Mais finalement, la thèse plausible est celle d'un problème de calendrier et... d'économie : puisque le 5 mai dernier, date à laquelle Michel Kafando devait atterrir à Paris, le n°1 français était allé chez les Arabes, vendre ses rafales pour un coup de 6 milliards d'euros, une bagatelle qui vaut bien le report d'une visite. Depuis ce 1er juin 2015, c'est désormais chose faite : le président de la transition burkinabè a été reçu par son homologue français, il a eu droit aux honneurs en pareil cas, et à la poignée de main sur le perron de l'Elysée. ça compte une photo à la Maison Blanche, à l'Elysée ou sous les lambris dorés de Bukhingham palace.
Mais évidemment, on imagine que ce n'est pas pour ce quart d'heure de «gloire», ces conjonctions que François Hollande et Kafando souhaitent se voir : il y a sûrement la situation post-insurrectionnelle et surtout, les élections du 11 octobre, et derechef, la loi électorale querellée promulguée le 9 avril par le président Kafando. De ces sujets qui fâchent au Burkina et même sous d'autres cieux, il a en effet été question.
A l'endroit du président français et des Français, le fin diplomate devenu chef d'Etat, a mis en exergue la quintessence de ce qu'est l'insurrection des 30 et 31 octobre 2014 : elle est l'œuvre d'une maturation politique de jeunes et de femmes ras-le-bolisés par un pouvoir fossilisé, qui à coup de propagandes, de menaces à peine voilées, et de tentatives de rafistolage constitutionnel tentait de s'y maintenir.
En déboulonnant «l'homme fort» de Kosyam qui dirigera le Burkina d'une main prussienne dans un gant de velours, pendant 27 ans, le président avait oublié quasiment le B.A.BA de toute démocratie : il faut l'adhésion réelle du peuple, c'est ce qu'on appelle légitimité et être en conformité avec la loi fondamentale, dont il est d'ailleurs le premier garant. D'où la spécificité du peuple burkinabè dont a fait cas Kafando.
De la démocratie, il a été question lors du tête-à-tête Kafando-Hollande, puisque le locataire de l'Elysée en a fait cas, en évoquant le processus de transition en cours au Burkina, «conduit de façon satisfaisante». Une transition, qui doit, foi de Hollande, aboutir à des «élections transparentes et incontestables.Le Burkina Faso doit être un exemple, un exemple par rapport à ce que la démocratie doit être, et à ce que les processus constitutionnels doivent être. Et si nous sommes aux côtés du Burkina Faso, c'est parce que nous voulons que le Burkina Faso soit un exemple par rapport à ce qui se passe au Burundi».
Il n'y a pas voix plus officielle de l'Hexagone que son président de la République, et celle-ci a été limpide. De toute façon, Hollande a toujours tenu un langage de vérité aux Africains, comme le 13 octobre 2012, en RD Congo, face à Kabila. La France soutient le Burkina dans sa quête de démocratie approfondie. Elle a déjà concrètement versé 3,1 millions d'euros à la CENI pour ces élections. Mieux, elle veut en faire une sorte de grand laboratoire, en matière d'approfondissement de la démocratie. D'où l'exemplarité du Burkina, qui doit servir de boussole à un pays tel le Burundi, où le président Pierre N'Kurunziza, avec une fébrilité de diablotin veut s'octroyer un 3e mandat. Une tentative qui avait contribué à emporter Blaise Compaoré du Burkina Faso.
Quid de l'article 135 de la loi électorale au Burkina Faso? Officiellement, la communauté internationale, y compris la France, prônent l'inclusion, or la loi électorale expurge, quasiment, les leaders qui comptent, du moins, ceux qui auraient pu compétir à la présidentielle de la course. La France officielle estime-t-elle que cette loi est crisogène ou pas ? Qu'a pu dire Hollande à Kafando sur ce point, les yeux dans les yeux, dans le secret de l'Elysée ?
Vous avez dit exemplarité du Burkina Faso ?
Relativement aux insurgés des 30 et 31 octobre qui déboulonnèrent Blaise, ou par rapport aux élections du 11 octobre ? Peut-être les deux à la fois. Tout président qui, au terme de son mandat constitutionnel, voudrait avoir un bonus pour terminer ses chantiers, devrait se rappeler du Burkinabè Blaise (devenu mauvais exemple, malgré lui) et se raviser sous peine d'être chassé par ses compatriotes.
Quant au modèle démocratique, il faudra attendre comme un film, le clap de la fin, c'est-à-dire le 11 octobre, avant peut-être de décerner cette palme. On saura alors de quoi aura accouché cette transition, née de l'insurrection. Un enfant normal ? Un mogoloïde? Une fausse couche ? Les paroles de Hollande se seront alors accomplies ou pas.
Yacoub GORO