Augustin Loada (A.L.) : Tout d'abord, assurer la continuité de l'Etat en Afrique est déjà un acte fort. Car l'Etat en Afrique n'est pas une chose évidente. C'est une réalité à laquelle les Africains ne sont pas très familiers, donc maintenir l'Etat debout est quelque chose de fondamental, d'essentiel. Regardez ce qui se passe en Somalie et en Centrafrique. La situation dans ces pays est due au fait que la continuité de l'Etat n'a pas été assurée. Et c'est dans ce sens que nous avons veillé à assurer une certaine continuité pour qu'il n'y ait pas de rupture dans le fonctionnement de l'administration. Si le Burkina Faso a pu échapper en partie à un cycle d'entropie et même de destruction, c'est parce que nous avons réussi à maintenir l'Etat debout. Pour revenir sur mon ministère, je dois préciser d'abord les attentes du chef de gouvernement lorsqu'il nous a confié le département. S'agissant du volet Fonction publique, comme c'est nous qui gérons la carrière des agents publics, la première mission était de faire en sorte que les dossiers des agents publics soient traités avec diligence. Un des reproches adressés justement à ce ministère est de ne pas traiter de manière diligente les dossiers des agents de la Fonction publique. La deuxième attente était d'organiser les concours de la Fonction publique avec équité et transparence. S'agissant toujours du volet Fonction publique, il s'agit aussi d'assurer la modernisation continue de la Fonction publique. En ce qui concerne le volet Travail, il s'agit de maintenir le dialogue avec les partenaires sociaux et promouvoir le travail décent. Pour le troisième volet, nous avons la mission de faire en sorte que la protection sociale des travailleurs soit davantage renforcée et il y a un certain nombre d'initiatives qui sont en cours dans ce sens. Après quatre mois à la tête du département, nous avons fait à la fois beaucoup et peu de choses. Lorsque nous avons pris service, nous avons rencontré le directeur général de la Fonction publique. Nous avons également rencontré les différents services et les directions pour nous rendre compte des réalités. Les agents publics travaillent dans des conditions extrêmement difficiles. Le logiciel SIGASPE (Ndlr : Système intégré de gestion administrative et salariale du personnel de l'Etat), l'outil qui permet de gérer la paie et les dossiers des agents publics est un logiciel formidable. Cependant, l'outil connaît aussi ses pannes, ses limites qui ne sont pas nécessairement liées à la qualité du logiciel mais à l'environnement dans lequel il est utilisé. Le débit internet dans la Fonction publique en général, est faible. Les agents n'arrivent souvent pas à travailler par manque de connexion, or c'est avec cet outil qu'ils doivent traiter les dossiers des agents publics. Il y a aussi le fait que les dossiers traînent dans les ministères d'origine avant d'arriver à la Fonction publique. Il y a toute une chaîne dans le traitement des dossiers des agents publics et qui démarre dans les structures d'origine. Plusieurs agents interviennent dans le processus et nous essayons avec la direction générale de la Fonction publique de réunir tous les acteurs de la chaîne pour mettre les uns et les autres devant leur responsabilité. Nous avons trouvé également des dossiers en souffrance pour des raisons diverses liées entre autres à l'insurrection populaire. Avec la nouvelle donne, les visas ont complètement changé et les contrôleurs financiers refusent de viser. Nous avons demandé à organiser une opération «casiers vides». Cela suppose que l'on mobilise exceptionnellement des agents publics pour vider ces «casiers». Il faut aussi motiver ces agents, d'où la question des finances. Quand vous écrivez au ministère de l'Economie, il vous explique que nous sommes dans un contexte de pénurie et que normalement, cela relève des attributions normales des agents publics et qu'on n'a pas à les payer pour cela. Donc, il faut négocier, expliquer et cela prend du temps. Mais nous avons réussi quand même à le faire. Et cela a permis de décongestionner les tiroirs. Il est important de prendre des mesures de sorte à ce que ces casiers ne se remplissent plus, d'où la nécessité de travailler avec tous les acteurs pour que chacun puisse exercer ses responsabilités. La contrainte financière est une contrainte majeure. Chaque année, nous devons organiser une rencontre avec tous les directeurs des ressources humaines des ministères car ce sont eux qui contribuent pour l'essentiel à la gestion des dossiers des agents, là où ils sont. A l'heure actuelle, la tenue d'une telle rencontre est très difficile, vu le contexte économique et financier difficile dans lequel le gouvernement de Transition travaille. Beaucoup de gens ne s'imaginent pas quelle gymnastique est faite au niveau des différents ministères et particulièrement au niveau du ministère de l'Economie et des Finances pour assurer la continuité de l'Etat. Sur le volet des concours, nous avons, avec le directeur général de l'Agence générale de recrutement de l'Etat (AGRE) et ses collaborateurs, passé en revue le dispositif organisationnel pour voir les failles et tirer les leçons du passé. Nous avons procédé à une relecture du décret portant organisation des concours et examens. A l'issue d'un atelier que nous avons organisé à Koudougou sur les communiqués d'ouverture des concours, nous avons expliqué que l'administration s'était fixé pour objectif zéro dysfonctionnement, zéro faute mais que ce sont des milliers d'agents qui sont impliqués dans la chaîne organisationnelle. Il y a ceux qui proposent les sujets (c'est chaque ministère qui propose les sujets pour ses concours), ceux qui les tirent, ceux qui surveillent, les agents de sécurité, ceux qui réceptionnent les dossiers, etc. Et le ministre ne peut pas garantir que parmi ces milliers d'agents, il n'y aura pas un seul qui aura un comportement indélicat. Nous avons cependant dit que chacun doit prendre conscience de sa responsabilité. Le changement auquel nous aspirons tous ne pourra survenir que si chacun de nous y contribue. Ce n'est pas au ministre de la Fonction publique à lui seul d'apporter le changement mais chacun doit jouer sa partition. En tant que ministre, si quelqu'un est confondu, ma responsabilité est de faire en sorte que cette personne paie cash et je vous assure que cette responsabilité sera assurée. Après la relecture et l'ajustement des communiqués des concours, il y a des ajustements qui vont être faits et les concours seront bientôt lancés. Nous sommes dans un contexte où l'emploi est rare ; nous avons plus de 150 000 agents enrôlés et la masse salariale est très importante. Ce n'est pas une vérité bonne à dire mais il faut qu'elle le soit. La Fonction publique ne pourra pas à elle seule résorber tout le chômage au Burkina Faso. Il faut aussi que le secteur privé joue sa partition. C'est important que nous créions un environnement économique qui soit propice aux investisseurs nationaux comme internationaux, d'où la nécessité de stabiliser le front social. Nous devons faire des efforts pour essayer de maîtriser les effectifs et nous assurer que les agents publics méritent les salaires qu'ils perçoivent. Certes, ces salaires sont insuffisants mais ils sont à la hauteur des moyens du Burkina. Et ce sont les contraintes financières qui font que le gouvernement tarde aujourd'hui à traiter cette question. Ce n'est pas un manque de volonté mais un manque de moyens. Le gouvernement a instruit tous les ministres et particulièrement celui en charge de la Fonction publique de prendre les dispositions pour s'assurer que les agents occupent effectivement les postes qu'ils doivent occuper et que les règles concernant les horaires de fonctionnement des services publics soient effectivement respectées. Les emplois sont rares, donc nous comprenons que ceux qui sont dans différents corps cherchent à protéger leur emploi en faisant en sorte que l'accès soit limité. Cela est légitime mais en tant que ministre en charge de la Fonction publique, j'ai aussi la responsabilité de m'assurer que tous les agents publics aient des opportunités d'évoluer dans leur carrière. C'est une question d'équité ; il n'y a pas de raison que certains agents évoluent et d'autres non. Les textes qui organisent les emplois connaissent quelques limites et il y a des agents publics qui n'ont pas de possibilité d'évolution. Lorsque nous essayons de les ouvrir à ceux qui occupent des emplois connexes ou similaires pour leur permettre d'évoluer, immédiatement, nous nous heurtons à ceux qui pensent qu'on limite leur chance car la concurrence deviendra plus rude. J'ai à concilier l'intérêt de tous les camps. Ce qui suscite parfois des malentendus avec certains agents. Par exemple, les agents du ministère de l'Economie ne veulent pas que les comptables exerçant dans les autres ministères évoluent dans leur emploi. Des deux côtés, on est mitraillé. Etre ministre de la Fonction publique, c'est accepter d'être impopulaire (éclats de rires dans la salle).
S. : Est-ce que vous aviez conscience de cela au moment où vous acceptiez le poste ? Vous passez du statut d'observateur à celui d'acteur de l'administration publique.
A.L. : Ce sont les dures réalités de la Fonction politique. J'ai appris après ces quelques mois que c'est très confortable d'être à l'extérieur.
S. : Votre jugement va-t-il changer quand vous ne serez plus ministre et que vous redeviendrez acteur de la société civile ?
A.L. : (rires du professeur). Ce n'est pas écrit sur ma carte d'identité, "société civile". Oui et non. J'ai déjà travaillé sur l'administration. J'ai fait ma thèse sur l'administration et la politique ; donc je connais un peu ce milieu mais ce que je découvre, c'est le poids des corporatismes. Et pour moi, cet état de fait est un danger pour le pays. Les gens ne voient que leurs intérêts corporatistes. Cependant, ces intérêts qui sont tout à fait légitimes doivent être conciliés avec le bien commun et l'intérêt général. Mais quand vous voulez faire passer ce message, vous vous faites mitrailler. Quand on est donc ministre de la Fonction publique, il faut porter un gilet pare-balles (rires dans la salle).
