De tous ces congédiements, le plus emblématique est incontestablement celui du général Gilbert Diendéré.
La raison est simple : cet homme élancé qui frôle les 2 mètres a été de toutes les équipées politico-militaires du Burkina Faso, ces 30 dernières années :
- Depuis Pô en 1981, au Centre d'entraînement commando (CENEC) où, semble-t-il, il fit la connaissance de Blaise jusqu'au palais de Kosyam, il ne l'a jamais quitté, étant presque son ombre.
- Le 4 août 1983, il ne faisait certes pas partie des 4 coordonnateurs de la Révolution qu'étaient le commandant Jean-BaptisteLingani et les capitaines Thomas Sankara, Henri Zongo et Blaise Compaoré, mais n'était pas loin.
- Le 15 octobre 1987, et selon les rares confidences de ce taiseux, livrées à L'écrivain Ludo Martens, il est arrivé au Conseil de l'Entente vers 18 heures, où gisaient les corps de Sankara et de ses 12 compagnons et c'est lui qui aurait ordonné de les enlever pour les ensevelir.
- En septembre 1989, il déjoue une tentative de putsch et deux acteurs de la «Rectification» sont passés par les armes.
- Big Brother au Burkina, c'est lui, puisqu'il est le patron des renseignements généraux. Il en a donné un aperçu, lors du crash du vol AH5017 d'Air Algérie en juillet dernier. Alors que les services de renseignements occidentaux en étaient encore àenvisager d'aller sur le lieu du crash, lui avait déjà les images qu'il a présentées en mondavision. Ce jour-là, tous les journalistes des médias occidentaux, journalistes, caméramen JRI... ont posé, micros calepins et Ipad... pour l'applaudir après son exposé sur le crash, images à l'appui.
- Il formait un binôme avec Moustapha Chafi pour libérer les otages occidentaux.
- Les dossiers sensibles du Libéria, de la Côte d'Ivoire, de la Sierra-Léone, il connaît.
- Lorsque Idriss Déby arrive aux portes de N'Djaména en janvier 90, qui il trouve ? Gilbert Diendéré.
Il semblait jouir du don d'ubicuité, étant partout et nulle part à la fois, tant sa discrétion le rendait invisible. Sa force résidait dans le fait qu'il ne semblait nullement être intéressé par le pouvoir. Car de tous les hommes qui entouraient Blaise Compaoré, celui qui pouvait le renverser et prendre sa place c'est bien celui que ses compatriotes désignaient sous le sobriquet de «Golf».
Mais à l'évidence, cette éventualité ne lui a jamais effleuré l'esprit et c'est sans doute aussi, l'une des clefs de sa longévité auprès de Blaise. Une longévité exceptionnelle, quand on sait que Mossi lui-même, l'ex-président Blaise Compaoré se méfiait beaucoup de sa garde rapprochée, issue de cette ethnie, qui aime, dit-on, la chefferie, le «naam». D'ici qu'un d'eux veuille devenir calife.
Et même après la chute de l'ex n°1, beaucoup de Burkinabè restaient circonspects, suspectant une révolution de palais, dans laquelle le général Diendéré tirerait les ficelles. Une hypothèse plausible, quand on sait qu'un double lien liait le Lt-cl Yacouba Isaac Zida à Diendéré : c'est lui qui l'avait fait nommé chef de corps adjoint du redouté et redoutable Régiment de sécurité présidentielle (RSP), donc Zida avait un devoir de redevabilité envers Diendéré, en plus c'était son filleul. En Afrique, le lien de sang, la famille, c'est sacré, même dans un corps d'élite comme le RSP.
Le doute a subsisté lorsque début novembre, alors que Lt-cl Zida était en audience avec l'ex-président Jean-Baptiste Ouédraogo à son QG, au CES, on a vu la silhouette longiforme de Diendéré apparaître et s'engouffrer dans l'enceinte de l'établissement. Ensuite, à la prestation de serment du président Michel Kafando, il était présent dans la salle des Banquets.
Et encore, on l'a vu trônant au milieu de ses frères d'armes, le 23 novembre dernier, lors de la cérémonie de passation de pouvoir entre le Lt-cl Zida et le président Michel Kafando. C'était au palais des sports de Ouaga 2000.
Etait-ce «Golf» qui gouvernait par procuration ?
Zida était-il l'homme-lige du général Diendéré ? Les avis étaient partagés Mais, la vérité contrastée semble être celle-ci : effectivement, Diendéré a sans doute, pesé de son poids, le 31 octobre 2014, pour faire reculer le général Nabéré Traoré hésitant, qui s'était proclamé chef d'Etat, et a ainsi entériné le choix des manifestants de la place de la Nation sur la personne de Zida.
Cependant, ce dernier, peu a peu, s'est libéré de cette figure tutélaire et a pris son indépendance. Donc, il semble avoir appliqué la règle d'ingratitude, très prisée dans ces cas d'espèce. «Tu m'a nommé, mais je ne te connais pas».
D'où sans doute, certaines décisions prises après par exemple, relatives à l'affaire Thom Sank, et autres qui n'auraient sans doute, pas été amorcées, si Diendéré jouait réellement les marionnettistes. A moins que l'armée ou plutôt le Lt-cl Zida et ses compagnons n'aient un agenda caché, qu'ils gardent jalousement.
La grande question est maintenant : que va devenir Diendéré, ce rescapé de la saga Compaoré, qui sait tout, mais qui ne parle jamais ?
Va-t-on l'éloigner en le nommant ambassadeur ? Le mettre à la retraite anticipée ?
Quoiqu'il advienne, avec ce remerciement de «Golf», c'est assurément la page Compaoré qui se tourne, car il était une des figures de proue, et toute proportion gardée, c'était le véritable n°2 du régime. Une situation qui mettra fin petit à petit, à moins d'un rebondissement, aux supputations qui se donnaient libre cours dans les gargottes de Ouagadougou, et même dans certains salons vitrés. Par d'imperceptibles glissements, l'ère Compaoré s'en s'éloigne.