Enquête sur le foncier urbain

| 15.12.2016
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Enquête sur le foncier urbain
© DR / Autre Presse
Enquête sur le foncier urbain
La Commission d’enquête parlementaire (CEP) sur le foncier urbain au Burkina Faso a formulé, à l’intention du gouvernement, des recommandations visant à régler les nombreux litiges et irrégularités liés aux opérations de lotissement. Peut-on espérer une mise en œuvre effective des suggestions ? Les recommandations ne créeront-elles pas des désagréments à certains citoyens ? Ce sont autant de préoccupations sur lesquelles Sidwaya s’est penché, en repartant sur les traces des enquêteurs.


Salif Nabaloum, la soixantaine bien sonnée, habite au secteur n° 32 de Bobo-Dioulasso. Incarcéré plusieurs fois, pour avoir dirigé des marches de protestation contre de mauvaises opérations de lotissement, dans la ville de Sya, l’homme est devenu une figure emblématique de la défense du droit au logement. Pour lui, l’enquête parlementaire sur le foncier urbain est un symbole dans le Burkina post-insurrectionnel. Il réclame vivement une mise en œuvre rapide des recommandations issues de cette enquête, en l’occurrence les retraits de terrains et les poursuites judiciaires contre les fautifs. «L’Assemblée nationale a révélé des pratiques que nous avons dénoncées durant des années, sans être entendus. Maintenant, il appartient au gouvernement de parachever l’œuvre des députés par la mise en œuvre des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire (CEP)», plaide-t-il. Pour cet homme, qui a purgé des peines hors de sa ville de résidence, notamment à Orodara et à Dédougou, l’aboutissement des conclusions de la CEP est impératif à double titre. « Cela va permettre, non seulement de rendre justice à des citoyens, mais aussi et surtout de démanteler les réseaux mafieux, qui attendent que la mesure de la suspension des lotissements soit levée, pour relancer leurs affaires (NDLR : commerce des parcelles)», confie M. Nabaloum. Comme lui, ils sont nombreux les Burkinabè, qui brûlent d’impatience de voir l’exécution des recommandations de la CEP sur le foncier urbain. Seydou Sanou est le responsable de la Coordination pour la transparence dans les opérations de lotissement (CTOL), une structure de la société civile basée à Bobo-Dioulasso. De son avis, le plus important dans une enquête n’est pas de produire des rapports, mais de pouvoir donner suite aux résultats auxquels l’on a abouti.

Des fautifs face à leurs actes

Malheureusement, avoue-t-il, le passé, en la matière, n’incite pas à l’optimisme. «Contrairement à ce que certains pensent, ce n’est pas la première fois que de telles initiatives sont prises au Burkina Faso.

D’autres enquêtes ont déjà été diligentées sur la même question, mais elles n’ont jamais connu de suite», fait-il remarquer.

Des sentiments de doute, que le président de la CEP sur le foncier, le député Boureima Barry, balaie du revers de la main. «Dès le lendemain de la publication des résultats, nous avons transmis au gouvernement le rapport intégral auquel nous avons joint l’ensemble des recommandations et des propositions de lois. L’exécutif, qui dispose d’un délai de 60 jours pour réagir, s’active actuellement dans ce sens», indique-t-il. A en croire le député Barry, le volet judiciaire n’est pas en reste. «Nous avons également transmis le rapport à la justice. De même que l’ensemble des éléments de preuves dont nous disposons», précise-t-il. Selon son collègue Marie Laurence Ilboudo, seule femme membre de la commission, dès la création de la structure, l’Assemblée nationale avait conscience du défi de la mise en œuvre des recommandations. «A la fin des travaux, un comité a été créé pour le suivi de la mise en œuvre des recommandations par l’exécutif. Composé de six parlementaires, il est chargé d’interpeller le gouvernement et de rendre compte à l’Assemblée nationale», souligne Mme Ilboudo. Et le président de la commission d’ajouter : «En fonction de l’évolution de la situation, la représentation nationale peut convoquer l’exécutif afin de s’expliquer devant les députés en plénière». Le président du Faso s’est engagé lors de la commémoration de l’an II de l’Insurrection à mettre en œuvre les conclusions de l’enquête. La députée Ilboudo dit croire fermement à la bonne volonté du chef de l’Etat, qui a fait de la question de la bonne gouvernance, son cheval de bataille. A la justice, les conclusions du rapport de l’enquête sur le foncier mobilisent manifestement les énergies.

Selon le Procureur Général près la Cour d’Appel de Ouagadougou, Laurent Poda, le rapport a été déposé au Cabinet du ministre en charge de la justice, Réné Bagoro. «Celui-ci a mis en place une équipe, qui s’est réunie en atelier à Koudougou, pour analyser les recommandations. Nous attendons les conclusions desdits travaux et le rapport général de l’Assemblée nationale, qui devront nous parvenir très bientôt, selon le ministre», confirme le procureur général. Mais déjà, le parquet a pris les dispositions, afin de mettre sa machine en branle au moment venu. «Dès la réception du dossier, nous allons le dispatcher dans les différents parquets des juridictions des villes où les infractions ont été constatées pour des actions judiciaires», prévient Laurent Poda, qui n’exclut pas des enquêtes complémentaires pour éclairer davantage les juges.