S. : Vous avez fait le bilan de l'enrôlement biométrique des agents publics au conseil des ministres du 1er avril passé. Il ressort qu'il y a 28 305 agents non enrôlés non justifiés et 269 agents non enrôlés mais justifiés. Quel sort est réservé à ces agents ?
A.L. : Il y avait des agents qui avaient plusieurs numéros matricules. La nécessité d'assainir le fichier de la solde s'est donc imposée au gouvernement, d'où l'utilisation du SIGASPE pour gérer le personnel de l'Etat et l'opération billetage à certains moments. Mais ce logiciel a aussi des limites. L'outil informatique ne sert à rien si vous n'avez pas des agents bien formés pour l'utiliser et qui ont des comportements responsables et éthiques. C'est ce qui peut expliquer en partie pourquoi des agents ont plusieurs matricules, et pourquoi des agents sont décédés et leurs salaires sont toujours virés. L'enrôlement biométrique était destiné à la maîtrise des effectifs et à la correction de toutes ces failles. Cependant, il y a des agents qui disent qu'ils n'ont jamais entendu parler de l'enrôlement biométrique parce qu'ils habitent loin, au niveau des frontières et que c'est pour cela qu'ils ne se sont pas fait enrôler. Il y a certains par contre qui ont des raisons valables pour expliquer pourquoi après cinq (5) opérations successives, ils ne sont pas enrôlés. D'autres étaient à l'étranger, notamment dans les ambassades. Lorsqu'ils se présentent devant une commission et que les justificatifs sont approuvés, le ministre donne l'autorisation de les enrôler. Mais si c'est un agent «fictif» et que les responsables sont complices, il est puni selon les textes en vigueur.
S. : Comment faites-vous pour vous assurer que chacun est à son poste et fait son travail ? N'êtes-vous pas trop laxiste en matière de sanction des agents ?
A.L. : Je vous donne un exemple pour vous montrer que la bonne volonté seule ne suffit pas. A mon arrivée au ministère, j'ai trouvé sur ma table un dossier emblématique. Il s'agit d'un agent public qui a reconnu avoir détourné de l'argent. Le dossier traîne depuis 2 voire, 3 ans. J'ai voulu comprendre pourquoi il n'est pas encore passé en conseil de discipline. On me dit qu'il n'y a pas de conseil de discipline dans la structure où l'agent officiait. J'ai dit de mettre en place un conseil de discipline. Il a fallu batailler pendant des mois pour mettre en place ce conseil de discipline. Ensuite, j'ai dit de réunir le conseil de discipline. Là, on me fait comprendre que l'agent en question est retourné dans son ministère d'origine mais j'ai exigé qu'il soit entendu. Les membres dudit conseil m'ont fait comprendre que comme c'est la première fois de tenir le conseil de discipline, ils ne savent pas comment cela fonctionne. Je les ai rencontrés et en cinq minutes je leur ai expliqué le fonctionnement du conseil. C'est pour vous dire l'inertie que l'on rencontre dans les différents ministères. Qui en est responsable ? Nous acceptons de porter le chapeau de gouvernement laxiste. Mais c'est tout le monde qui doit porter le changement et non le gouvernement seulement. Et tant que les gens n'auront pas compris cela, il n'y aura pas de changement. L'administration publique est un instrument du gouvernement. Les fonctionnaires qui réclament le changement doivent y contribuer. Le gouvernement doit donner des orientations et il est important que l'administration suive. Mais cela n'intéresse pas beaucoup les fonctionnaires. Ce qui les intéresse ce sont les statuts particuliers, les indemnités, les nominations...
S. : Revenons à vos débuts au ministère où certaines de vos nominations avaient été critiquées. Certains frondeurs ont même parlé de "CGDisation" du ministère. Comment avez-vous vécu cette situation ?
A. L. : Je suis à l'aise pour parler de cette question. On est dans un contexte où il y a toutes les dérives. Il y a plus de 900 agents dans le ministère et seulement deux qui viennent du CGD. On est dans l'outrance quand on parle de "CGDisation" du ministère. Et j'avais le droit de faire ces nominations. J'ai juste nommé deux personnes du CGD. L'un est nommé inspecteur et l'autre secrétaire permanent de la politique nationale de bonne gouvernance. Quand vous nommez un agent comme inspecteur, il pense que vous l'avez mis au garage. Ce n'est pas ma conception des choses. Est-ce que ces agents avaient la compétence ? Oui, ils l'ont. M. Thomas Ouédraogo prépare sa thèse de doctorat de sciences politiques avec moi. Il a un DEA en sciences politiques, c'est un sociologue de formation. Il a l'expérience de la gouvernance car il travaille au CDG depuis des années. Le secrétariat en charge de la bonne gouvernance est rattaché à mon cabinet et non au secrétariat général du ministère. Je me suis dit que si je veux impulser une politique en matière de gouvernance, je peux nommer quelqu'un en qui j'ai confiance et qui a les compétences. Il y a d'autres raisons que je n'ai pas envie d'étaler ici. J'ai fait des changements qu'au niveau des maillons faibles. Je n'ai pas changé de directeur de cabinet car celui qui était là faisait mon affaire. Je n'ai pas changé là où j'ai estimé que ce n'était pas nécessaire. C'est l'un des ministères où il n'y a pas eu beaucoup de nominations. Ma politique est de faire de l'inspection un instrument de bonne gouvernance, c'est pour cela que j'ai nommé aussi dans ce service quelqu'un en qui j'ai confiance. Pour moi, ce sont des gens qui ont la vocation. Si mon successeur estime qu'il ne veut plus travailler avec eux, il n'y a aucun problème. Du point de vue traitement salarial, ce n'est rien, ils n'ont pas accepté les postes pour de l'argent. La fronde qu'il y a eue est survenue au moment où j'avais des difficultés avec le syndicat des GRH (Gestionnaires des ressources humaines) et pour moi c'était une expérience difficile mais j'ai tiré leçon de cela.
S.: Le problème est-il définitivement réglé ? Peut-on dire que la tempête est aujourd'hui loin derrière ?
A. L. : Pourquoi posez-vous la question ? (Rires)
S. : On aimerait savoir si le calme est revenu dans votre département.
A. L. : Le ministère a toujours été calme. Je crois que la grève des contrôleurs et inspecteurs de travail a pris fin hier (Ndlr : 1er avril 2015). Mais le droit de grève est licite au Burkina.
S. : Quel est exactement le statut des agents du CGD que vous avez nommés ?
A. L. : Ce sont des agents contractuels. C'est tout à fait licite.
S. : Recrutés par l'Etat ou c'est juste pour le temps de votre séjour au ministère de la Fonction publique, du Travail et de la Sécurité sociale ?
A.L. : Oui, par l'Etat pour un contrat d'un an. Et je m'étonne que des gens qui disent gérer les ressources humaines disent : «Ah, on a recruté des gens sans matricule...». Je n'aime pas vraiment entrer dans les détails. C'est tout à fait licite. C'est un contrat.
S. : Après votre départ, si le contrat n'est pas renouvelé, ces personnes pourraient être remerciées par le nouveau maître des lieux ?
A. L. : Où est le problème ? C'est un contrat d'une année. Vraiment, je suis étonné de certaines attitudes et réactions à propos de cette affaire. Certaines personnes sont de mauvaise foi et ruent sans discernement dans les brancards. Ce sont des pratiques qui sont tout à fait licites.
S. : La position des frondeurs est tout de même compréhensible. Lorsqu'un nouveau ministre arrive, la plupart des agents attendent d'être promus. Et si au lieu de cela, on nomme des gens de l'extérieur... C'est vrai, vous avez vos arguments. Mais comprenez-vous que les mécontents brandissent également des arguments valables ?
A. L. : Lesquels ?
S. : Ils ont droit aussi à la promotion.
A. L. : Mais, en quoi nommer quelqu'un de l'extérieur constitue-t-il une entrave à la promotion d'un agent ?
S. : Mais pas quelqu'un qui vient de l'extérieur...
A. L. : (Indignation de l'invité). Cette conception des choses s'appelle du corporatisme et c'est très dangereux. Cela prend parfois des proportions inquiétantes. Pour moi, le problème est tout simple. Celui qui veut un poste, qu'il vienne me voir. S'il y a un poste vacant et si le demandeur remplit les conditions, il n'y a aucun problème. Si quelqu'un était venu me voir pour me dire : «Ah, monsieur le ministre, je suis du ministère et j'aimerais occuper tel poste...» (Rires). Plusieurs agents ne veulent pas initier pareille démarche. Mais ils veulent qu'on imagine...(rires à nouveau). Pour quelqu'un qui n'a pas l'expérience du métier, il y a forcément des incompréhensions.
S. : Vous avez annoncé la fin très proche de la discrimination dans le traitement des fonctionnaires et des contractuels. Où en êtes-vous actuellement ?
A. L. : Oui, j'ai annoncé la fin, mais le «très proche» n'engage que vous. Je le dis, parce que parfois je souris lorsque je parcours les réseaux sociaux. On y retrouve toute sorte de commentaires. Je comprends parfois l'impatience des gens. Mais la relecture d'une loi, ce n'est pas une simple copie que l'on doit juste corriger en deux temps trois mouvements. Ce n'est pas aussi simple que les gens le pensent. Mais qu'ils se rassurent, le processus est en cours. C'est une exigence qui a été formulée dans le cadre du processus de relecture de la loi 013 sur les agents publics. Savez-vous que c'est un processus qui est en cours depuis deux, trois ans. Cela fait donc des années. Et moi arrivé à peine quatre mois, on me dit : «Mais, alors ?». Cette histoire dure depuis des années.
