Sidwaya (S.) : Quel bilan faites-vous de la mise en œuvre des mesures sociales adoptées par le gouvernement en septembre 2013 ?
Lucien Marie Noël Bembamba
(L. M. N. B.) : L'adoption de ces mesures par le gouvernement procédait d'une évaluation de la situation économique, financière et sociale de notre pays. Et, manifestement, il y avait des besoins pressants aux plans économique et social. Et vous avez vu ce qu'il y a eu comme manifestation dans ce sens. La vie chère et les défis de l'emploi sont des questions cruciales auxquelles le gouvernement devait apporter une réponse urgente, malgré l'environnement international marqué par la conjoncture. Il est apparu que la persistance de cette crise avait des impacts sur le Burkina Faso. C'est pourquoi, le gouvernement a, au regard de cette situation, tout en continuant à mettre en œuvre sa politique sectorielle dans un certain nombre de domaines, pris ces mesures d'urgence, en vue d'améliorer les conditions de vie des populations. C'est en cela qu'on a pris des mesures qui consistaient à améliorer, dans l'immédiat, la situation des populations. Cela a concerné des domaines-clés comme le pouvoir d'achat, les prix des produits alimentaires et l'emploi. Aujourd'hui, le bilan est largement positif. Car, les populations ont bien accueilli ces mesures. Que ce soit au niveau des revenus, des produits alimentaires et de l'emploi, nous avons senti que cela était attendu. Ces mesures ont répondu aux besoins des populations. Nous avons pu recueillir des témoignages assez édifiants et nous pensons qu'il existe des motifs de satisfaction. C'est vrai que ce n'était pas suffisant, car, c'est sûr que nous n'avons pas pu couvrir l'ensemble des besoins mais par rapport à ce qu'on avait comme souhaits et objectifs pour impacter, dans l'immédiat, les conditions de vie des populations, nous pensons que nous avons atteint notre objectif. Cela nous enseigne qu'il faut continuer, parce que nous n'avons pas pu couvrir l'ensemble des besoins. Par exemple, toutes les demandes d'emploi n'ont pas pu être couvertes. Nous avons eu une bonne vision en prenant ces mesures sociales. Encore une fois, cela ne doit pas remettre en cause, les politiques structurelles. Pour que cela soit durable, il faut que ce soit des mesures structurelles. Ce que nous avons fait, ce sont des mesures d'urgence qui vont venir appuyer ce que nous avons comme mesures structurelles.
S. : Combien ces mesures ont-elles coûté à l'Etat en 2013 ?
L. M. N. B. : Le montant total est de 64,8 milliards de F CFA environ. Dans cela, nous avons tenu compte du manque à gagner. Nous avons été conformes et nous n'avons pas dégradé de fibre budgétaire. Nous avons fait simplement des réaménagements. Pour 2014, nous avons essayé de réintégrer les mesures sociales dans les politiques des différents ministères. Par exemple, les problèmes sociaux sont pris en compte dans le budget du ministère en charge de l'Action sociale, les boutiques-témoins dans celui du ministère en charge de l'Agriculture.
S. : Quel est le point de non satisfaction auquel le gouvernement compte apporter un coup de fouet cette année ?
L. M. N. B. : C'est l'emploi. Quand vous prenez le cas des recrutements pour les travaux HIMO (Haute intensité de main-d'œuvre), nous avons voulu couvrir pratiquement tout le territoire. Et, nous avons fait des quotas par région. Car, on avait 83 000 postes disponibles selon un certain nombre de critères. Et lorsqu'on a voulu faire le recrutement, nous avons reçu beaucoup de demandes qui n'ont pas pu être satisfaites. Le gouvernement verra comment poursuivre pour résorber ces demandes en souffrance. Il est vrai que les boutiques-témoins ont eu un grand succès, mais certains souhaitent qu'on puisse les élargir parce que nous nous sommes limités à deux produits qui sont beaucoup consommés, à savoir le riz et le maïs. Il y a des demandes, et nous essayerons de voir si nous pouvons aller au-delà de ces deux produits. Lorsqu'on a lancé l'opération, c'était pour trois mois. Et sur toutes les mesures, le cri du cœur qui est revenu, c'est qu'il faut reconduire et les maintenir. Et je pense que le gouvernement donnera sa vision sur la question.
S. : Dans le cas du budget 2014, quelles sont les actions pour aider les programmes sociaux ?
L. M. N. B. : Nous avons prévu de poursuivre certaines opérations au niveau des filets sociaux pour les personnes vulnérables. Ce sont des populations qui n'ont pas voix au chapitre et qui souffrent. Pour une question de cohésion sociale, il est important qu'on puisse s'occuper de ces personnes vulnérables. Nous avons inscrit dans le budget des moyens pour continuer la politique en la matière qui va consister en des distributions de vivres alimentaires, la prise en charge de la scolarité des enfants, l'insertion des enfants en situation de rue, la prise en charge des personnes âgées. Sur ce plan, nous avons une politique sociale que nous allons dynamiser. L'autre volet concerne les questions de création d'emplois. En particulier les travaux HIMO. Il faut que nous continuions parce que, c'est un mécanisme qui crée de l'emploi, des revenus et contribue à l'assainissement. Dans le budget 2014, nous allons poursuivre cette opération. Avec certains partenaires comme la Banque mondiale, nous allons mettre en place un projet de près de 25 milliards de FCFA sur 5 ans dans le cadre de ces travaux HIMO. Pour les boutiques-témoins, dans notre approche, c'est une formule qu'il faut maintenir. Car, c'est pour les couches les plus pauvres que nous mettons en place des boutiques-témoins. Et la situation mérite toujours que nous maintenions ces boutiques pour que les populations puissent avoir accès à certains produits. Pour la question du financement des fonds nationaux, nous allons poursuivre l'opération, mais nous devons aller au-delà de la question de dotation financière parce qu'en discutant avec les bénéficiaires, il se pose la question des garanties et des taux d'intérêt. En 2014, en plus des dotations, nous allons nous attaquer à ces deux questions. A ce propos, nous verrons comment revoir les taux d'intérêt et les systèmes de garantie pour faciliter l'accès. Nous allons poursuivre le renforcement, de sorte à répondre à l'attente des populations.
