Le nouveau Code électoral : Une source de conflits, selon Siaka Coulibaly

| 15.04.2015
Réagir
Le nouveau Code électoral : Une source de conflits, selon Siaka Coulibaly
© DR / Autre Presse
Le nouveau Code électoral : Une source de conflits, selon Siaka Coulibaly
Notre Temps: Quelle est votre position par rapport à l'article 135 retenu dans la version révisée du Code électoral?


Siaka Coulibaly: Je suis contre cette loi, parce que pour moi, en démocratie, on ne doit pas procéder à des exclusions par la loi! On n'a des exclusions que par la justice, que par des décisions de justice. C'est cela l'Etat de droit. Les exclusions par la loi comportent beaucoup d'arbitraire. Si on prend la dernière formule retenue, c'est une source de conflit qu'on a ouverte! Parmi les personnes ayant soutenu le projet de modification de l'article 37, il y a ceux qui ont fait aussi le 30 Octobre! Et je vous rappelle que Roch Marc Christian Kaboré a été l'un de ceux qui ont soutenu le projet de modification. Comment cette loi va-t-elle s'appliquer? Donc on prévoit déjà qu'il y ait de l'arbitraire. C'est-à-dire que le Conseil constitutionnel va trouver des raisons pour empêcher certains d'aller aux élections et laisser d'autres aller aux élections. Par contre, si l'on était allé par la justice, on établit la complicité ou la culpabilité de certains, le juge les condamne et dans les conséquences de la condamnation, il y a l'inéligibilité. Et là personne ne peut se plaindre. Donc c'est pour cela que moi je ne suis pas d'accord pour une exclusion par la loi, d'autant qu'elle est anti-constitutionnelle et anti-charte de la Transition. En tant que juriste, je ne peux me conformer à des décisions qui répondent à des calculs politiciens et qui contredisent la loi. Les auteurs de la loi ont essayé de se basersur la Charte africaine de la démocratie des élections et de la gouvernance, mais c'est une exploitation éclectique. Parce que dans l'article 23 qui établit les critères d'un changement anti-constitutionnel de régimes, il y a le push et le coup d'Etat aussi. Et le 30 octobre, dans notre définition, est un changement anti-constitutionnel de régime, d'un gouvernement élu. C'est pour éviter cela que moi je refuse souvent de recourir à la Charte, parce qu'elle vient contredire ce que nous avons fait le 30 octobre. Ceux qui ont fait le 30 octobre devraient se méfier de la Charte africaine, parce que si l'on va devant la Cour africaine des Droits de l'homme ou la Cour de justice de la CEDEAO, nous sommes automatiquement condamnés. Et ce sera par de vrais juristes et non des juristes soumis à un pouvoir politique. Moi dans mes argumentations, de façon un peu pas trop normale, je ne fais pas trop souvent cas de la Charte. Certains lisent la Charte et prennent la partie qui les intéresse, qui concerne Blaise Compaoré, et laissent la partie qui nous concerne, nous, parce qu'on estime que c'est juste d'avoir fait le 30 octobre. Mais selon la loi, ce n'est pas juste. La loi, ce n'est pas le bon sens, c'est ce qui est écrit. Donc si l'on va sur ce terrain, on peut se retrouver en difficulté. Et c'est pour éviter d'aller dans des difficultés juridico- politiques que moi je dis que la justice est la façon la plus directe de régler la question.

Cette loi, vous donne-telle l'impression que c'est une chasse aux sorcières qui est ainsi ouverte?

Bien sûr! Ce ne serait pas une chasse aux sorcières si c'était devant la justice. Je vais vous prendre un exemple. L'exclusion telle que formulée dans la loi, ne touche que des acteurs politiques, ceux qui veulent se présenter aux élections. Mais ceux qui ont tiré sur les jeunes le 30 octobre, qu'est-ce qu'on en fait? Est-ce que la maman d'un jeune qui est mort le 30 octobre trouve son compte dans cette formulation de la loi? Non! Celui qui a tué l'enfant n'est pas touché! Les politiciens ne font que régler leurs comptes sur la base de ce qui s'est passé le 30 octobre, mais moi je ne suis pas satisfait. Voilà pourquoi je ne suis pas d'accord!

Donc pour vous, à la place de cette loi, on doit...

Ouvrir des poursuites! Les crimes de sang et ceux économiques, on doit les ouvrir maintenant. A ce moment, tous ceux qui se sont adonnés à des actes criminels passent devant la loi. Ceux qui ont besoin de se présenter à des élections mais qui sont condamnés, automatiquement, ne pourront plus. Ceux qui sont coupables mais qui ne veulent pas se présenter, ils sont quand même condamnés. Parce que dans cette formule, il ya beaucoup qui s'en sortent. S'ils ne veulent pas se présenter, ils sont tranquilles.