S. : Plus rien, a-t-on dit, ne sera comme avant...
A. L. : Oui, mais entre trois ans et trois mois, il y a quand même une grande différence. En réalité, qu'est-ce qui s'est passé ? Je pense que le comité chargé de la relecture est arrivé à un point de blocage où il avait besoin des orientations du gouvernement, notamment sur les différences de traitement entre les contractuels et les fonctionnaires. Qu'en pense le gouvernement ? Il ne revient pas au comité de répondre à des questions aussi importantes. C'est donc dans l'ordre normal des choses que le dossier ait été renvoyé sur la table du gouvernement. Il y a toute une série de questions pour lesquelles le comité a sollicité l'orientation du gouvernement. Et effectivement le mois passé, le gouvernement, à la faveur d'un conseil de cabinet, a donné ses orientations. A partir du moment où le gouvernement donne ses orientations, le comité peut poursuivre ses travaux. Et en principe, il doit se réunir la semaine prochaine (Ndlr : Interview réalisée le 2 avril 2015) pour démarrer ses travaux. Nous avons d'ailleurs proposé un chronogramme. De quoi est-il question exactement ? Le ministère de la Fonction publique n'est pas le seul acteur impliqué dans ce dossier. Il faut aussi discuter avec les partenaires sociaux. Et cela va prendre du temps et dépendra surtout de ce que les gens souhaitent. Mais, si comme dans certaines entreprises, les gens vont jusqu'à exiger une augmentation de 80%, voire 100 %, cela va se compliquer. Comme vous le constatez, cela dépend de plusieurs variables que nous ne maîtrisons pas forcément. Ces aspects mis de côté, tout se passe bien. Et en principe, ces questions doivent être bouclées d'ici la fin de la Transition.
S. : Parlant de cette loi 013, quelles sont les principales modifications qui seront faites ?
A. L. : Comme je le disais tantôt, le processus est en cours. Mais, on peut déjà identifier un certain nombre de problèmes dont la différence de traitement entre contractuels et fonctionnaires. La question est complexe. En principe, quand vous êtes contractuels, c'est pour une période donnée. Le contractuel occupe un emploi, je dirais, qui est à titre précaire. Alors que le fonctionnaire est censé bénéficier de la stabilité de son emploi. On a donc estimé que pour compenser la précarité de l'emploi du contractuel, il faut le payer plus. C'est tout à fait logique. Parce qu'il est là pour quelque temps. Paradoxalement, il se trouve que dans la pratique, les contractuels occupent les mêmes emplois permanents que les fonctionnaires. C'est ainsi que l'on a fini par consacrer des différences de traitement entre des agents qui occupent les mêmes emplois. L'un est mieux payé que l'autre. Où faut-il opérer la correction ? Est-ce qu'on tire les contractuels au niveau des fonctionnaires ? Non. Vous êtes donc d'accord qu'il y a une incidence financière. Cela nécessite une évaluation et il faut ensuite voir si l'on dispose des ressources financières pour payer. Et s'il n'y a pas d'argent, qu'est-ce qu'on fait? Nous sommes obligés de laisser les choses en l'état ou alors nous corrigeons et faisons des promesses pour dire bon : «Nous n'avons pas d'argent pour payer aujourd'hui. Est-ce que vous permettez qu'on paye peut-être sur trois ans ?». Tout va dépendre de la réaction des partenaires. La situation, comme vous pouvez le voir, n'est pas tout à fait aisée. Vous avez aussi parlé de rigueur, de sanctions disciplinaires, etc. Je voudrais souligner ici le fait qu'il y a parfois un hiatus entre les fautes qui sont commises et les sanctions. Les fautes sont graves et les sanctions minimes ou la sanction est grave alors que la faute est minime, etc. Il faut donc corriger ces aspects-là. Pour ce qui concerne les agents recrutés avec le Certificat d'études primaires (CEP), je me demande si l'on va continuer à garder la catégorie D. C'est une question que je me pose.
S. : Le CEP est un diplôme qui va certainement disparaître...
A. L. : Oui, vu justement les mutations de tous ordres qui touchent notre système éducatif, cela pourrait devenir une réalité. Qu'à cela ne tienne, il existe de nombreuses questions pour lesquelles je ne dispose pas de réponses actuellement. Et c'est le comité qui va discuter en son sein. Plusieurs acteurs y seront représentés et vont faire des propositions. Il y aura un atelier de validation au cours duquel une décision collective sera prise.
S. : Pouvez-vous garantir que la loi 013 sera relue d'ici la fin de la Transition ?
A. L. : C'est mon souhait le plus ardent. Comme je vous l'ai expliqué, si cela dépendait de la Fonction publique, «cette petite loi 013», pour reprendre les mots d'un internaute, aurait été corrigée depuis longtemps. Mais je ne suis pas le seul qui doit prendre la décision. Il y a plusieurs acteurs, les partenaires sociaux et le ministère de l'Economie et des Finances, notamment pour sa maîtrise des questions financières.
S. : Monsieur le ministre, pourquoi le statut particulier est parfois refusé à certains corps ?
A. L. : C'est justement un point sur lequel se prononcera le comité de relecture. Pourquoi, le statut particulier est-il tant réclamé à votre avis ?
S. : Prenons par exemple le cas des journalistes qui travaillent à feu continu. Ils n'ont pas de week-end, ni de jours fériés, etc. C'est au regard de toutes ces considérations que les hommes et femmes des médias publics demandent ce statut particulier.
A. L. : Si cela ne dépendait que de moi, tous ceux qui demandent le statut particulier auraient des statuts particuliers. En fait, vous demandez un statut particulier pourquoi ? Je crois que c'est pour l'argent. Mais, est-ce qu'on ne peut pas résoudre la question autrement ? Puisque vous voulez de l'argent, voyons s'il y en a et si on peut vous en donner. Parce que le gouvernement peut vous accorder un statut particulier, sans vous donner de l'argent. Mais je crois que ce n'est pas ce que vous voulez. Vous conviendrez donc avec moi que l'argent constitue la finalité de cette démarche. Sinon, il est techniquement possible d'accorder un statut particulier à tous les corps. Mais dans ce cas, il appartient à chaque entité de se gérer. La question qui se pose est plutôt celle-ci : qu'est-ce qui restera de la loi 013, si chacun obtenait un statut particulier ? Rien ! Rien ! Or, vous êtes sans doute d'accord avec moi que s'il y a un ministère de la Fonction publique, c'est parce qu'il y a des règles de gestion qui intéressent l'ensemble des agents publics.
S. : Quelle est aujourd'hui la position du gouvernement sur cette récurrente question de statut particulier ?
A. L. : La position du gouvernement est claire. Les statuts particuliers sont uniquement réservés aux corps désignés nommément par notre Constitution. Ce sont des corps indépendants et véritablement particuliers. C'est par exemple le cas de la magistrature, des policiers, des paramilitaires, etc.
S. : Les journalistes sont aussi un corps particulier, notamment de par la nature de leur activité...
A. L. : La presse constitue certes, le quatrième pouvoir, mais la Constitution n'a pas encore prévu quelque chose à propos des professionnels des média de notre pays. C'est vrai qu'on parle du quatrième pouvoir, mais pour le moment ce n'est pas encore dans la constitution. Je sais que l'enjeu principal est financier. Dans ce cas, je pense qu'il faut sérier les choses. Ce qui intéresse le ministère de la Fonction publique, ce sont les règles techniques qui permettent de gérer les ressources humaines de l'Etat. La question des finances sera, quant à elle, discutée avec le ministère de l'Economie et des Finances pour voir s'il y a de l'argent pour la revalorisation des salaires des agents publics.
S : Où en sont les préparatifs des concours professionnels 2015 de la Fonction publique ?
A. L. : Rassurez-vous, le processus est en cours. Un rapport a été fait en Conseil des ministres pour faire le bilan des concours professionnels précédents et autoriser les recrutements en fonction de l'expression des besoins. Il y a eu des lettres qui ont été adressées aux différents ministères. Ceux-ci ont exprimé leurs besoins. Après un travail préparatoire en amont, nous avons organisé un atelier à Koudougou le mois passé (mars 2015) afin que, de commun accord avec les directeurs des ressources humaines des différents ministères, les communiqués relatifs à l'ouverture des concours puissent être validés. Quels sont ceux qui ont accès aux concours ? Quelles sont les conditions, etc. Nous sommes donc à cette phase. La prochaine étape va concerner le dispositif que nous mettrons en place pour réceptionner les dossiers. L'idée est de faire en sorte que d'ici le mois de mai 2015, nous puissions démarrer l'autre phase pour les concours directs. C'est, en principe, le chronogramme indicatif qui a été fait.
S. : Les Burkinabè attendent avec beaucoup d'impatience l'aboutissement du projet de loi portant régime d'assurance maladie universelle. Certaines organisations de la société civile sont, d'ailleurs, inquiètes que ce projet ne soit pas encore introduit au Conseil national de la Transition (CNT). Qu'est-ce qui coince à ce niveau ?
