Un vélo tente une échappée sur l’avenue Charles de Gaulle, mais bien vite sa solitude le rattrape et il est contraint d’emprunter un chemin détourné. Point de course cycliste en ce lendemain de fête, et pourtant le grand axe de l’est ouagalais est complètement bouclé, son pied barré d’un épais tapis rouge.
Sous un ciel bleu immaculé, le chef du gouvernement est le premier à fouler la protocolaire carpette. Quelques minutes plus tard, les sirènes des motards de la gendarmerie nationale retentissent et annoncent l’arrivée imminente de la rutilante Mercedes présidentielle aux vitres teintées. Michel Kafando en descend et s’arrête un long instant pour savourer l’un de ses derniers Ditanyé en tant que chef de l’Etat, à quatre jours de la passation de pouvoir historique avec le nouvel élu Roch Marc Christian Kaboré.
Le président de la Transition s’incline une dernière fois devant les soldats de la Garde nationale, avant de poursuivre son chemin jusqu’à la tribune de fortune installée juste à l’entrée du campus. Il prend place sur son fauteuil de vert et d’or, confortablement assis entre Yacouba Isaac Zida et le ministre des Enseignements secondaire et supérieur, Filiga Michel Sawadogo. La cérémonie peut commencer.
« Une icône scientifique, culturelle et politique mondialement reconnue »
Le professeur Nicolas Barro lit le décret portant officiellement changement de nom, avant de céder la parole à son doyen. «La cérémonie de baptême de l’Université de Ouagadougou, au-delà de l’acte, revêt une symbolique très importante», débute le Pr Rabiou Cissé. «Elle traduit la volonté de nos plus hautes autorités (...) de marquer davantage le rayonnement et l’aura de notre temple du savoir, en l’arrimant à l’image d’une icône scientifique, culturelle et politique mondialement reconnue. Vous l’avez certainement deviné, il s’agit de notre maître, notre grand maître, j’ai nommé le Professeur Joseph Ki-Zerbo! », s’exclame sous les applaudissements le professeur en radiodiagnostic et imagerie médicale, drapé d’une longue toge pourpre et coiffé d’une traditionnelle « Oxford Cap » couleur saumon.
L’universitaire poursuit par un bref résumé de l’existence et des réalisations de son illustre prédécesseur : né le 21 juin 1922 à Toma, Joseph Ki-Zerbo fait ses classes aux séminaires de Pabré et de Faladié, avant d’obtenir son baccalauréat à Bamako en 1949. Il poursuit de brillantes études à Paris, et devient en 1956 le premier agrégé d’histoire africain. Le jeune marié revient ensuite en Afrique pour enseigner dans les universités de Dakar, Conakry puis Ouagadougou.
Durant sa longue carrière, il occupe également les fonctions de secrétaire général du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES), de membre du conseil exécutif de l’UNESCO, ou encore de président de l’Association des historiens africains (1975-2005). Intellectuel engagé, Joseph Ki-Zerbo est contraint de s’exiler pendant la Révolution (1984-1987), avant de fonder en 1994 le Parti pour la démocratie et le progrès (PDP) et de siéger avec l’opposition à l’Assemblée nationale. Il décède le 4 décembre 2006 à l’âge de 84 ans.
Un « défi » à la communauté universitaire
«Ce baptême est un défi à la communauté universitaire qui, désormais, doit exceller et exceller davantage dans les offres de formation et dans les productions scientifiques, afin de placer le rayonnement et la notoriété de cette université au niveau atteint par le Professeur Joseph Ki-Zerbo, avec l’espoir que les générations actuelles et à venir le dépasseront», conclut l’optimiste président d’une université qui, après 41 ans d’existence, compte aujourd’hui plus de 50 000 étudiants.
Avant de regagner son siège, le Pr Cissé s’incline devant le chevalet présentant l’immense portrait de l’auteur de L’Histoire général de l’Afrique (1978-1991), Eduquer ou périr (1990), La natte des autres(1992), A quand l’Afrique ? (2005)... Georges Alfred Ki-Zerbo, représentant de la famille et fils de feu Joseph et feu Jacqueline, décédée le 15 décembre dernier, investit alors le pupitre pour clore l’émouvante cérémonie.
«Le Pr Ki-Zerbo est le combattant pour la place de l’Afrique dans l’histoire universelle, pour l’indépendance, le panafricanisme, le développement endogène. C’est celui qui a affirmé «L’Afrique a une histoire», «On ne développe pas, on se développe» ; celui qui s’est écrié «A quand l’Afrique ?», celui qui a exhorté la jeunesse africaine en disant «Chaque génération a des pyramides à bâtir» et «Naan lara, an sarra !»*. C’est lui qui nous salue et nous accompagne ici et maintenant! »
Thibault Bluy
*« Si nous nous couchons, nous sommes morts » en langue dioula.