S. : Concernant la reprise du dialogue social, que va mettre concrètement le gouvernement sur la table des négociations ?
L. M. N. B. : Avec les partenaires sociaux, nous avons deux grands dossiers. Il y a les dossiers traditionnels, parce que chaque année, les partenaires sociaux nous soumettent leur cahier de doléances, énumérant des points sur lesquels ils souhaitent que l'Etat puisse apporter des réponses adéquates. Chaque fois, nous nous rencontrons pour les ensemble. A côté de cela, il y a un point particulier qui a été extrait mais qui est effectivement une préoccupation importante, c'est la question de la grille indemnitaire. Nous sommes tombés d'accord avec nos partenaires sociaux que l'actuelle grille n'est pas efficiente. Il faut donc la relire. Elle a été conçue dans un contexte particulier et depuis, l'environnement du travail a évolué. Or, l'indemnité doit tenir compte de certaines particularités et des suggestions du travailleur. Nous sommes en discussion sur ce point. Sur le premier dossier, nous avons reçu leurs doléances, nous sommes en train de les examiner. Nous avons eu une première rencontre qui nous a permis de donner un certain nombre de réponses. Les syndicats ont réagi et nous devons nous retrouver dans la semaine pour pouvoir continuer à discuter sur les différents points. Là, il y a plusieurs aspects qui sont touchés. Il y a les questions des revenus, d'accès aux produits de première nécessité, de liberté syndicale, de la santé, de l'éducation, etc. Cela couvre un vaste champ. Pour la grille indemnitaire, le problème est qu'il fallait qu'on revoie véritablement son architecture. A cet effet, le gouvernement a pris l'initiative de revoir cette façon de concevoir la grille indemnitaire et voir comment l'on peut surtout la rationnaliser. Le nombre élevé d'indemnités pose un problème de gestion. Nous avons proposé de les recentrer autour d'un format-type d'indemnités. Il faut donc trouver des passerelles entre l'ancienne grille et la nouvelle, afin de voir comment partager les acquis. C'est sur cet aspect que nous butons. C'est une question d'appréciation. Le gouvernement a fait ses propositions. Les partenaires sociaux ont estimé que dans certains cas, il y a une avancée et dans d'autres par contre, l'Etat doit plutôt consentir un effort supplémentaire. Nous sommes à ce niveau et les dernières discussions que nous avons eues montrent que les choses vont dans le bon sens. Là, il faut saluer l'ouverture d'esprit des syndicats. Ils nous ont communiqué leurs nouvelles propositions et nous sommes en train de les examiner. Notre souhait serait que l'on puisse poursuivre les discussions pour pouvoir les conclure. Mais, il faut comprendre la complexité des dossiers, car on change carrément de système. Le plus important est que le gouvernement n'a pas autre souci que d'améliorer les conditions de vie des populations. Nous restons dans cette logique.
S. : Avec le contexte actuel marqué par un bond de l'économie et une prévision de croissance à 7% pour 2014 , les travailleurs peuvent-ils s'attendre à une augmentation substantielle des salaires ?
L. M. N. B. : Je ne peux pas vous donner une réponse de cette manière. Nous sommes en discussion avec les syndicats, mais c'est un des premiers points de revendication. Je dois vous dire que le gouvernement a plus ou moins augmenté les salaires avec les mesures sociales de septembre dernier. Ce n'est sans doute pas suffisant, mais le fait d'alléger l'IUTS est une façon d'augmenter les salaires, puisque la mesure concerne l'ensemble des travailleurs. Une augmentation des salaires doit tenir compte des capacités du secteur privé à emboîter le pas. Pour moi, il faut plutôt trouver les mécanismes qui consolident le pouvoir d'achat. Par exemple, si on joue sur le prix des produits de première nécessité ou sur l'accès aux services sociaux de base comme la gratuité de l'éducation... cela peut améliorer le pouvoir d'achat des populations. Il faut avoir cette vision globale et ne pas se focaliser sur les augmentations de salaires. Nous pensons qu'il faut prendre d'autres mesures qui puissent aller dans ce sens. La porte n'est jamais fermée pour une augmentation, d'autant que depuis plusieurs années, régulièrement, l'Etat a augmenté les salaires. La dernière en date, je crois que c'est en 2011-2012. L'augmentation des salaires dépend aussi des ressources de l'Etat. Il y a également beaucoup d'autres besoins. Il faut construire des écoles, des routes, il y a la question de l'énergie, etc. Encore une fois, le gouvernement reste ouvert et attentif aux préoccupations des travailleurs.
Interview réalisée par
Saturnin N. COULIBALY
Marc DOH
Aziz NABALOUM