A. L. : Franchement, voilà un sujet qui m'exaspère. Une structure de la place a même affirmé sur le petit écran que le gouvernement ne veut pas de l'assurance maladie universelle. C'est une contre-vérité ! Je comprends parfaitement l'impatience des uns et des autres. Mais de là à tenir de pareilles déclarations, je trouve cela assez déplorable. En fait, la loi aurait due être votée depuis belle lurette. Une commission de l'Assemblée nationale a eu même à auditionner les responsables du dossier, etc. Nous avons repris tout le dossier en conseil des ministres et le gouvernement a demandé à ce que tous les ministères concernés se remobilisent autour dudit dossier. Pour la petite histoire, c'est la semaine où j'ai entendu la déclaration selon laquelle «le gouvernement ne veut pas du régime d'assurance maladie», que nous avions convoqué une rencontre au cabinet impliquant différents ministères. Et cette rencontre nous a véritablement permis de corriger un certain nombre de choses. En principe, cette question devra, je l'espère, trouver une issue heureuse avant la fin de la Transition. Mais il ne faut pas que les populations s'attendent à ce que cela soit opérationnalisé immédiatement. Pourquoi ? Parce que cela coûte de l'argent. Tenez par exemple, pour la première phase, c'est plus d'une dizaine de milliards qu'il faudra débloquer. Mais, je vous assure que dans le contexte qui est le nôtre avec les tensions de trésorerie, ce n'est pas sûr que l'on puisse voir cette première tranche. Mais au moins les principaux instruments, les mécanismes de base seront posés. Qu'est-ce qui est prioritaire actuellement? C'est payer les salaires. Et s'il n'y a aucun problème à ce niveau, pour nous c'est déjà pas mal. Le citoyen lambda croit que le traitement des salaires relève de la simple évidence. Mais, croyez-moi, c'est loin d'être évident, surtout dans le contexte actuel. Et donc naturellement, en fonction du desserrement de l'étau des contraintes financières, nous pourrons effectivement mettre en œuvre ce type de réformes qui constituent un plus pour la protection sociale des agents publics. Et au-delà des agents publics, de l'ensemble des Burkinabè. Parce que, ce sur quoi nous travaillons, c'est aussi de faire en sorte que le dispositif qui sera mis en place soit arrimé aux mutuelles sociales qui existent déjà sur le terrain.
S. : Votre département a en vue l'érection d'une cité des fonctionnaires. Est-ce que vous pouvez nous parler des objectifs et des bénéficiaires de cette infrastructure ?
A. L. : C'est un projet qui a été introduit par la Caisse autonome de retraite des fonctionnaires (CARFO). Dans le document qui nous a été transmis, les initiateurs du projet ont expliqué que l'objectif est d'améliorer les conditions de vie des fonctionnaires, donc un impact positif attendu sur la productivité. Nous avons donc trouvé l'idée lumineuse. Mais pour la mise en œuvre de cet ambitieux projet, les concepteurs ont été immédiatement confrontés à certaines difficultés que j'ai évoquées à l'instant. Il y a des priorités. Je pense que si la CARFO a de l'argent pour financer un projet d'une telle envergure, c'est une bonne chose. Mais je suis sûr que le gouvernement pourrait avoir besoin de l'argent de la CARFO pour faire des choses plus urgentes. Vous savez bien que le gouvernement lance régulièrement des opérations tels les emprunts, les obligations. Et la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et la CARFO sont de potentiels clients de l'Etat en la matière. C'est avec les retombées de telles opérations que le gouvernement gère le quotidien de la continuité de l'Etat. Sinon l'idée de la CARFO est, en soi, une démarche à saluer. Mais, elle ne pourra, à mon avis, se concrétiser que lorsque les conditions seront beaucoup plus favorables.
S. : La revalorisation des salaires des fonctionnaires n'est pas très présente dans le discours du gouvernement de Transition. Une hausse des indemnités est certes, intervenue l'année dernière, mais ce n'est pas encore le cas pour les salaires.
A. L. : Le ministre de l'Economie et des Finances, si vous l'avez bien suivi ces derniers temps, communique assez sur les difficultés auxquelles notre pays est confronté. Je suis à chaque fois interpellé sur cette question d'augmentation des salaires. Mais, je suis obligé d'expliquer que ce n'est pas parce que nous ne voulons pas. C'est parce que nous faisons face à des contraintes objectives. Le cours de l'or et le cours du coton sont à la baisse. Regardez la récente grève des travailleurs de la Brakina. Selon le directeur de la boîte, ce mouvement d'humeur a occasionné des pertes de l'ordre d'un milliard de francs CFA. Nous sommes en train de créer un climat qui ne favorise pas l'investissement. Or, comme vous le savez, ce n'est pas la Fonction publique à elle seule qui va résorber le problème du chômage. Le secteur privé doit donc pour cela trouver sur le terrain un environnement favorable à son plein épanouissement. Malheureusement, nous sommes plutôt en train de créer des conditions défavorables au plein essor du secteur privé. Comment va-t-on faire ? Ce n'est donc pas une question de manque de volonté politique. Je crois que c'est parce que la limite est objective. En termes de recettes, nous avons engrangé moins que l'année passée. Et on n'a pas atteint nos prévisions en matière de mobilisation des recettes. Dans ces conditions, que pouvons-nous faire si ce n'est pas faire des promesses d'augmentation. Et qui va tenir ces promesses ? Ceux qui vont prendre le relais après le 11 octobre 2015 ? Voyez vous-mêmes que ce n'est pas correct. Je ne veux pas préjuger de ce qui va se dire dans la négociation que nous préparons entre le gouvernement et les syndicats. Je le répète, ce n'est pas un manque de volonté politique. Le gouvernement de Transition n'est pas méchant vis-à-vis des travailleurs. Il s'agit seulement de contraintes objectives et rien de plus. Permettez-moi de parler de la sorte.
S. : Le gouvernement de Transition a-t-il trouvé les caisses de l'Etat vides après le départ des dignitaires de l'ancien régime ?
A. L. : Parce que vous croyez qu'il y avait quelque chose ? (Rires)
S. : Les anciens dignitaires sont partis dans la précipitation. Donc, on suppose que c'était difficile de vider quoi que ce soit.
A. L. : Non, ne raisonnez pas comme cela, même pour des raisons pédagogiques. Le fonctionnement de l'Etat est beaucoup plus complexe que vous ne le pensez. Savez-vous combien d'instances de paiement, avons-nous trouvées ? Près de 300 milliards. Les règles de paiement de la dette intérieure imposent pourtant des délais. Or, nous avons trouvé des dettes qui remontent à plusieurs années. Ce qui n'est pas normal. Nous avons donc dû éponger la dette intérieure. Parce que nous sommes régulièrement interpellés par les créanciers de l'Etat. Et il y a eu des priorités difficiles, des choix difficiles que le gouvernement a dû faire. C'est-à-dire payer d'abord les instances, dont notamment la dette intérieure. C'est cela qui fait que nous sommes obligés de gérer pratiquement au quotidien des tensions de trésorerie. Mais, je vous assure que ceux qui sont partis ont vraiment laissé un héritage difficile, mais que le gouvernement de Transition est obligé d'assumer au nom de la continuité de l'Etat.
S. : Est-ce à dire que la gestion des finances publiques sous l'ancien régime était chaotique ?
A. L. : Vous, qu'est-ce que vous en pensez ? Je crois que si le gouvernement précédent était resté, il allait tôt ou tard se casser les dents. Pourquoi avons-nous aujourd'hui des difficultés au niveau de la SONABEL, de la SONAHBY ? Si vous voyez comment étaient gérées la SONABEL, la SONAHBY, c'est tout simplement inacceptable.
S. : Y a-t-il des actions judiciaires contre ceux qui ont mal géré ?
A. L. : (Rires). Je suis très sensible à la lutte contre l'impunité. Ce que je constate est que ce sont les mêmes qui disent de lutter contre l'impunité qui vont nous mitrailler quand on va enfermer des gens sans suivre les procédures. Les gens ont mal géré la SONABEL et la SONABHY, on est obligé d'enquêter. On a le résultat qui est la mauvaise gestion mais cela ne suffit pas pour enfermer quelqu'un. Pour enfermer, il faut que la personne ait commis une infraction qui soit documentée ; qu'on saisisse la justice qui fera son travail. Prenez le rapport de l'ASCE, vous verrez dans une colonne les cabinets des juges à qui on a confié le dossier. Que voulez-vous que le gouvernement fasse ? Voulez-vous qu'il appelle le juge pour lui demander quand est-ce vous rendez la décision ? On peut le faire, le ministre via le procureur peut le demander. Mais c'est une forme de demander qu'est-ce que vous foutez ? (rires). Mais si la pression est très forte, on dira que le gouvernement ne respecte pas l'indépendance de la justice. C'est pourquoi, j'ai dit que chacun de nous a un rôle à jouer dans le changement. Le gouvernement, certes, mais les agents publics aussi et les magistrats sont des agents publics. Je crois savoir qu'il y a des audits qui ont été lancés et l'ASCE a visité un certain nombre de structures et maintenant on attend la suite. Vous savez, l'Etat de droit aussi a ses contraintes. On aurait pu faire comme sous la Révolution sankariste. On met en place les TPR mais je ne pense pas que c'est ce que les gens veulent aujourd'hui. Nous voulons construire une société de droit. Qu'est-ce que les gens n'ont pas dit sur l'affaire Thomas Sankara ? Manque de volonté politique, ceci, cela. Mais quand on a donné l'ordre de poursuite, là, je pense que ceux qui ont accusé le gouvernement, devraient reconnaître que ce n'est pas facile.
S. : N'est-ce pas le fait de susciter trop d'espoir avec des déclarations non maîtrisées qui crée cette impatience ?
A. L. : Vous aurez voulu que l'on ne suscite pas d'espoir aux Burkinabè ? (rires). Cela va être jugé. Vous croyez que le gouvernement pense que c'est facile ? Est- ce que le peuple sait que le changement n'est pas facile ? Les gens veulent le changement ici et maintenant, mais ce n'est pas comme ça. Si c'est ce que l'on a laissé croire, on travaille à ce que les gens ne croient plus (éclats de rires dans la salle). Vous-mêmes vous voyez la complexité de la chose. C'est extrêmement complexe. On peut avoir la volonté mais les moyens pour réaliser posent problème. Parfois, cela ne dépend même pas de nous, mais souvent de plusieurs acteurs qui n'ont pas conscience des attentes du peuple qui veut des résultats. S'il y a eu une incompréhension, on s'excuse.
