Bien des Burkinabè sont dans l'ignorance des motivations réelles qui ont conduit le RSP et la hiérarchie militaire à exiger le départ de Zida
L'on peut déjà saluer le souci du président de parvenir à «un compromis dynamique » en recourant à une large concertation pour dissiper les gros nuages qui planent sur la transition. Mais dans le même temps, l'on peut nourrir des appréhensions liées au fait que ce Cadre de concertation risque d'accoucher d'une souris et ce, pour plusieurs raisons. D'abord, le recours à la formule des cadres de concertation qui n'est pas mauvais en soi, s'est toujours révélé improductif pour résoudre véritablement les problèmes politiques au Burkina. La meilleure illustration de ce constat est le Collège des sages. Cette structure, en effet, avait abattu un excellent travail pour tirer notre pays de la mauvaise passe dans laquelle il se trouvait, suite à l'assassinat du journaliste Norbert Zongo. Une des propositions majeures de ce Collège était, entre autres, la dissolution du RSP. La suite est connue. Rien n'avait été fait dans ce sens. Ce manquement rattrape le pays aujourd'hui.
La deuxième raison qui nourrit nos appréhensions est liée au fait que chacune des deux parties en conflit, c'est-à-dire le RSP, la hiérarchie militaire et le camp de Zida semble n'être pas prête à lâcher prise. Dès lors, l'on peut se poser la question de savoir ce que peut faire Michel Kafando pour désamorcer cette bombe militaro-militaire, dont la probabilité qu'elle explose avant la fin de la transition est très forte. Cette bombe est d'autant plus préoccupante que bien des Burkinabè sont dans l'ignorance des motivations réelles qui ont conduit le RSP et la hiérarchie militaire à exiger le départ ici et maintenant de Zida et des autres militaires du gouvernement et ce, à trois mois seulement de la tenue des élections. Et pour ne pas arranger les choses, Michel Kafando n'en a pas pipé mot dans son adresse à la nation, laissant ainsi dame rumeur s'emparer de toute la cité. Mais l'on peut supposer que si Michel Kafando n'a toujours pas accédé à la requête de l'armée dont il est de par la Constitution, le premier chef, c'est qu'il pourrait n'avoir pas été convaincu par les arguments des détracteurs de son Premier ministre. Si cela est avéré, il devrait s'arracher les cheveux dans les jours à venir pour faire cohabiter la chèvre et le chou. Y parviendra-t-il ? L'on peut en douter au regard de ce qui suit : Yacouba Isaac Zida, peut-on se risquer à dire, avait été imposé à la transition, comme président du Faso, par des acteurs cachés dont l'ambition était de procéder à une révolution de palais. Il avait fallu toute la fermeté de la communauté internationale pour déjouer ce plan. Après cet échec, ces acteurs de l'ombre sont revenus à la charge en manœuvrant pour que Zida s'empare de la tête du gouvernement, à charge pour lui de jouer leur jeu. Seulement, l'on peut avoir l'impression que, chemin faisant, Zida a eu l'outrecuidance et la témérité de s'être émancipé de ses mandants, en posant certains actes et en tenant des propos susceptibles de porter atteinte à leurs intérêts. Dès lors, il était devenu un«traître» dont il faut se débarrasser au plus vite, pour qu'il ne franchisse pas la ligne rouge. Après donc l'effondrement du deal, il faut passer à l'action. Mais le faire sous l'estampille du seul RSP pourrait ne pas passer aux yeux de l'opinion nationale.
Ce qui préoccupe aujourd'hui, est de savoir comment sauver le Burkina d'un éventuel chaos
La trouvaille ingénieuse est de faire porter le dossier par l'ensemble de l'armée. Là aussi, l'on peut dire que même si l'emballage est plus présentable, il n'en demeure pas moins que l'exigence qu'il renferme peut être perçue comme un coup d'Etat qui ne dit pas son nom. Mais, même la République la plus digne du Gondwana ne peut accepter cela. Ce n'est donc pas le Burkina post-insurrection, qui a payé un lourd tribut pour se débarrasser de l'un des hommes les plus forts des Républiques bananières d'Afrique, qui va l'accepter « sans murmure ni plainte ». En réalité, cette exigence politisée de l'armée montre à souhait que le peuple burkinabè a mal à sa Grande muette. Et ce mal date de depuis 1966. Au fil des années, il s'est empiré. Seul un remède de type républicain peut le soigner. Tout le reste n'est que du saupoudrage. C'est pourquoi l'on peut parier que le renvoi éventuel de Zida et des autres militaires du gouvernement n'est pas une garantie que l'armée va désormais se consacrer à ses tâches, telles que définies dans la Constitution. Il le faut pourtant, si l'ambition des uns et des autres est de substituer au système Compaoré une démocratie forte. En attendant que cela se réalise un jour, l'on peut dire que pour le moment, c'est le RSP qui se frotte les mains, pour avoir réussi à faire en sorte que la question de sa dissolution ne soit plus à l'ordre du jour. Ce qui préoccupe, en effet, aujourd'hui, est de savoir comment sauver le Burkina d'un éventuel chaos. Cette éventualité pourrait être le fait« d'aventuriers mus par les forces du mal » pour reprendre les termes de Michel Kafando. Ce dernier a donc raison de dire « qu'ils en répondront devant l'histoire et devant les juridictions internationales ». Mais cet avertissement solennel pourrait ne pas les dissuader de passer à l'acte. C'est pourquoi l'on peut avoir envie de dire au président que le plus sûr moyen de conjurer cette éventualité est le peuple burkinabè. C'est le seul qui puisse apporter la réplique qui sied à tous ceux qui, pour préserver leurs intérêts, n'auront aucun scrupule à brûler le pays.
« Le Pays »