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« La constitutionnalisation de l’ASCE est une volonté politique du refus de la corruption »

| 09.11.2015
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La communauté burkinabè de France a pu s’imprégner, le jeudi 7 mai 2015, de la marche du processus de transition, grâce à une conférence animée par le professeur Ibriga, dans les locaux de l’ambassade du Burkina Faso à Paris. Cette conférence avait pour thème « Diagnostic de la Transition et attentes populaires au Burkina Faso », et était organisé à l’initiative du Collectif pour la Confiscation de la Démocratie. Photo d'archives, utilisée à titre d'illustration
© Ambassade
La communauté burkinabè de France a pu s’imprégner, le jeudi 7 mai 2015, de la marche du processus de transition, grâce à une conférence animée par le professeur Ibriga, dans les locaux de l’ambassade du Burkina Faso à Paris. Cette conférence avait pour thème « Diagnostic de la Transition et attentes populaires au Burkina Faso », et était organisé à l’initiative du Collectif pour la Confiscation de la Démocratie. Photo d'archives, utilisée à titre d'illustration
L’ASCE est devenue l’Autorité supérieure de contrôle de l’Etat et de Lutte contre la Corruption (ASCE-LC) et a été constitutionalisée. A travers cet entretien, le président de l’ASCE-LC, Luc Marius Ibriga, livre les innovations et les défis de cette institution.


Sidwaya (S.) : Le CNT vient d’adopter la loi portant réorganisation de l’ASCE. En lieu et place de l’ASCE, l’institution s’appelle désormais ASCE-LC. Quels sont l’esprit et la portée de cette loi qui constitutionalise l’institution ?

Luc Marius Ibriga (L.M.I) : Je dirai que l’inscription de l’ASCE dans la Constitution est le signe d’une véritable volonté politique pour une culture du refus de la corruption. Si vous prenez notre Constitution, dans son préambule au cinquième considérant, il est dit qu’on est déterminé à promouvoir l’intégrité, la transparence, la probité, la reddition de compte et quand on regarde dans notre Constitution, il n’y avait pas d’institution chargée de mettre en œuvre ces valeurs cardinales. Donc en inscrivant l’ASCE dans la Constitution, le CNT et les autorités burkinabè donnent un message politique fort pour leur engagement dans la lutte contre la corruption. En second lieu, cette inscription a pour but de mettre l’ASCE à l’abri des contingences des majorités des circonstances. L’ASCE étant simplement dans la loi, cela veut dire qu’une majorité de passage peut décider de sa suppression. Maintenant que l’ASCE est inscrite dans la Constitution, il y a des procédures plus draconiennes qui sont prévues pour réviser la Constitution, et il y a aussi le fait que le Conseil constitutionnel a son mot à dire, donc c’est une garantie pour la pérennité de l’institution. Troisièmement, c’est pour son autonomie financière. Faire de l’ASCE une institution de la République, c’est considérer que c’est un élément essentiel dans le fonctionnement du dispositif de l’Etat et c’est lui donner une certaine autonomie. Or, lui donner l’autonomie financière et autre suppose qu’elle soit une institution parce que depuis les décisions du Conseil constitutionnel de 2005 concernant le CSC, on a compris que pour pouvoir bénéficier de ce statut d’institution de la République, il faut que l’on soit inscrit dans la Constitution. Tous ces éléments permettent véritablement de faire en sorte que l’ASCE ne soit plus dépendante de l’exécutif puisqu’en devenant une institution de la République, elle n’est plus sous l’autorité hiérarchique du Premier ministère. Elle est en passe de pouvoir maintenant appliquer ses contrôles sur l’ensemble de la société burkinabè puisque cela ne sera plus simplement les administrations publiques mais la lutte contre la corruption va toucher les secteurs du privé et des organisations de la société civile.

S.: Quelles sont les innovations majeures contenues dans cette loi ?

L.M.I. : Dans la loi organique il y est prévue, beaucoup d’innovations. L’une des premières innovations majeures pour la question de l’indépendance de l’ASCE, c’est que le contrôleur général d’Etat ne sera plus nommé directement par le gouvernement ou par les autorités politiques de l’exécutif, mais après un appel à candidature et il sera désigné par un collège constitué d’éléments du secteur public, du privé, de la société civile. Le président du Faso se chargera de le nommer, il aura un mandat unique de cinq ans. Tout cela aussi pour éviter qu’on rentre dans un système où quand vous devez solliciter un second mandat, vous cherchez à plaire aux uns et aux autres. Non, c’est un mandat unique de cinq ans, au bout de cinq ans, il s’en va et on fait appel à une autre personne. Alors, dans cette loi organique, ce qui est prévu aussi c’est que les contrôleurs d’Etat vont obtenir le statut d’officier de police judiciaire afin de pouvoir véritablement poursuivre et faire en sorte que les investigations et la lutte contre la corruption soient une réalité. En troisième lieu, il y a le fait que l’ASCE peut se constituer partie civile dans une affaire pour pouvoir suivre un dossier et faire en sorte que le dossier puisse avancer. Sur un certain nombre de points, du point de vue de l’organisation, la nouvelle loi de lutte contre la corruption, la loi 04/2015 a donné à l’ASCE de nouvelles prérogatives., notamment c’est à l’ASCE qu’il revient de recevoir et de traiter les déclarations de patrimoines des personnalités. Comme la loi a été large et va jusqu’au maire, au premier ou au deuxième adjoint du maire, c’est une tâche nouvelle qui est confiée à l’ASCE à ce niveau. Mais l’innovation majeure, comme mentionné dans le titre de la structure, c’est qu’il y aura un département chargé des enquêtes et des investigations et l’ASCE va s’ancrer résolument dans la lutte contre la corruption.