S. : Donc, le plus rien ne sera comme avant ne tient plus ?
A. L. : Pourquoi cela ne tient plus ? Vous voyez comment les Burkinabè s'expriment. N'est-ce pas un changement ?
S. : Les syndicats insistent pour une réduction du prix du carburant à 150 F. On a l'impression d'assister à un dialogue de sourds entre le gouvernement et les syndicats.
A. L. : Ce n'est pas un dialogue de sourds. Les syndicats sont dans leur rôle de veille. Quand on diminue le prix du carburant, on n'obtient jamais la satisfaction totale. Il y a des consommateurs qui auraient voulu avoir l'essence gratuit dans ce pays. Si le gouvernement pouvait, certainement, il l'aurait fait mais il ne peut pas. Il faut que les gens soient de bonne foi. Il y a des explications que nous donnions mais les gens ne veulent pas prendre ces explications. De 25 à 50, ce n'est pas une évolution ? Vous avez déjà vu un syndicat qui dit : «compte tenu de la situation de la SONABHY, on accepte ?».
S. : Est-ce qu'à ce niveau, la communication ne fait pas défaut ?
A. L. : Un gouvernement responsable ne peut pas faire plus que ce qu'il a à faire. Sur ce point, il y a un malentendu avec les syndicats parce qu'un gouvernement responsable doit gérer les déficits de la SONABHY (Ndlr : Société nationale burkinabè d'hydrocarbures). La gestion de la SONABHY, avec un déficit de trésorerie, avec les difficultés énormes et qu'est-ce que les syndicats disent ? Ils disent que ceux qui ont mal géré n'ont qu'à rembouser. C'est vrai qu'il faut le faire. Le gouvernement va se donner les moyens, mais en attendant on fait comment ? Vous croyez que les gens se promènent avec des valises ou des "djembés" pleins d'argent que le gouvernement va incercepter pour injecter dans les caisses de la SONABHY ? Regardez les pays où les dictateurs ont détourné de l'argent. Combien d'années a-t-on pris pour mettre la main dessus ? Vous croyez que les gens à qui on reproche cette gestion calamiteuse, gardent leur argent ici ? Non, ils ne placent pas leur argent ici. On ne peut pas mettre la main dessus en deux temps trois mouvements pour régler les questions de trésorerie. Pourquoi la SONABEL a des difficultés à fournir l'électricité en continu ? Ils remplissent leur cuve au jour le jour. A la limite, ils doivent près de 18 milliards de F CFA à la SONABHY. Tout ça, c'est l'héritage. Les syndicats disent que ce n'est pas aux consommateurs de payer la mauvaise gestion. Ça aussi, c'est vrai mais le gouvernement fait quoi ? Si on diminue encore le prix du carburant, c'est la situation de la SONABHY qui s'empire. Et qui va éponger ça ? c'est le gouvernement. Mais on prend l'argent où ? (rires des journalistes). C'est notre mauvaise gestion qui fait qu'à un moment donné, on se retrouve au FMI pour demander des aides. Nous dépensons plus que ce que nous produisons. Depuis que le gouvernement de la Transition est là, on ne parle d'économie. On ne parle que de politique, de revendications. Alors que c'est l'économie qui permet de donner des réponses aux revendications. Regardez les situations de nos entreprises. Regardez la SAP (Ndrl : Société africaine de pneumatiques). Quel investisseur va venir investir dans un pareil contexte ? Voici des réalités complexes auxquelles un gouvernement responsable doit apporter des réponses. On veut bien diminuer le prix du carburant, mais si on le fait, on empire la situation de la SONABHY. Et si elle plonge, qui va payer ? C'est le contribuable parce que c'est son argent qu'on prendra pour injecter en vue de sauver l'entreprise. Un gouvernement responsable est obligé de faire des choix. C'est peut-être cela qui fait le malentendu avec le syndicat. Parce que le syndicat ne considère pas que ce sont les consommateurs qui doivent payer le déficit.
S. : La communication se poursuit-elle sur la question ?
A. L. : J'ai l'impression que les communicateurs ont un défaut. Ils font croire aux hommes politiques que l'on peut tout résoudre par la communication. Ce n'est pas vrai. Parfois, il faut de la substance. En la matière, il faut de l'argent. Ce n'est pas la communication qui intéresse les gens, c'est plutôt l'argent qui les intéresse. Les gens peuvent s'exprimer mais le gouvernement va faire ce qu'il peut. La plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu'elle a.
S. : Réduire le train de vie de l'Etat. Pour la réduction du train de vie de l'Etat, la journée continue est-elle la piste sérieuse ?
A. L. : La question des journées continues est un de nos chantiers ; nous sommes en train de travailler là-dessus, il y a même un groupe de travail en place. Le Burkina Faso est l'un des rares pays à n'avoir pas basculé dans les journées continues. Le Niger l'a tenté et il est revenu là-dessus. Mais il y a des explications politiques rationnelles à cela. Nous sommes en train de tirer leçon des expériences des autres pays. Ça se fera sous la Transition ou après, ça reste à régler mais nous sommes en train de travailler dessus. Au niveau du gouvernement, le principe est acquis. Le débat se pose au niveau des mesures d'accompagnement. C'est sur ça que nous allons porter l'essentiel de nos efforts. J'observe que dans beaucoup de services, les gens restent entre 12h30 et 15 h pour dormir sous les climatiseur (rires). Au lieu qu'ils dorment, s'ils travaillaient, c'était mieux. On peut voir cela sous l'angle de la productivité à évaluer. Il faut porter l'effort sur le suivi. C'est là que j'ai dit que chacun de nous a une partition à jouer. Quand je viens au service à 7h30, je trouve que le parking est vide. J'ai travaillé avec le général Garango, on l'avait aussi surnommé GMT. Ce que j'ai retenu entre autres chez lui, c'est la ponctualité. Quand on va commencer à exiger la ponctualité, on va nous traiter de tous les noms d'oiseaux. Et pourtant, c'est ça que l'on devrait faire, s'assurer que les gens sont à leur poste et travaillent pour le salaire pour lequel ils sont payés. On ne va pas se rendre populaire en allant sur cette voie. On fera ce que requiert l'intérêt général.
S. : Quel sort réserve-t-on aux journalistes qui ne connaissent pas de pause à midi et qui ne peuvent pas parler de journée continue ?
A. L. : (silence). On va y réfléchir (rires dans la salle). C'est vrai que dans la réflexion, il faut que l'on intègre certaines particularités. Je pense par exemple aux écoles. Il y a des réflexions à faire dans ce domaine.
S. : Certaines branches comme la medécine sont prises en compte par l'Etat dans l'embauche après la formation. Mais d'autres comme le département communication et journalisme de l'Université de Ouagadougou non. N'y a t-il pas lieu de voir pour que ceux qui ont fait trois ans dans les universités puissent avoir accès aux médias publics sans passer par l'ISTIC ?
A. L. : Le ministère de la Fonction publique travaille en collaboration avec les autres départements. On est en train de voir dans le cadre de la relecture de la loi 013, si on doit garder les textes d'organisation des emplois spécifiques. C'est avec les autres ministères que les reflexions se mènent. Nous n'avons pas d'avis là-dessus, on prend en compte ce que le ministère de la Communication nous suggère pour les textes qui organisent ces emplois. Si c'est une demande qui vient de votre ministère, on prend acte.
S. : Qu'est-ce qui bloque la satisfaction des revendications des inspecteurs et contrôleurs de travail ?
A. L. : C'est l'argent (rires des journalistes). C'est la mise en œuvre de l'article 392 du code du travail qui dit à son alinéa 2 que les inspecteurs de travail ont droit à des prestations en nature. Avec mon prédécesseur, ils se sont accordés pour définir ce que c'est des prestations en nature. Cela inclut des choses comme leur donner des crédits de communication, des kits de connexion. Donc cela a une incidence financière. Pour mettre en œuvre cet alinéa, il faut un arrêté. Ceux qui ont travaillé là-dessus, disent qu'il faut un décret mais après, ils ont dit qu'un arrêté conjoint du ministre de la Fonction publique et du ministre des Finances suffit. Il a fallu faire un travail pédagogique. Il y a eu des difficultés d'explications. Au niveau des finances, ils ont retenu l'explication selon laquelle, ce sont des inspecteurs qui doivent accomplir des prestations ou qui peuvent accomplir des prestations en nature.
Alors que du côté des inspecteurs, c'est plutôt le contraire, c'est l'Etat qui est débiteur. Après, il y a eu un modis vivendi pour dire que c'est l'Etat qui est débiteur. Comme vous le voyez, il y a une incidence financière et ça a été évalué à au moins 300 millions de FCFA. Dans le contexte de tension de trésorerie, c'est ça qui fait qu'au niveau du ministère des Finances, on continue à évaluer la faisabilité. Naturellement, ils ne peuvent pas être contents. Ils ont également d'autres revendications. Il y a la CNSS qui appuie le ministère dans le volet travail et sécurité sociale et ils demandent à faire partie du comité qui gère cette subvention-là. Je leur ai dit que je ne vois pas de difficulté particulière. Quand la revendication a une incidence financière, ça ne relève pas de moi, elle dépend de l'état des finances publiques. Et cela vaut pour l'ensemble des syndicats. Donc, les points de revendication sur lesquels il n'y a pas d'incidence financière ne sont pas difficiles à résoudre.
