Le président de la Transition s'est prononcé sur la question dans une allocution sans relief mais pleine d'équivoques sur son rôle de chef suprême des armées, président de la République, garant de l'unité nationale.
S'il y a des adresses du président de la Transition à la nation qui ne brilleront pas dans les annales de l'histoire, celle du 10 juillet en fera partie. A moins de briller à la Pyrrhus, c'est-à-dire par effraction incendiaire du politiquement et du socialement correct attendu d'un président du Faso, président de tous les Burkinabè. Si cinq jours après qu'il a été prononcé, ce discours suscite encore des commentaires, c'est que le président n'a pas été à la hauteur.
On attendait un homme d'Etat, on a vu un commis expéditionnaire indécis. On attendait un chef suprême des armées, on a vu un chef de clan qui camoufle mal son jeu dans un équilibrisme de poltron. Conséquence, les choses, que dis-je, la crise reste en l'état. Celui où le Premier ministre Zida fait de la résistance face, non plus, à la hiérarchie du Régiment de sécurité présidentielle, mais bien plus à celle de toute l'armée. Devant une situation si préoccupante, l'histoire retiendra que Michel Kafando a fait un petit discours, au propre comme au figuré. Pourtant, ce discours qui avait été susurré, murmuré, annoncé à grands renforts de manchettes de journaux, était tant attendu. Et voilà, tout ça pour si peu! En effet, pour un discours si longtemps attendu, au rendu, le président n'aura pas captivé grand monde, ni dans la forme ni dans le fond. Ce n'est même pas sûr que tous les inconditionnels d'une Transition qui balbutie sa cohérence ont applaudi cette dernière sortie présidentielle. Et pour cause!
Michel Kafando fait preuve d'un manque terrible de poigne et rien n'a servi à ce qu'il ait consulté tout le monde, si au final, il a fallu mettre en place un cadre de concertation. Quelles concertations ce groupe, dit de sages, devra-t-il faire encore qui n'aient déjà été faites par le chef de l'Etat himself ? A moins que Mba Michel ruse avec ses prérogatives pour faire passer la pilule de ses décisions par ordonnance du Cadre de concertation desdits sages. On attend de voir! Mais d'ores et déjà, on note que les OSC, partisans du Premier ministre, fortement bridés par des espèces sonnantes et trébuchantes, selon les bouches mal fendues au mauvais endroit, sont encore montés au créneau après le discours présidentiel. Elles ont le verbe haut et acerbe d'aigreur, ce qui n'estpas sans rappeler cette lapalissade sortie par un politique, il y a de cela quelques années: «on ne construit pas un pays avec de la haine».
Mais ces thuriféraires du gouvernement de la Transition ont-ils tort de s'époumoner à dénoncer, condamner, vouer aux pires gémonies, le Régiment de sécurité présidentielle, le CDP et les partis alliés? Le président de la Transition lui-même n'a-t-il pas manqué le coche lors de sa dernière allocution à la nation? De quoi s'agit-il?
Dans son discours, Michel Kafando affiche, dans un premier temps, son rôle de «garant de l'unité nationale».«J'aurai tout fait pour que la paix soit préservée dans notre pays» dit-il, avant d'inviter «toutes les personnes de bonne volonté à en faire autant». Plus loin, il en appelle au sens des responsabilités pour que «nous taisions nos rancœurs...nos divisions et nos incompréhensions». Voilà des propos qui sont bien à entendre dans la bouche d'un chef d'Etat, garant de l'unité nationale, soucieux d'un large rassemblement de tous ses compatriotes pour la sauvegarde de l'intérêt général: «sauver le Burkina du désordre et du chaos». Mais quelle sincérité accorder au président Michel Kafando dans cet appel à l'unité nationale, s'il est assorti de menaces et de stigmatisations avilissantes d'une partie des Burkinabè, perçue comme «des aventuriers, mûs par les forces du mal»? En tenant de tels propos, Michel Kafando se met hors-jeu dans son rôle de président de tous les Burkinabè, avec le souci permanent du rassemblement de tous les fils du pays. Cette caractérisation adressée à des protagonistes de la crise disqualifie le président de la Transition de son rôle d'arbitre, de conciliateur entre les parties. C'est dommageet la question que l'on a bien envie de lui poser, c'est de savoir, du RSP( avec à ses côtés toute la hiérarchie militaire), au Premier ministre Zida (et les trois autres militaires dont la démission est demandée du gouvernement), qui sont «les aventuriers, mûs par les forces du mal»?
Jennifer Balima