S. : Quelles sont vos attentes au regard de la nouvelle configuration de l’ASCE ?

L.M.I. : Les attentes, c’est véritablement que les premières autorités mettent les moyens pour permettre à l’ASCE-LC de pouvoir être effective puisque la loi dit bien que c’est au bout d’un an que l’ASCE-LC devrait être opérationnelle. Or, qui dit ASCE-LC dit grand investissement tant en termes de ressources humaines qu’en termes de moyens matériels. Je prends simplement l’exemple de la déclaration de patrimoines. Cela suppose non seulement l’acquisition de moyens informatiques et de logiciels pour la gérer mais également de personnes pour le faire, puisque la loi fait simplement obligation de publier la déclaration des biens des membres de l’exécutif et du législatif. Cela veut dire que l’Autorité supérieur de contrôle de l’Etat et de Lutte contre la corruption devra veiller à la confidentialité des déclarations des autres personnes puisque la loi dit simplement qu’il y a un certain nombre de personnes qui peuvent demander qu’on leur communique le contenu. Donc il faut que l’on travaille à assurer la confidentialité et cela demande des moyens. De la même manière, en ce qui concerne les départements des enquêtes et des investigations, là aussi il est prévu qu’en plus des contrôleurs d’Etat, il y ait le recrutement d’enquêteurs, et cela demande des ressources humaines. Le département contrôle et audit, la nouvelle loi prévoit que le contrôleur d’Etat sera assisté d’assistants de vérification. Donc cela nécessite du personnel aussi à acquérir sans compter les autres aspects en ce qui concerne les personnels d’appui et de soutien en matière de communication, en matière de gestion administrative, etc. Tout cela suppose que dans l’année 2016, il y aura un combat pour qu’en fin d’année, l’ASCE-LC soit opérationnelle.

S. : Avec la constitutionnalisation de l’ASCE-LC, comment va se présenter concrètement la nouvelle ASCE en termes d’autonomie de gestion et de renforcement des capacités ?

L.M.I. : Disons que normalement l’ASCE devrait avoir un budget autonome qui lui permette de gérer ses dépenses et de rendre compte, comme toutes les institutions de la République et dans la nouvelle loi nous avons mis une disposition qui, si elle passe, serait une bonne chose. Pour une institution de lutte contre la corruption, l’absence d’autonomie financière est un goulot d’étranglement, un boulet aux pieds parce que si on ne veut pas que vous fassiez des enquêtes, si on ne veut pas que vous alliez regarder à quelque part, on refuse de vous donner les moyens, en ce moment vous avez la volonté mais vous ne pouvez pas y aller. D’où notre idée que 0,01/100 du budget national nous soit consacré pour permettre à l’ASCE d’avoir véritablement une coudée franche pour la lutte contre la corruption.

S. : La lutte contre la corruption a été jointe à votre institution. En quoi cela va véritablement aider à combattre la corruption au Burkina Faso ?

L.M.I. : Je pense qu’on a voulu seulement extérioriser quelque chose qui existait parce que la lutte contre la corruption était l’une des attributions de l’ASCE. Mais, depuis 2007 que l’ASCE existe jusqu’à maintenant, elle a fait en matière de lutte contre la corruption plus de sensibilisation que d’investigation. Aujourd’hui, on s’est dit qu’il faut que l’on change de paradigme. Il faut que l’ASCE soit active dans le cadre de l’investigation pour la lutte contre la corruption et non simplement faire des conférences pour sensibiliser les gens, mais traquer la corruption et pouvoir faire des investigations. D’où l’idée de la création d’un département des enquêtes et investigations et le recrutement de personnels chargés de faire ces enquêtes sur le terrain. Les contrôles que l’ASCE faisait vont continuer mais en plus de cela, quand nous allons voir des anomalies maintenant, les dossiers vont échoir au département chargé des enquêtes et investigations. Ce département va approfondir cela et au moment où les contrôleurs d’Etat et les enquêteurs auront la qualité d’officiers de police judiciaire, il pourra remettre au juge un document qui est rédigé et fait dans les règles de l’art judiciaire pour permettre que cela accélère la sanction. D’autant plus que maintenant l’ASCE va avoir des interlocuteurs directs, puisque des pôles économico-financiers vont être créés à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso. Ce qui permettra à l’ASCE d’aller directement vers ces pôles-là.

