taillé sur mesure. En ce moment, quelle est la stabilité de nos institutions? De nos textes si on doit les modifier chaque année? Le Code électoral qu'on vient de modifier est au moins à sa douzième modification depuis 2001. Ça veut dire qu'en quatorze ans, il a été modifié tous les 15 mois. Cela ne peut pas permettre d'ancrer les textes. C'est une réalité qu'il faut prendre en compte.
Un dernier mot?
J'aimerais juste rappeler qu'actuellement nous cheminons vers une convention avec les partis sankaristes et c'est probable que cela aboutisse à quelque chose de concret. Nous n'allons pas par rapport à cette disposition nous abstenir de participer aux élections. Politiquement, disons que même si on exclut quelqu'un qui a les moyens, et qui a la volonté, il peut avoir ses protégés qu'il va soutenir. Il n'a qu'à s'investir et on verra. Ce n'est pas parce qu'on a pris des dispositions pour exclure x ou y que ces personnes doivent rester les bras croisés. Ils ont la possibilité de rebondir dans un second rôle et faire un travail conséquent. Nous, nous avons besoin des hommes de foi, droits, qui pourront faire de la politique une chose noble; et non pas la politique, une foire de coups bas.
Interview réalisée par Edoé MENSAH-DOMKPIN