Luc Marius Ibriga, professeur de droit constitutionnel à l’université Ouaga II : « Le Burkina Faso est une démocratie à faible intensité citoyenne »

| 26.11.2013
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Luc Marius Ibriga
© DR / Autre Presse
Luc Marius Ibriga
La Semaine nationale de la citoyenneté bat son plein actuellement dans la capitale burkinabè, Ouagadougou. Dans cette interview, le professeur de droit constitutionnel à l'Université Ouaga II, Luc Marius Ibriga, peint une image sombre de la citoyenneté et du civisme au "pays des Hommes intègres". Il propose des solutions pour sortir de la situation actuelle qui prévaut.

Sidwaya (S) : Quel sens donnez-vous à la citoyenneté ?

Luc Marius Ibriga (L.M.I) : Pour parler de la citoyenneté, il faut retourner à ces mots de Jean Jacques Rousseau qui dit : « Bien informés, les hommes sont des citoyens, peu informés, ils demeurent des sujets ». La citoyenneté, c'est la capacité reconnue à un individu de prendre part à la gestion de la chose publique, d'avoir son mot à dire sur la gestion de la cité. Cela suppose la réunion de trois conditions. Le citoyen est d'abord un national. Il est lié à un Etat par le lien de nationalité. C'est ce lien affectif qui fait qu'il a son mot à dire dans les affaires de l'Etat. Deuxièmement, le citoyen, contrairement au sujet, a des droits reconnus par l'acte constitutif de l'Etat. Ses droits permettent de contenir le pouvoir dans sa capacité de nuisance. Mais le niveau optimal de la citoyenneté n'est pas seulement d'avoir une carte d'identité et d'être un national et avoir des droits théoriquement proclamés. Le citoyen est en troisième position, celui qui exerce effectivement ses droits. C'est-à-dire, qui s'organise de manière à dire ce qu'il pense de la gestion de la chose publique. Cette citoyenneté ne peut se développer que par l'instruction. Plus les habitants d'un Etat sont instruits, plus ils ont la capacité d'endiguer l'arbitraire et la toute puissance de l'Etat.

S : Quelle appréciation faites-vous de la situation actuelle de la citoyenneté au Burkina Faso ?

L.M.I : Le Burkina Faso est une démocratie à faible intensité citoyenne. Pourquoi ? Parce que la plupart de ceux qui ont la citoyenneté burkinabè sont peu instruits. Ils sont peu au courant de leurs droits. Ils considèrent que ce qui constitue leur droit est un privilège que l'Etat leur accorde. Quand le citoyen ne connaît pas ses droits, il ne peut pas exercer véritablement son activité citoyenne.

S : A qui la faute ?

L.M.I : La faute revient premièrement à l'Etat. Parce que l'obligation d'instruire et d'informer incombe à l'Etat. Mais la faute incombe aussi à ceux qui sont instruits, s'ils ne prennent pas leur part dans le travail de sortir le plus grand nombre de l'obscurité et de l'ignorance. Plus les hommes sont instruits, plus ils sont en mesure de s'investir dans la vie de la nation.

S : Qu'est-ce qui provoque actuellement les comportements violents que nous constatons lorsque la population veut manifester ?

L.M.I : L'incivisme est la marque d'une société fondée sur l'injustice. Il se développe dans les sociétés où il y a deux poids deux mesures. Les règles ne sont pas appliquées de la même manière pour tous. Ce faisant, les uns et les autres, compte tenu du fait que la règle n'est plus impersonnelle et générale, ils créent des espaces et refusent d'appliquer les règles. Le poisson pourrit toujours par la tête, l'incivisme actuel vient d'en haut. Au Burkina Faso, actuellement, il y a l'impunité sur des crimes économiques, pour un certain nombre de comportements, il y a le népotisme, etc. En ce moment, on ne peut pas demander au commun des mortels de respecter les règles. Les gens n'ont plus foi en la justice. C'est pourquoi ils se font justice eux-mêmes. Les gens se sont rendu compte qu'au Burkina, les règles sont transformées en fonction des intérêts des gouvernants.

S : Quels remèdes à apporter ?

L.M.I : Il faut de l'équité dans la répartition des biens de l'Etat, parce qu'il y a des gens qui sont complètement en marge de la société. Quand des gens se sentent déclassés à cause de la fracture sociale, ils ne se considèrent plus appartenir à cette société. Le capitalisme tel que instauré au Burkina, fait que les richesses nationales sont mal reparties. Pendant que des gens vivent au rythme de New York ou de Paris, d'autres n'ont même pas de quoi manger. Pendant qu'il y a des routes complètement défoncées, vous voyez y passer des véhicules d'un certain âge qui circulent et mettent la poussière sur les autres. La deuxième des choses est l'amélioration de la gouvernance pour que la société soit stabilisée. En troisième partie, il faut bannir l'impunité. Que la règle de droit soit la même pour tous. Il faut recréer la confiance en la justice. Or le problème que nous avons actuellement, est que lorsqu'il s'agit des petites gens, la justice va à la vitesse grand V. Mais quand il s'agit des gens d'une catégorie sociale plus élevée, la justice prend son temps. En réalité, ce sont la justice et la gouvernance qui sont au centre de l'incivisme. L'exemple du changement doit venir d'en haut, sinon il sera difficile de renverser la situation.

S : Quelle analyse faites-vous du thème de cette édition de la SENAC : Les droits humains, citoyenneté et revendications sociales : quelle convergence pour une société de paix ?

L.M.I : Ce thème vient à propos. Car il montre une prise de conscience que les corps intermédiaires sont les lieux d'expression de la citoyenneté. Il faut les (syndicats, associations, etc.) valoriser. Parce que le citoyen pris individuellement, ne peut pas peser sur la vie nationale.

Interview réalisée par
Steven Ozias KIEMTORE
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