Marcel Tankoano du Mouvement M21 : « Ne rangeons pas les bâtons utilisés pour chasser Blaise »

| 15.03.2015
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Marcel Tankoano, président du M21
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Marcel Tankoano, président du M21
L'insurrection populaire ayant conduit à la chute de Blaise Compaoré en fin octobre 2014 est l'œuvre de partis politiques de l'opposition, ainsi que celle d'organisations de la société civile. A cet effet, le Mouvement du 21 avril 2013 (M21) à l'image de plusieurs autres mouvements de jeunes, s'est engagé pour le départ de Blaise Compaoré du pouvoir après 27 ans de règne. Pour nous entretenir sur la vie du M21, la vie nationale et surtout sur les points chauds des évènements ayant conduit à la chute de Blaise Compaoré, le président du M21, Marcel Tankoano, nous a accordé une interview le mardi 10 février 2015 dans nos locaux. Lisez plutôt!


Notre Temps: Les Burkinabè vous ont connu à la faveur de l'insurrection populaire, présentez-nous votre Mouvement.

Marcel Tankoano: Je suis Marcel Tankoano, le président du M21. M21 veut dire tout simplement le mouvement du 21 avril 2013. Ce mouvement a été créé à Ouagadougou au bord de l'avenue Charles de Gaulle. Cette organisation a pour ambition de défendre les intérêts du peuple. Rien que les intérêts du peuple quelles qu'en soient les difficultés.

Qui est Marcel Tankoano?

Marcel Tankoano est un Burkinabè comme les autres. Je suis un journaliste en langue nationale Gulmantchéma à la télévision nationale du Burkina. Je suis Gulmatché originaire de l'Est du pays, précisément du département de Kantchari dans la province de la Tapoa. A la télévision nationale, je m'occupais de tout ce qui était reportage en Gulmantchéma. Je présentais également le journal parlé dans cette langue.

Agent de la télévision nationale, vous êtes devenu un leader de la société civile, comment s'est opérée la mue?

C'est l'histoire de notre pays, à un moment donné qui m'a invité dans ce combat. Il y a eu un moment où je vivais le désespoir face à la souffrance du peuple burkinabè. Lorsque la vie devient difficile, lorsqu'il y a peut-être plus de solution et qu'il est préférable de mourir que de vivre, par moments, on prend ses responsabilités. Avec mes camarades, à un moment donné, nous avons décidé de créer un mouvement en nous inspirant du monde arabe avec son printemps. Ainsi, nous avons décidé, en tant que jeunes d'aller au charbon, parce que sous le régime de Blaise Compaoré, soit tu acceptes ou tu es éliminé physiquement. Mais dans notre cas, nous avons eu le réflexe de contacter la presse que vous êtes puisque, c'est mon milieu! Ce qui nous a beaucoup aidés. Contrairement au M23 du Congo, notre mouvement n'est pas armé. Cet amalgame que les gens ont fait a même créé une psychose au niveau des Burkinabè.

Les 30 et 31 octobre 2014, vous avez été sur le terrain pour pousser Blaise Compaoré à la démission, sur quel front étiez-vousexactement?