S. : Les revendications sont à la mode. N'y a-t-il pas un manque de dialogue ?
A. L. : Je pense que le Premier ministre a répondu. Les revendications sont légitimes, les syndicats ont le droit de défendre les intérêts matériels et moraux de leurs adhérents. Mais le gouvernement est chargé de défendre les intérêts moraux et matériels de 17 millions de personnes. C'est ça qui explique que parfois la communication est difficile. Le gouvernement a répondu là-dessus, sur la question des transports. C'est vraiment inadmissible, à la limite le gouvernement n'y est pour rien mais les gens sont prêts à prendre en otage le pays. C'est l'expression de ce que les gens ont compris en termes de liberté, de démocratie. Les gens pensent que la liberté, ça comporte en termes de droit de tout faire mais en réalité, la liberté est plus que ça. Si l'on veut construire un Etat de droit, il faut qu'on arrête cette anarchie. Nous avons besoin d'un Etat pour assurer notre sécurité. Mais si nous mettons en mal cet Etat, c'est nous tous qui payons. Regardez ce qui s'est passé avec la grève des transporteurs, c'est nous tous qui payons, notamment les plus faibles. Je crois que le Premier ministre a donné des instructions pour que cela ne se reproduise plus. Les gens ont le droit de revendiquer mais il faut que les gens revendiquent dans le respect des règles du jeu. La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres. A la radio, il y a des gens qui étaient fiers. Je pense que la conception que nous avons de la liberté va nous créer des ennuis.
S. : Que pensez-vous du débat des candidatures des militaires aux élections, en tant que constitutionnaliste ?
A. L. : Que dit notre Constitution ? Article 12 : tous les Burkinabè ont le droit de prendre part à la gestion du pouvoir public en étant électeurs et éligibles. Mais qu'est-ce que la Constitution dit aussi ? Le gouvernement dispose de forces de défense et de sécurité. C'est le signe que l'armée est un instrument au même titre que l'administration civile, au service du gouvernement. Dans tout régime démocratique, il y a des mécanismes démocratiques qui partent de ce principe que la toge prime devant les armes. Ça veut dire que le civil prime sur l'uniforme. Le pouvoir dans un régime démocratique est par nature civil. C'est pour cela que dans une société démocratique, des mécanismes sont destinés à assurer cette subordination de l'armée vis-à-vis du gouvernement civil élu démocratiquement. Ce sont des principes de base. Je pense que les militaires étant des citoyens, comme les autres, ils ont parfaitement le droit de prendre part à la gestion des affaires publiques. Mais je pense que la mise en œuvre de ce droit doit tenir compte du contexte dans lequel nous sommes. Un contexte où la subordination de l'armée au gouvernement n'a pas été toujours évidente. Et c'est cela que les pratiques qui ont cours dans un certain nombre de pays, les textes qui régissent un certain nombre de pays démocratiques doivent nous inspirer. Je ne vois aucun problème à ce qu'un militaire se présente à une élection à condition tout simplement qu'il rende son uniforme, qu'il démissionne. Pourquoi ? Par exemple, s'il prend une disponibilité, il va se présenter, il vient dans l'espace public. Forcément, il cristallise des pour et des contre. Par exemple un de la société civile qui vient en politique, naturellement, il est mitraillé de part et d'autre, forcément il va cristalliser des pro et des anti. Que ce soit du côté des civils que des militaires. Si ce candidat réussit et qu'il fait une carrière en politique que l'on souhaite durable, il n'y a pas de problème. S'il doit échouer et revenir en caserne, il pose un problème parce qu'il aura été marqué politiquement et il aura cristallisé autour de lui, des anti et des pro. J'ai peur qu'il n'y ait pas de perturbations dans le fonctionnement de l'institution militaire. Cela m'étonnerait. C'est un peu comme un magistrat. Généralement, ils sont traités sur le même registre. Le magistrat qui part battre campagne, partisan de telle tendance, qui revient en juridiction et par hasard, il a à juger une affaire de son challenger pour divorce ou qui est poursuivi pour une affaire. Vous voyez le problème ? Même s'il proclame son innocence, celui qui va être jugé dira que c'est parce qu'il a battu le juge qu'il lui a infligé telle sanction. Lorsque vous optez pour certains métiers, vous devez assumer toutes les conséquences. Chez les catholiques, si vous êtes prêtre, vous ne vous mariez pas. C'est à prendre ou à laisser. C'est pareil pour les militaires. Celui qui veut faire une carrière politique, ne doit pas partir au Prytanée militaire. C'est mieux pour lui de s'inscrire au lycée Bogodogo ou au Zinda.
S. : Un projet de loi transmis au CNT pour la rélecture du code électoral est vivement critiqué par le CDP. Que dit le constitutionnaliste Loada ?
A. L. : Si c'est le constitutionnaliste qui parle, la question que je pose est de savoir si c'est retro actif ou pas. Je n'aime pas trop les débats où on cherche à orienter vers des cibles particulières. Je préfère poser le débat sur le plan des principes.
S. : Parlant toujours des potentiels candidats aux prochaines élections, êtes-vous pour ou contre l'inclusion des personnes qui ont soutenu la modification de l'article 37 de la Constitution ?
A. L. : Je suis pour l'inclusion. Mais il y a des degrés d'inclusion.
S. : Soyez plus précis. Un Assimi Kouanda par exemple ?
A. L. : Je pense qu'il y a des gens qui devraient renoncer d'eux-mêmes. Honnêtement. Il y a une vie après la politique. Je ne comprends pas certains Africains qui croient que pour être utile à sa société, on a besoin forcément d'être président. Mais non. Assimi Kouanda est un enseignant qui doit être utile à l'Université. Je suis favorable à l'inclusion, mais il y a des gens qui devraient s'autoexclure. Cela faciliterait la vie du Burkina Faso. Nous ne sommes pas arrivés à une maturation démocratique. Regardez dans certains pays. Lionel Jospin par exemple à un moment, a cherché à être président. Il n'a pas réussi. Il n'a pas insisté. Il s'est retiré. Je ne comprends pas pourquoi certains résistent. Il existe d'autres façons de se rendre utile à sa communauté.
S. : Faut-il compter sur le bon sens de ces personnes ou faut-il qu'on aille vers des dispositions particulières ?
A. L. : Je ne veux pas m'immiscer dans les affaires du CDP. Le Burkina Faso aura besoin du CDP, mais renouvelé. La démocratie burkinabè a besoin du CDP, mais pas avec des gens qui parlent (...rires). Je crois que ce parti a d'autres ressources en dehors de celles qu'on a vues. Si ce n'est pas le cas, c'est inquiétant.
S. : Des constitutionnalistes que vous avez peut-être enseignés viennent de remettre en cause un décret pris en Conseil des ministres pour la nomination de nouveaux membres du Conseil constitutionnel. Pourquoi avez-vous laissé passer un tel « inconstitutionnel » ? Est-ce que le décret est passé devant le Pr Loada ? Est-ce que vous l'avez analysé avant son adoption en Conseil des ministres ?
A. L. : Je n'ai pas le droit de répondre à cette question. La délibération du Conseil des ministres a son secret.
S. : Est-ce que la nomination pose problème ?
A.L. : Non, je crois que c'est le Pr Soma qui pose problème.
S. : Pourquoi ?
A. L. : Le savoir sans le savoir-être, pose problème. Je ne veux pas m'étendre là-dessus. Le savoir-être fait partie du savoir. On aura tout vu dans ce pays. Il ne reste que les imams, les curés... qui sont encore raisonnables dans ce pays. Tout le monde est dans la déraison, la démesure, l'outrance. J'espère que cela va prendre fin.
S. : Est-ce qu'il faut nommer des constitutionnalistes au Conseil constitutionnel ?
A. L. : C'est quoi un constitutionnaliste ? Au Burkina Faso, tout le monde l'est. Vous l'avez oublié ?
S. : Mais pas au même degré. Tout le monde n'est pas spécialiste.
A. L. : Vraiment, posez-moi d'autres questions. Je n'ai pas envie de....(rires).
S. : Le cas du Régiment de sécurité présidentielle (RSP).
A. L. : Vous n'avez pas d'autres questions ?
S. : Le cas du RSP a alimenté les débats. Faut-il dissoudre ce corps ou le réformer ? Comment ?
A. L. : Il y a une commission d'experts qui réfléchit. Attendons de voir les résultats. On avisera.
S. : Votre point de vue personnel sur le sujet.
A. L. : Je suis ministre du gouvernement. Je ne peux pas dire n'importe quoi comme certains (rires).
S. : Pourquoi avoir accepté de rentrer dans le gouvernement de la Transition, alors que certains Burkinabè pensaient que vous alliez rester à l'écart pour poursuivre le travail de veille sur l'action gouvernementale ? Vous ne pouvez pas être dans le gouvernement et être suffisamment critique ?
A. L. : A l' écart de quoi ? Il y a des critiques constructives et destructives.
S. : Est-il facile, ce passage du côté des Organisations de la société civile (OSC) à celui de l'exécutif ?
A. L. : Je donne mon appréciation. Il n'y a pas de sujet tabou. On en parle.
S. : Le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) est-il encore une force de veille ?
A. L. : Non, non, c'est une question qui n'a pas à se poser. Effectivement, j'entends cela. Si vous ne l'entendez pas souvent, c'est parce qu'il travaille dans les réseaux.
S. : Est-il audible ?
A. L. : Le CGD est audible. Le Focal, le FRC ne seraient pas ce qu'ils sont ou ont été sans le CGD. Tout ce que le FRC fait ou a fait, c'est aussi avec la contribution du CGD. On a vu que pour être efficace sur le projet de l'article 37, il fallait être dans les réseaux. Le CGD a animé dans les réseaux et continue de le faire aujourd'hui.