Certains analystes voient en cette loi des similitudes avec l'article 37 au regard de tout ce que ça peut provoquer. Quel commentaire?

Cette loi a la même charge conflictogène que la modification de l'article 37. La modification de l'article 37 excluait aussi beaucoup de gens. Si Blaise Compaoré restait 15ans de plus, cela ferait une absence de perspectives pour bon nombre d'acteurs politiques. C'est ce qui a amené à l'insurrection de fin octobre 2014. Donc en excluant maintenant avec le nouveau Code, ils ont un fond pour agir et c'est ça que moi je ne voulais pas que l'on donne.

Le jour du vote au Conseil national de la Transition (CNT), des organisations de la société civile pro modifications se sont érigées en Forces de l'ordre cassant à coups de gourdins les antimodifications. Quel commentaire?

Nous sommes dans une situation que je qualifie de recul par rapport à la situation qu'on vivait sous Blaise Compaoré. Sous Blaise Compaoré, on avait une partie de la société civile qui soutenait de façon silencieuse le pouvoir en place. Mais elle se gardait bien d'attaquer ceux qui défendaient la démocratie. Des activités étaient menées contre la modification de la Constitution, mais nous n'étions pas du tout attaqués. Sous la Transition, on assiste à une autre situation où une partie de la société civile se donnant un rôle moralisateur pense être en droit d'attaquer ceux qui, pour eux, ne sont pas favorables aux décisions de la Transition. Et je considère cela comme un recul. Une Transition qui était supposée nous faire avancer démocratiquement, en réalité, nous avons eu des reculs. Et c'est ce que l'on a vu le jour du vote, entre autres manifestations.

Ces jours-ci, il est procédé à l'arrestation de certains responsables de l'ancien régime avec différents chefs d'accusation. N'est-ce pas déjà la chasse aux sorcières?

Je ne peux pas qualifier cela de chasse aux sorcières. Si cela se situe dans la procédure judiciaire, il n'ya rien à dire. Parce que dans la procédure judiciaire, il y a des garanties que ceux qui ne sont pas coupables seront reconnus non coupables et ceux qui sont coupables sont reconnus comme tels. De ce point de vue, au début de la procédure, nous ne pouvons pas déjà dire que c'est une chasse aux sorcières. Les gens seront entendus, et les principales raisons ce sont les nécessités d'enquêtes qui ont été invoquées pour procéder à l'arrestation de ces personnalités sous Blaise Compaoré. Donc les enquêtes vont suivre leur cour et on verra si c'est une inculpation ou un non lieu qui sera prononcé.

Des sondages ont été réalisés à propos de la présidentielle et ont d'abord placé Zéphirin Diabré en tête et ensuite Roch Marc Christian. Un commentaire?

Je suis très supporter des sondages comme technique de collecte de l'opinion. Ce sont des outils indispensables à la démocratie, parce que permettant de lire l'évolution de l'opinion, des intentions par rapport aux élections, aux hommes politiques, aux différents programmes, ... C'est une action que je soutiens énormément dans son principe, en espérant que la façon de faire va s'améliorer au fur et à mesure et que l'on aura à travers ces sondages une vue de comment les Burkinabè entendent désigner leur président. L'un des avantages des sondages est qu'ils permettent de prévenir le vol des élections. Si on voit qui sont tout le temps en tête et après que c'est celui qui était le dernier qui est en tête, ça pose des problèmes. Donc les sondages permettent de baliser la situation à l'arrivée.

Si vous dites que la nouvelle version du Code est susceptible de provoquer des conflits, ce sera du travail supplémentaire pour la Commission de réconciliation nationale des réformes (CRNR)!

La Commission était chargée de faire la vérité, la justice et la réconciliation, mais elle n'a pas le pouvoir de s'en saisir. C'est ce que le Conseil constitutionnel a supprimé. Donc aujourd'hui, même s'il y a des massacres, la CRNR ne peut pas se saisir de ces cas le Conseil constitutionnel lui ayant retiré cette compétence. Un autre aspect, c'est que la CRNR devait proposer des modifications dans le Code électoral, et voilà que c'est déjà adopté! Pareil pour la Constitution: rien n'a été prévu comme mécanisme de mise en œuvre des projets que la commission va proposer. Un référendum ou une Assemblée constituante, ce sont les deux techniques pour adopter une nouvelle Constitution. On n'en a pas prévu!

Interview réalisée par Boureima DEMBELE

Publicité Publicité

Commentaires

Publicité Publicité