Je ne peux parler du 30 octobre sans parler du 28 octobre, la journée ville morte. Quand je quittais chez moi, j'ai dit au revoir à ma famille. J'ai dit à ma mère que je partais pour gagner ou périr. J'ai quitté chez moi à 5 heures du matin le 28 octobre et je n'y suis plus rentré. J'étais dans la nature ou à la Place de la Révolution. Donc on a tenu le 28 avec les gaz lacrymogènes. Pour nous, on ne peut même pas dire que la période des 30 et 31 octobre, c'est la date décisive.Sinon, tout est parti de la date du 21 octobre 2014, lorsque Blaise Compaoré a émis le vœu au Conseil des ministres extraordinaire d'envoyer le projet de loi à l'Assemblée nationale pour la modification de l'article 37.On n'en dormait plus. Nous sommes allés au charbon comme on le dit. Parce que nous savions que soit le président quitte le pouvoir, s'il y a mort d'homme ou il tient un discours solennel à la nation pour annoncer son départ du pouvoir en disant «je vous ai compris». En tous les cas, on était sûr que l'année 2015 était une ligne rouge à ne pas franchir par le président. Maintenant, nous avons tenu notre dernière rencontre stratégique au siège du Chef de file de l'opposition (ex-CFOP). Nous étions environ 4 personnes et ce n'était pas facile pour nous parce qu'il ne fallait pas rater le coup. Dans la matinée du 30 octobre, j'étais dans la zone de Paspanga et je devrais coordonner Paspanga; Dapoya; Somgandé; Kossodo; Tanghin et Dassasgho. Il fallait faire en sorte qu'on ne nous prenne pas. Si, on mettait la main sur nous, ce n'était pas bon. Donc il fallait éviter qu'on nous prenne. J'étais quelque part derrière la BIB, pratiquement dans une maison abandonnée, pour la lutte.

Maintenant Blaise Compaoré n'est plus au pouvoir, est-ce responsable de proférer des menaces à l'endroit de ses proches du CDP et de l'ADF/RDA?

Oui! Vous savez que ce n'est pas facile. Dès la chute de Blaise Compaoré, nous avons rencontré la Communauté internationale. Pendant cette rencontre, moi-même j'ai pris la parole. Nous avons dit non! C'est nous qui avons donné nos poitrines, et le peuple qui a chassé Blaise Compaoré est souverain. C'est la victoire du peuple. Ce jour, la délégation de la Communauté internationale nous a signifié que l'ennemi pour nous est Blaise Compaoré et comme il est parti, de nous entendre pour vivre maintenant ensemble. C'est là qu'on nous a sorti le mot inclusion. A l'époque nous leur avions dit de faire attention parce que ce sont des revanchards nos adversaires. Nous nous sommes mis d'accord pour pardonner, mais si ces gens gagnent une occasion, ils ne vont pas nous rater. Et le résultat est là! A l'heure actuelle, il se passe quelque chose de très grave. L'ex-majorité composée de gens qui ont la boulimie du pouvoir est en train d'intoxiquer la population. Ils vont jusqu'à recruter une certaine jeunesse pour jeter des cocktails Molotov dans les domiciles et dans des services. Cela a été le cas au siège de l'UNIR/PS. Selon les enquêtes que nous avons menées, l'ex-majorité en est responsable. Les dignitaires du CDP ont même dit en mooré et je cite:«Fo san deem nin CDP fo nan paama yeelé»ce qui veut dire de se méfier du CDP, sinon tu auras des problèmes.

Avez-vous des preuves qui incriminent les leaders du CDP sur cette question de cocktails Molotov ?

Ils le disent lors de leurs rencontres! Ils disent ce slogan «si tu as touché le CDP, tu as des problèmes». Pire, nous avons failli mourir et certains d'entre nous ont été victimes mais au nom du vivre ensemble, on a accepté. Mais ces gens dont on parle, n'ont pas tiré leçon de ce qui s'est passé, ils ne se sont pas remis en cause. Ils ont même dit qu'ils ont pardonné au peuple du Burkina Faso. Est-ce que ce sont eux qui pardonnent? C'est au peuple burkinabè de leur pardonner, parce qu'il y a eu morts d'hommes et ils sont responsables de cela. En dépit d'endeuiller des familles, d'autres parlent de leurs domiciles incendiés. Qu'on ne se leurre pas! Ce n'est pas fini!

C'est dire que les déclarations de l'ex-majorité vous choquent à plus d'un titre?

Oui, surtout qu'ils rêvent aujourd'hui d'organiser une caravane pour aller rendre visite à l'ex-président Blaise Compaoré en Côte d'Ivoire avec le soutien d'une compagnie de transport qui leur donnera ses cars. Et selon nos sources ils auraient négocié environ 6 cars.

Quelle est cette compagnie burkinabè?