S. : Est-ce le CGD qui a décidé de faire partie du gouvernement ?
A. L. : Ce n'est pas le CGD qui a décidé de faire partie du gouvernement. Vous savez très bien que ce n'est pas à titre collectif, mais individuel. Je vous ai dit que je ne suis plus le directeur du CGD. Pourquoi vous avancez cette hypothèse qui n'a pas eu lieu. Ou bien c'est moi que vous appelez CGD (rires). Il y a des gens qui confondent...Je ne suis pas le Christ... (rires). Il faut qu'on arrête ça. Il y a un nouveau directeur qui s'appelle Saïdou Abdoul Karim qui fait son travail de manière honorable.
S. : Pourquoi le Pr Loada a décidé de faire partie du gouvernement ?
A. L. : Parce que l'article 12 de la Constitution m'y autorise.
S. : Au-delà de l'autorisation, il y a un choix personnel à faire quand on sait que les défis allaient être nombreux. Qu'est-ce qui vous a motivé ?
A. L. : Une envie d'avoir une expérience gouvernementale, une envie d'apporter ma contribution du point de vue du gouvernement.
S. : Vous pouvez nous dire que l'occasion ne s'est jamais présentée ?
A. L. : Pour être honnête, non. Mais si j'avais voulu, il suffisait de faire l'âne pour avoir le foin (rires). J'ai des collègues qui y étaient, j'aurai pu faire comme eux.
S. : Est-ce que vous ne regrettez pas un peu votre présence car à l'émission "Controverse", vous avez dit que Pr Loada étant consultant gagne plus.
A. L. : Ne voyez pas les choses en termes d'argent. Si c'était le cas, je ne serais même pas enseignant.
S. : Vous avez insisté ?
A. L. : Oui, parce que les gens pensent que lorsqu'on est ministre, on gagne. Vous ne pouvez pas imaginer. Vous ne pouvez pas imaginer.
S. : Quel effet ça vous fait d'être ministre ?
A. L. : C'est une expérience. Quand la Transition va finir, je vais probablement écrire un livre. C'est peut-être l'envie d'avoir une expérience. La leçon que je tire, c'est qu'il est plus confortable d'être à l'extérieur.
S. : Vous regrettez alors ?
A. L. : Non, ce n'est pas un regret. C'est comme les choix que l'on fait dans la vie. On les assume.
S. : Est-ce qu'avec vos nouvelles fonctions, vous avez le temps de donner les cours à l'Université ?
A. L. : Demandez aux étudiants de l'Université Saint Thomas d'Aquin (USTA), à mes étudiants en master et en doctorat. Je continue de donner mon cours de droit constitutionnel. Je continue de faire ce que je faisais avant d'être dans le gouvernement. Même mon footing matinal.
S. : En tant que connaisseur des réalités universitaires, quelles solutions proposez-vous pour résorber les retards constatés dans les universités publiques du Burkina Faso ?
A. L. : Pour être franc, je pense qu'il faut remettre le compteur à zéro. On peut rattraper les retards à condition que chacun d'entre nous s'implique. Les principaux acteurs surtout, que sont les enseignants et les étudiants. Tout est question évidemment de moyens. Mais il va falloir explorer cette décision à un moment. Si je prends le cas de l'Université Ouaga II, on était presque sur le point de rattraper le retard. On s'était dit que si on faisait des efforts à moyen terme, on pouvait normaliser l'année. Il faut que chacun joue sa partition. Le gouvernement devrait peut-être mettre plus de moyens. Mais avec les finances publiques qu'on a, je suppose qu'on fait le maximum.
S. : Est-ce qu'il faut abandonner le système LMD ?
A. L. : Ce n'est pas la solution. Non, ce sera une fuite en avant. C'est comme si vous demandez que la terre s'arrête de tourner. Nous sommes embarqués dans une mondialisation à laquelle nous n'avons pas les moyens de résister. Nous vivons dans un monde connecté. Nous sommes dans un système CAMES et au niveau de l'UEMOA, il y a des normes vers lesquelles il faut évoluer.
S. : Qu'est-ce qu'il faut faire avec les enseignants qui n'assurent pas les cours ou qui ne font pas les évaluations à temps ?
A. L. : Il faut les sanctionner. Celui qui ne fait pas son travail, doit être sanctionné.
S. : Pour une transition qui n'a que six mois à faire, des nominations tous azimuts continuent. En quoi ces nominations sont-elles nécessaires ? On n'a pas que ça à faire.
A. L. : On ne change pas pour changer. Je suis désolé de le dire, le gouvernement dispose de l'Administration. Il est écrit dans la Constitution. Il faut accepter donner les moyens au ministre de faire sa politique. Pensez-vous que tous ceux qui nous entourent sont favorables à la Transition ? C'est normal qu'un ministre pense qu'il doit se donner les moyens de sa politique. Il y a des nominations qui s'imposent, qui sont justifiées.
S. : Un ministre comme celui de l'Administration territoriale qui nomme une vingtaine de chargés de missions avec des conseillers techniques. Cela pose problème.
A.L. : Quel problème ?
S. : Les gens ne comprennent pas ; puisque pendant que le gouvernement parle de réduire le train de vie de l'Etat, il consacre l'essentiel de ses conseils des ministres à des nominations. Presque tous les anciens gouverneurs ont été nommés chargés de missions.
A.L. : C'est un jeu de chaise musicale. Les gouverneurs représentent qui ?
S. : L'Etat.
A.L. : Tel que ça fonctionnait avant l'insurrection populaire, ils représentaient l'Etat ? Mais non. A votre avis ? Vous savez très bien que cela ne fonctionnait pas ainsi sous le régime antérieur.
S. : C'est donc une dépolitisation de l'administration ?
A.L. : (Rires). Je vous laisse la responsabilité de vos.... Encore une fois, en règle générale, quand on change, il y a une raison. On devrait expliquer ? Ce n'est pas convenable de s'expliquer à chaque changement. C'est un jeu de chaise musicale où il faut trouver un point de chute à quelqu'un qu'on a déplacé.
S. : En quoi est-on obligé de trouver un poste aux gouverneurs au ministère ? C'est un fonctionnaire avant d'être gouverneur. C'est cela qui est décrié. La plupart sont renommés conseillers techniques ou chargés de missions.
A. L. : Ça vous pose quel problème ?
S. : Il y a moins de charges quand ils sont fonctionnaires que chargés de missions.
A. L. : Pensez-vous qu'un chargé de missions touche combien ?
S. : Même si c'est 5 francs...
A. L. : Mais quand le fonctionnaire ne vient pas à l'heure, ce n'est pas une forme de paillage de ressources ? Et le fonctionnaire qui va au service pour jouer aux cartes sur son ordinateur et qui reçoit son salaire ? Ce n'est pas une forme de pillage de ressources ? Les chargés de missions sont de hautes personnalités politiques ou administratives qui ont beaucoup d'expériences.
S. : Vous en avez combien ?
A. L. : (Rires). Ils ne sont pas nombreux. Ils m'aident dans la réflexion sur la journée continue et sur la dépolitisation de l'Administration. Ce n'est pas parce qu'ils sont nommés chargés de missions qu'ils n'ont rien à faire. Cela dépend des ministres. Il faut leur confier des missions.
S. : Des dizaines de chargés de missions au MATDS, cela ressemble à de l'exagération.
A. L. : Et s'il y a beaucoup de missions ? Et le plus souvent, ce sont des positions à la limite transitoires. En tout cas, chez moi, ils sont bien chargés.
S. : Les élections sont pour bientôt et déjà on relève des suspicions de fraude. Est-ce qu'il y a véritablement des craintes quant à une issue difficile ?
A. L. : Vous savez très bien que les élections constituent toujours des moments de tension. Mais c'est la responsabilité des différents acteurs, pas seulement de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). C'est la responsabilité des partis politiques, des organisations de la société civile, des citoyens de faire en sorte que nous pussions gérer ces tensions. Le plus important, ce sont les mécanismes pour gérer ces tensions. Est-ce que la CENI a pris des dispositions pour faire face au phénomène ? Compte tenu des enjeux, on comprend que les élections soient source de tension. Nous avons les moyens pour gérer ces tensions. Pourvu que chacun joue sa partition. Certains pays l'ont réussi.
S. : Débarrassé de votre costume de ministre, quel regard portez-vous sur la conduite de la Transition ?
A. L. : Difficile de me débarrasser de ce costume (rires). Les transitions sont des moments d'espérance. Je comprends que parfois les gens en attendent trop. C'est peut-être dû à l'héritage. Les Burkinabè expriment leurs attentes, leurs frustrations. Il est normal que la parole soit libre dans une société démocratique. On peut se réjouir que les Burkinabè goûtent au charme de la liberté. Mais cela doit s'accompagner de responsabilité. Sinon le chaos peut s'installer. Personne n'en tirera profit. Nous avons intérêt à préserver les libertés, les droits fondamentaux. Nous avons intérêt à maintenir le contrat social qui nous lie, qui fait que nous sommes Burkinabè. C'est pour cela que je suis pour l'inclusion, même s'il y a des degrés divers.
S. : Vous pensez donc que la Transition est sur de bons rails ?
A. L. : J'ai l'impression que certaines personnes ont raté le train et elles cherchent à le ramener à la case-départ. Elles sont prêtes à mettre des barricades sur les rails.