«Une loi porteuse de germes d’affrontements»

Si les populations se réjouissent de l’initiative de l’enquête parlementaire sur le foncier urbain, ce n’est pas avec la proposition de loi portant retrait de parcelles illégalement attribuées. Nombre de citoyens craignent de tomber sous le coup de cette «future» loi, dans la mesure où l’on peut devenir propriétaire d’une parcelle illégalement attribuée, à la suite d’une opération d’achat. Pour Boureima Barry, qui a dirigé l’enquête, cette peur bleue des citoyens se justifie par leur ignorance du contenu de ladite proposition de loi. «Aucun citoyen ne sera lésé, parce que c’est au vendeur qu’on va demander des comptes. Il devra reverser l’argent dans les caisses de l’Etat», rassure-t-il. Aussi, les problèmes seront étudiés au cas par cas, dans le souci de protéger les intérêts des populations, foi de Marie Laurence Ilboudo. Les députés-enquêteurs ont cependant tenu à faire la précision suivante : «Tous ceux qui occupent des terrains, pour lesquels ils ne disposent pas de documents, n’échapperont pas à la loi». Malheureusement de nombreuses personnes sont dans cette situation, surtout dans les grandes villes. Le maire de Bobo-Dioulasso, Bourahima Sanou, s’inquiète de cette proposition de loi «porteuse» de germes d’affrontements entre communautés. «Au fil du temps, une parcelle peut connaître plusieurs propriétaires, à travers des opérations de vente. Ainsi, demander du jour au lendemain l’annulation de ces opérations pour attribution irrégulière va créer sans nul doute des tensions entre citoyens et entrainer des procès en cascades», craint ce juriste de formation. De même, la recommandation de l’Assemblée nationale de confier désormais la présidence des commissions d’attribution à des représentants de ministères techniques ne rencontre pas l’assentiment du maire de la capitale économique burkinabè. «L’affectation de la présidence des commissions à des représentants de l’administration au détriment des maires est loin d’être une solution aux problèmes du foncier urbain. La preuve est que certains administratifs n’étant pas responsables de commissions ont pu se faire attribuer plus de 500 parcelles, selon le rapport», argumente M. Sanou. Le rappel de ces faits, dont se seraient rendus coupables des agents publics de Bobo-Dioulasso, a poussé le haut-commissaire de la province du Houet, Kouka Jérémie Ouédraogo, hors de ses gonds. «Selon les textes, personne ne peut être attributaire de plus d’une parcelle dans une même opération de lotissement dans une localité donnée. Si des gens ont contourné la loi pour se faire attribuer plus de 500 parcelles, il faut appliquer les textes avec rigueur», réclame le commis de l’Etat.

Sur la question du retrait des parcelles, des acteurs de la société civile ne partagent pas la vision du maire de Bobo-Dioulasso. «Les citoyens, qui ont été brimés dans les attributions frauduleuses de parcelles sont aussi des Burkinabè. Leur seul tort, c’est d’avoir été des pauvres. Maintenant que des investigations ont permis de se rendre compte de cette injustice, il faut les rétablir au plus vite dans leur droit et sans état d’âme», exige Seydou Sanou, de la CTOL. Et le président de la section provinciale du Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP) du Boulkiemdé, Kisito Dakio, de renchérir : «Les terrains doivent être purement et simplement retirés au profit de citoyens qui en ont réellement besoin pour usage d’habitation et les coupables des attributions irrégulières punis à la hauteur de leur forfait». Pour Salif Nabaloum, qui a subi de lourdes pertes, y compris son domicile, dans sa lutte pour une bonne gouvernance dans le foncier, la réconciliation entre les citoyens ne peut être possible sans justice. Selon le président de la CEP, la suggestion de retrait de la présidence des commissions d’attribution aux maires a été motivée par un constat. «Des maires se sont faits induire en erreur du fait de l’insuffisance de leurs compétences sur les questions du lotissement. Certains d’entre eux étaient illettrés, alors qu’ils devaient signer les rapports et les procès-verbaux des commissions. La mesure vise donc à éviter aux maires d’être victimes de travers, dans lesquels leurs collaborateurs les précipitent souvent», explique-t-il.