S. : Quels sont les défis actuels et futurs de l’ASCE-LC ?

L.M.I. : C’est le défi de l’opérationnalisation. Ce qui est prévu comme innovation demande beaucoup de ressources financières et humaines. Le défi c’est de pouvoir mettre en œuvre cette loi pour véritablement rendre l’ASCE opérationnelle. Pour cela, c’est le fait non seulement de l’ASCE mais de tous les citoyens et de toutes les organisations de lutte contre la corruption parce que véritablement l’ASCE-LC intègre maintenant toutes les composantes de la société. Nous avons tous intérêt à ce que l’ASCE-LC soit opérationnelle au plus vite pour que le Burkina Faso s’engage de façon résolue dans la lutte contre la corruption. Donc ce n’est pas une question simplement des responsables de l’ASCE pour assurer cette lutte mais c’est la responsabilité du gouvernement, des citoyens et aussi des partenaires techniques et financiers qui posent la question de la lutte contre la corruption comme étant une exigence primordiale. Il y a aussi besoin à leur niveau d’un accompagnement pour permettre à l’ASCE d’avoir un personnel dont les compétences sont avérées et qui soit efficace sur le terrain de la lutte contre la corruption.

S. : Que dites-vous du verrouillage de l’article 37 de la Constitution et la suppression du Sénat ?

L.M.I.: Je pense que c’est une action à faire dans la mesure où quand on regarde dans l’histoire politique du Burkina Faso, la limitation des mandats était un élément qui avait même la valeur d’une coutume. Puisqu’après l’expérience que nous avions eue au Burkina Faso de Maurice Yaméogo à la première République, les autres Républiques ont toujours limité le nombre de mandats. Et la Constitution de la IVe République dans sa version originale en faisait autant. Aujourd’hui, on a fait que revenir à la coutume qui a existé depuis la IIe République. Mais compte tenu du fait que des personnes ont cherché à tout prix à attenter à cette coutume, contrairement à ce qui s’est passé sous la IIe ou à la IIIe République ou même au début de la IVe République, les députés du CNT ont fait un double verrouillage. Cela, pour que non seulement le mandat soit limité mais en plus qu’on ne puisse même plus revenir. L’expérience a montré qu’il fallait être rigide pour éviter des questions d’interprétation. C’est notre contexte et le moment qui l’imposent. Pour le Sénat, je pense que véritablement, il n’était pas utile d’autant plus que c’était une opération en vue d’arriver aux fins du déverrouillage de l’article 37. Dans la perspective d’une Constitution pour la Ve République, je dis que notre pays a besoin d’une institution de résolution de crises parce que toutes les crises qui se sont passées au Burkina Faso n’ont jamais été résolues par les institutions de la République. Elles sont résolues par les institutions que la République ignore à savoir, les forces religieuses, les forces coutumières et un certain nombre de leaders d’opinion. Cela permettra peut-être de résoudre le problème de la chefferie traditionnelle et de son statut.

S. : La prorogation du mandat du CNT est-elle légale ?

L.M.I. : Oui ! Disons que de ce point de vue, il y a eu en fait, pour moi, un formalisme juridique parce que la Charte a bien dit que le mandat est fait pour un an à partir de la prestation de serment du président du CNT. Or, les évènements qui ont eu lieu font qu’on va dépasser cette période. Du point de vue formel, cela veut dire que si on arrive à cette période-là on tombe dans un vide juridique, d’où la nécessité de réviser. Mais pour ma part, je pense qu’on aurait pu faire l’économie de cette révision parce qu’en dessous de l’article 20, il y a l’article 21 qui dit que les institutions de la Transition restent en place jusqu’à l’installation de nouvelles institutions. On aurait pu simplement demander au Conseil constitutionnel de constater qu’il y a eu cas de force majeure compte tenu du coup d’Etat. Mais pour éviter, semble-t-il, toute interprétation, on a sacrifié au formalisme juridique.

S. : Quel message avez-vous à l’endroit des hommes politiques et aux électeurs durant cette campagne électorale au Burkina Faso ?

L.M.I.: Il faut que nous soyons exigeants avec nous-mêmes et que nous visions l’excellence démocratique, c’est-à-dire il ne faut pas que nous fassions de l’à-peu-près. Ces élections vont être les plus observées et les plus concurrentielles et donc, il faut que nous fassions en sorte qu’elles soient réussies pas seulement pour nous mais pour les générations futures. Nous devons travailler à instaurer une administration républicaine et nettoyer l’administration politisée. Si ces élections sont menées de façon transparente et régulière, il est certain que cela aura une incidence sur la construction d’une véritable administration républicaine.

Entretien réalisé
par Kowoma Marc DOH
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