D’abord, il y a les familles de ceux qui ont porté l’insurrection et qui y ont laissé la vie. Egalement, les blessés. Ceux-ci reprochent à la Transition de n’avoir pas rendu justice aux martyrs. Elle s’est attelée à vouloir organiser des élections libres, transparentes et acceptées par tous. Une mission qui semble impossible, vu les gesticulations des derniers moments dans le microcosme politique.
Il y a les partenaires sociaux, les organisations sociales et de travailleurs. Elles se disent également déçues de la Transition qui n’a même pas daigné porter une attention particulière à sa plate-forme minimale. Elles se sont battues pour chasser Blaise Compaoré du pouvoir pour un avenir radieux pour tous, et voilà qu’elles parlent d’un recul par rapport à certains acquis engrangés sous le régime déchu.
Les partis politiques, notamment ceux de l’ex-CFOP, le Chef de file de l’opposition politique, vont également désenchanter. Il va être presque dur d’écarter de la compétition ceux par qui le Burkina a failli basculer dans le chaos. Déjà, ce sont eux qui se font menaçants. Mais ce sont les partis membres de l’ex-opposition qui en sont comptables.
Finalement, il y a le peuple, celui qui a subi 27 ans de gestion clanique des affaires et qui avait cru aux fruits de l’insurrection que devait porter la Transition.
Ce qui a été à l’origine de cette déception, c’est qu’après le départ de Blaise Compaoré, la classe politique, notamment le CFOP d’alors n’a pas pris ses responsabilités. C’est vrai que l’insurrection avait pour but d’empêcher la révision de l’article 37 et que la fuite de Blaise Compaoré a surpris tout le monde mais elle devait s’organiser pour gérer les affaires. Le pouvoir était donc versé dans la rue.
Sentant cela, le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) a dépêché (ce sont des élucubrations) un de ses éléments, le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida (il semble qu’il était en son temps l’œil et l’oreille du chef d’état-major particulier de la présidence du Faso et vrai chef de la troupe, le général Gilbert Diendéré au sein du régiment) saisir Maître Aliboron. Ainsi, les dégâts pouvaient être limités pour eux et même qu’il fallait seulement un petit coup de barre pour que le système continue de gérer la république.
Aidé par les jeunes insurgés qui ont préféré un ‘’camarade de jeu’’ (ils sont de la même génération que Yacouba Zida) qui est arrivé avec un langage révolutionnaire à un ‘’tonton’’, le Chef d’état-major général des Armées, à qui effectivement le pouvoir devait échoir au cas où c’est l’Armée qui était appelée dans la conduite des affaires, Isaac Zida s’est même imposé à toute l’Armée qui l’a plébiscité pour ainsi dire. Le général Honoré Nabéré Traoré, le Chef d’état-major général des Armées et officier le plus gradé dans le grade le plus élevé, qui s’était autoproclamé Chef de l’Etat la veille, a été débouté par la hiérarchie militaire au profit du lieutenant-colonel Zida.
Malheureusement, la Transition n’avait pas de feuille de route claire. Se ravisant, les partis politiques de l’ex-CFOP et certaines OSC vont batailler ferme pour récupérer le rôle de Chef de l’Etat des mains des militaires pour le confier à un civil ‘’recruté’’ après appel à candidatures. Mais ces derniers ne seront pas éloignés, puisque, finalement, ayant lâché Blaise Compaoré et limité les dégâts en ce qui concerne les morts, les militaires ont été associés à la gestion du pouvoir d’Etat, sous le prétexte qu’elle est une composante des forces vives. Isaac Zida récupérera le poste de Premier ministre, chef du gouvernement. Mais en réalité, c’est parce que les civils eux-mêmes redoutaient qu’ils soient court-circuités par un autre coup où l’Armée s’emparerait seule du morceau.
On a donc ménagé toutes les susceptibilités, puisqu’il y avait un équilibre de la terreur. Pour une fois, l’Armée avait pu mesurer la force de frappe d’une jeunesse déterminée. Elle ne pouvait donc pas prendre le risque de s’accaparer du pouvoir, surtout qu’elle n’en était même pas le propriétaire. On a donc laissé tous ceux qui géraient les affaires pendant le régime déchu en place. Exceptés les mouvements, côté Administration territoriale et Sécurité.
Aux commandes et bénéficiant du soutien de ses frères d’arme, Zida n’a donc pas opéré (ou laissé opérer?) les mesures conservatoires qu’il eut fallu prendre en pareilles circonstances. Contents de partager le pouvoir, les acteurs (rassemblés au sein du Conseil national de la Transition les syndicats en moins) ont oublié de s’attaquer aussitôt aux mesures à prendre pour la sérénité du processus de Transition qui venait ainsi d’être mis en route.
Pour sa part, le Vieux (le président Michel Kafando), appelé pour assumer les fonctions de Chef de l’Etat au pied levé, était à prendre la mesure de ses nouvelles fonctions.
De son côté, le Chef de l’Etat devenu Premier ministre, Isaac Zida, au contact de ses frères civils dont il écoutait les aspirations, multipliait les promesses à travers ses déclarations. Du volontarisme. Très vite, cela va l’isoler (au propre comme au figuré) de ses frères d’arme, notamment ceux du RSP, lorsqu’il dira, de façon lapidaire, que si tant est que la jeunesse veut de la dissolution de celui-ci, ce sera chose faite. Erreur. Car, depuis cet instant, il avait signé sa rupture de ban avec ses frères qui lui reprochaient, en filigrane, de s’être affranchi d’eux pour les abattre, eux qui l’y ont envoyé sécuriser leur avenir.
La conséquence de cette gestion bâtarde et de pilotage à vue, la Transition va laisser beaucoup de chantiers non démarrés. Il faut surtout éviter de se précipiter maintenant. Cette situation a également fait que les ex-dirigeants et leurs victimes d’hier ont continué à se côtoyer, sans repentir réel. Ce qui fait que, aussi extraordinaire que cela puisse paraître, ce sont eux qui se font menaçants sur la suite de la Transition et l’avenir du pays.
Touchons du bois.
Lougouvinzourim