Des critiques sévères

Les résultats de l’enquête sur le foncier urbain, qui a concerné quinze villes du Burkina dont Ouagadoudou, Bobo-Dioulasso et Koudougou avaient été sévèrement critiqués par certains Burkinabè. Ces derniers reprochaient à la commission d’avoir privilégié des anciens maires, tels Simon Compaoré pour la commune de Ouagadougou et Seydou Zagré de Koudougou, tous deux ténors du parti au pouvoir, le MPP. Que s’est-il réellement passé ? Réagissant à cette interrogation, Boureima Barry, prenant le ciel à témoin de sa bonne foi, a lancé un appel à l’opinion : «Que ceux qui détiennent des preuves contre ces deux personnalités les transmettent à la presse, s’ils estiment que la commission les a protégées». Du reste, poursuit le député, la commission comptait des députés de l’opposition, notamment du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Kisito Dakio de la section MBDHP trouve que les résultats sont en-deçà de ses attentes à Koudougou. «Nous nous souvenons des problèmes de détournement de terrains, dont la presse avait fait écho au temps du maire Seydou Zagré et qui lui avaient finalement coûté son poste. Après une enquête sur la question si son nom ne figure pas dans le rapport, il est légitime pour des citoyens de penser que certains politiciens aux affaires ont bénéficié de couverture», déclare-t-il. A la lumière des témoignages du défenseur des droits de l’homme, d’autres faits non moins flagrants seraient à l’origine de la déception dans la «cité du cavalier rouge». «Des parcelles fictives étaient ajoutées dans chaque lot et des faux cartons d’attribution délivrés à des citoyens naïfs contre de fortes sommes», relate M. Dakio, qui révèle la découverte du pot aux roses dans les services domaniaux de la mairie de Koudougou.

D’une ville à une autre, les faits sont similaires, mais les méthodes diffèrent. Selon la coordination pour la transparence dans les lotissements de Bobo-Dioulasso, les maires contrariés par la mesure de suspension des lotissements décidée par le gouvernement, avaient trouvé une parade. «Lorsqu’ils vous vendaient une parcelle, ils antidataient les documents, faisant croire que l’attribution a été faite antérieurement, au point que certains maires disposeraient de quittances parallèles. Pratiques que nous avons denoncées en vain», regrette Seydou Sanou. Pour cet enseignant de sciences physiques à la retraite, la magouille dans la gestion des lotissements dans la cité de Sya était l’œuvre d’un réseau. «C’était un clan mafieux constitué de maires et leurs acolytes issus de l’administration décentralisée, soutenus par des forces de défense et de sécurité, si bien qu’aucune plainte ne pouvait aller loin», martèle-t-il. Au lendemain de la restitution des travaux de l’enquête, certaines sociétés immobilières épinglées dans le rapport avaient réagi, en dénonçant des «incriminations injustes» à leur égard. A la question de savoir si avec le recul, la CEP a reconnu que les taxes retenues contre les agences immobilières étaient mal calculées, le président de la CEP, le député Barry dit ceci : «Nous n’avons nulle part et à aucun moment reconnu avoir publié des contrevérités sur les sociétés immobilières. Certains promoteurs ont plutôt affirmé, que sur le non-paiement de certaines taxes, les responsabilités sont partagées avec les services techniques. Aujourd’hui (NDLR : mardi 29 novembre 2016), les services des impôts sont à plus de 5 milliards de francs CFA de notifications de taxes à recouvrer».

Beyon Romain NEBIE
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Quel sort pour le verger du vieux Wendyam Yaméogo à Koudougou ?

Le problème du verger du vieux Wendyam Jacques Yaméogo surnommé «affaire du verger de Koudougou», qui a fortement alimenté la polémique, va-t-il enfin connaître un dénouement grâce à l’enquête parlementaire sur le foncier urbain ? Difficile de répondre à cette interrogation au regard des différents rebondissements enregistrés par le dossier depuis que l’affaire a été portée au public en janvier 2009. Nous avons rencontré le vieux Wendyam en fin novembre 2016 à son domicile au secteur n°4 de Koudougou. Derrière ses lunettes noires, l’homme qui a perdu la vue, s’est montré peu bavard sur le problème de son verger. «Les députés ont promis de régler l’affaire et la sagesse commande que je me taise», a-t-il déclaré malgré notre insistance. Quelle lecture, les enquêteurs font-ils du message du vieux Yaméogo ? Voici la réponse du président de la CEP, Boureima Barry : « Le juge a ordonné la restitution du verger, mais compte tenu de la suspension des opérations de lotissement, on ne peut délivrer un titre ou un acte administratif lui conférant la propriété du terrain. Bien que le dossier soit en justice, nous avons tenu à le mentionner dans le rapport et formuler une recommandation à l’intention du maire de Koudougou. Nous lui avons fait comprendre, que c’est un dossier prioritaire auquel il devrait donner réponse diligemment en temps opportun car le problème a eu une envergure nationale. C’est dans ce sens, que je comprends les propos du vieux». D’une superficie de deux hectares (20 748 m2) couvert de manguiers, ce terrain est le fuit d’énormes sacrifices consentis depuis 1985 par cet ex-employé de Faso-Fani, qui y a investi ses revenus.

B.R.N.

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