Nous ne pouvons pas vous le dire pour le moment. Permettez-nous de ne pas la citer pour des mesures de sécurité. Pour le moment, nous allons taire le nom, mais le moment viendra où nous le ferons savoir. Donc tout cela résulte des manigances du CDP avec Alpha Yago pour organiser cette caravane. Nous sommes des Burkinabè et nous ne pouvons pas accepter cela. Est-ce qu'ils peuvent nous rassurer que ces cars qui y vont ne ramèneront pas d'autres personnes. Ce qui est grave, c'est que le nommé Alpha Yago passe sur des chaînes de radio pour dire que François Compaoré doit revenir, soit disant que les Burkinabè ont soif de le voir au Burkina. Des gens qui se sont illustrés par le mal et qu'on a chassés en une journée, et d'autres viennent parler de la sorte! Moi qui vous parle, dès qu'ils arrivent sur la terre burkinabè, si je ne suis pas à la frontière, c'est qu'on m'a déjà tué. Ça au moins c'est clair! Donc à l'heure où nous vous parlons, la situation est très sérieuse. Comment comprenez-vous qu'on chasse quelqu'un du pouvoir et que des gens partent le voir et revenir dire «je l'ai vu et nous resterons fidèles à lui»? Si ce n'est pas au Burkina...

Qu'est-ce que vous entrevoyez comme solution à cette tension qui existe?

Quand nous avons tenu notre conférence de presse, il y a de cela quelques jours, nous avons attiré l'attention des autorités de la Transition sur un certain nombre de points. Nous leur avons signifié que la situation est tellement grave et qu'elles doivent s'y pencher sérieusement. La preuve, ce qui est arrivé au Ministre Auguste Denise Barry en Côte d'Ivoire lors de la tournée d'information sur le vote de la diaspora découle de là. Ils sont allés au Ghana et au Sénégal et il n'y a pas eu de problème. Pourquoi, c'est en Côte d'Ivoire qu'il y a eu incident. C'est parce que Blaise Compaoré y est! Qui pis est les autorités de la Transition ont rappelé l'ambassadeur qui devait rentrer dans les 72 heures qui suivent et il n'est pas rentré. Qu'est-ce que vous voulez? La situation est grave, il faut qu'on travaille à éviter que notre pays sombre. Nous sommes prêts à sauver les Burkinabè. Nous allons sonner la mobilisation pour la défense des intérêts de notre peuple. Nous sommes prêts à aller jusqu'au bout. Nous avons voulu que la Transition soit inclusive, mais inclusion ne veut pas dire impunité! Tous ceux qui ont participé à l'insurrection populaire ne s'en prennent pas à la Transition et ceux qui sont contre la Transition sont des ennemis du Burkina Faso. Ce sont ceux-là qui nous ont poussés à nous révolter, qui ont amené le peuple à chasser leur champion, Blaise Compaoré, qui mettent les bâtons dans les roues de la Transition. Qu'on ne nous ramène pas en arrière. Je demande au peuple burkinabè de ne pas ranger les bâtons que nous avons utilisés pour chasser Blaise Compaoré. Que chacun garde son bâton parce que le serpent qu'on a tué n'est pas totalement mort. Il faut qu'on l'achève.

Entre nous, qui finance le Mouvement du 21 avril 2013 (M 21)?

Rire, je vais vous dire la vérité tout simplement parce que même si je mens, tôt ou tard, la vérité, vous la saurez. Le M21 n'est pas soutenu par quelqu'un. Si le M21 était soutenu par quelqu'un, les actions que nous sommes en train de mener en seraient quelque part entravées. Parce que souvent celui qui t'aide n'a pas la même vision que toi. Véritablement, je ne connais pas quelqu'un qui tend une main invisible au M21 en matière de soutien. Je suis au sérieux. Maintenant, si ceux qui pensent que le boulot que nous faisons est noble et viennent vers nous dans le but de nous accompagner, ils sont les bienvenus. Sinon il n'y a personne dans l'ombre qui finance le mouvement. Je n'en connais pas.

Interview réalisée par Djakaridja SAVADOGO

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