S. : Qui sont-elles ?
A. L. : Celles qui se réjouissent à chaque fois qu'un coup est porté à la Transition. Je connais des gens qui jubilent chaque fois qu'il y a un problème. Vous en connaissez. Si le train déraille, ils ne pourront s'échapper. Nous avons intérêt à ce que le train de la Transition arrive à bon port. Il y a des gens qui n'ont pas encore compris cela. Le gouvernement de la Transition est orphelin, il n'a personne, il n'y a pas de bouclier quand on tire sur lui. Car les partis politiques sont rentrés en brousse. Si le gouvernement était issu d'un parti politique, ses militants allaient tirer également. S'ils ne tirent pas, ils vont lever le bouclier. Vous lisez la presse, les forums, c'est le "carnage".
S. : Il y a des OSC qui interviennent.
A. L. : Heureusement. Le train de la Transition n'est pas celui du président, du Premier ministre, des membres du gouvernement. C'est le train du Burkina Faso. La réussite de la Transition incombe à tous. Les intérêts particuliers ne seront satisfaits que si le train de la Transition arrive à bon port. C'est important comme message à donner à l'opinion.
S. : Le Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples (MBDHP) vient de déposer plainte contre des anciens dignitaires du régime déchu. Est-ce qu'il y a des possibilités qu'ils répondent de leurs actes avec la justice que nous avons aujourd'hui ?
A. L. : Il y a eu les états généraux de la Justice. Des réflexions ont été faites sur comment demander des comptes. Les Burkinabè ont un peu évolué. Si c'était au temps de la Révolution, ces gens allaient répondre rapidement de leurs actes devant les Tribunaux populaires de la révolution (TPR). Mais qu'est-ce qui s'est passé après ? On a assisté à des révisions de procès, des mesures qui ont coûté cher. Il faut que nous respections les principes et les valeurs auxquels nous avons adhéré à travers la Constitution et la Charte en suivant les règles et les procédures. Le problème est que tout le monde est d'accord pour dire que la Justice, telle qu'elle fonctionne actuellement, est malade. Raison pour laquelle, des réformes s'avèrent indispensables. Je sais qu'il y a une réflexion en cours au niveau de la Haute Cour de justice concernant les membres de l'exécutif. Voir comment renforcer les moyens sur le plan de la justice ordinaire pour ceux qui ont commis des crimes est une autre piste. Je pense qu'à l'issue des états généraux, des initiatives vont être prises rapidement pour demander des comptes à ceux qui doivent le faire en respectant leurs droits.
S. : On assiste à la naissance de nouveaux partis politiques ces derniers temps. Quelle lecture faites-vous de la naissance massive des partis politiques à l'orée des élections ?
A. L. : Le nombre de partis politiques n'est pas en corrélation avec la qualité de la démocratie. Sur ce plan, il n'y a rien de nouveau. On était dans cette dynamique même sous le régime précédent. C'est une liberté. Chacun de nous peut créer un parti politique. Il faut être pragmatique. Tous ceux qui prétendent à la magistrature suprême doivent faire un effort de se regarder dans la glace. Si chacun faisait cet effort, on aurait moins de difficultés à gérer cette question.
S. : D'aucuns disent que c'est l'ex-président Blaise Compaoré qui est derrière la création des nouveaux partis politiques.
A. L. : C'est ce que j'entends dire. C'est peut-être la mise en œuvre d'une stratégie qui consiste à émietter l'électorat. Ce sont des hypothèses et pour corroborer des hypothèses, il faut des données et je ne les ai pas.
S. : M. le ministre, avez-vous une préférence parmi les candidats à la prochaine élection présidentielle ?
A. L. : Je vais y répondre après la Transition (rires).
S. : Vous avez travaillé avec le général Tiémoko Marc Garango, qu'est-ce que vous retenez de cet homme ?
A. L. : La rigueur. C'était difficile mais on en tire un bénéfice. Il ne venait jamais à l'heure mais toujours en avance. Quand je travaillais avec lui, il fallait m'y prendre plutôt. Ce que je retiens de lui, c'est vraiment la rigueur. Il n'aimait pas l'à peu-près. Il ne fallait pas s'amuser avec lui, comme disent les Ivoiriens.
S. : Quel Burkina voulez-vous après la Transition ?
A. L. : Ce que je souhaite pour mon pays d'abord, c'est la stabilité. J'ai un peu peur que les Burkinabè passent d'un excès à un autre. Dans les années 70 ou 80, la Haute-Volta était plus connue pour son instabilité. On parlait du Bengladesh, de l'Afrique et en 90 avec Blaise Compaoré, excès de stabilité. Il faut que les Burkinabè aient l'esprit de discernement, de responsabilité pour ne pas passer d'un excès à l'autre. Quand on regarde les choses, on a l'impression qu'il y a des gens qui confondent la politique et la guerre civile. Pourquoi les gens se battent autant pour accéder à la magistrature suprême ? Cela devait être pour le bien commun. Et on n'a pas besoin de rentrer en guerre civile. Je rêve d'un Burkina pacifique. J'aurai voulu que la société civile et les partis politiques s'interrogent sur comment faire pour redémarrer l'économie. Si l'économie ne va pas, il n'y aura pas de recettes dans les caisses de l'Etat et s'il n'y a pas de recettes, pas de revalorisation salariale, ni d'assurance maladie, .... Donc il faut recentrer le débat autour de l'essentiel. Et l'essentiel, c'est se donner les moyens économiques pour répondre aux aspirations du peuple. Et l'on ne peut faire cela que dans un environnement stable.
S. : Est-ce que le prochain président doit utiliser la méthode forte pour faire changer les habitudes ?
A. L. : Moi je crois plutôt en la force du droit. Nous devrions nous mettre d'accord autour des pactes. Je pense que les Burkinabè ont besoin de se parler pour trouver ce qui est essentiel. Et une fois que l'on est d'accord sur les règles du jeu, on les applique, et si quelqu'un déraille, on le remet sur les rails. Mais si c'est pour embastiller sans toute autre forme de procès, c'est contreproductif. Je crois qu'il faut mettre les gens devant leurs responsabilités. Si vous voulez le changement, quelle est votre contribution ? Qu'est-ce que le gouvernement peut faire ? Qu'est-ce que la société peut faire ? Qu'est-ce que les syndicats peuvent faire ? Le gouvernement, pour moi, c'est un coordonnateur d'un processus dans lequel chacun a un rôle à jouer. Il ne faut pas que les gens s'asseyent et pensent que c'est le gouvernement qui doit tout faire. Il n'est que le chef d'orchestre. Même au sein de la Justice, quel que soit ce que le ministre de la Justice va faire, c'est le magistrat qui décide. Prenons l'exemple du président Barack Obama qui a beaucoup fait, même si ce n'est pas le changement auquel on croyait. C'est pareil pour le gouvernement de la Transition.
S. : Qui des prétendants de Kosyam préférez-vous ?
A. L. : Je vais vous faire le portrait-robot du candidat que je préfère. C'est celui que le peuple aura choisi (rires).
S. : Mais en termes de valeurs ?
A. L. : S'il incarne déjà les valeurs qui sont dans la Charte de la Transition, à savoir l'esprit d'inclusion, de responsabilité, de discernement auquel j'ajoute l'esprit de bonne gouvernance parce que dans le préambule de notre Constitution, il y a des principes de valeur d'Etat, de droit de transparence et de reddition des comptes. Il faut quelqu'un qui est pétri des valeurs de bonne gouvernance. Quelqu'un qui comprend qu'il n'est pas là pour servir un clan ni un parti politique, mais tous les Burkinabè, et qui est particulièrement sensible aux attentes des plus faibles. C'est également celui qui doit être capable de mobiliser des ressources économiques et financières.
S. : Vous préférez un homme ou une femme ?
A. L. : Des hommes qui ont aussi des qualités de femme et des femmes qui ont également des qualités d'homme. La personne doit avoir une combinaison de valeurs féminines et masculines.
S. : Vous avez parlé tantôt de transparence. Est-ce que vous pouvez revenir sur le devoir de la déclaration des biens des membres du gouvernement ?
A. L. : Il faut faire la différence entre la transparence et le voyeurisme. Effectivement, la Charte l'impose. Le but, c'est de comparer les deux déclarations puisqu'il faut déclarer à l'entrée et à la sortie. Et s'il y a une différence à la sortie, la personne doit se justifier. Je crains que cela ne devienne du voyeurisme, car cela n'est pas dans notre culture. Dans la plupart des couples par exemple, les dames ne savent pas combien leurs maris touchent comme salaire et vice versa. Je suis sûr que la déclaration des biens va être faite, parce que le gouvernement s'y attelle.
S. : La loi sur la corruption a été adoptée. Peut-elle véritablement changer les choses ?
A. L. : Ça relève de la responsabilité de tout le monde, aussi bien du gouvernement, de ceux qui ont voté la loi, de la société civile que des partis politiques. J'espère qu'après le gouvernement, tous les hauts fonctionnaires feront leur déclaration de biens.
S. : Le Nigeria vient d'élire son nouveau président Muhammadu Buhari. Qu'est-ce qui explique l'échec du sortant Goodluck Jonathan ?
A. L. : Il y a eu certainement une déception des Nigérians au vu de l'incapacité de leur président à gérer certaines situations, à répondre aux aspirations. Le Nigeria est un pays immensément riche dans lequel la redistribution des richesses pose problème. Il y a une grande différence entre le Sud et le Nord en plus des problèmes de sécurité. Donc, c'est sans doute l'aspiration au changement qui explique la défaite de Goodluck Jonathan.
S. : Bien qu'il soit issu du Nord, le nouveau président pourra-t-il régler la question de Boko Haram ?
A. L. : On l'espère, parce que cela commence à avoir des répercussions dans la sous-région. Nous avons besoin d'un Nigeria fort qui joue son rôle et qui tire les autres pays, puisque c'est la première puissance africaine.
S. : Le Togo se prépare pour l'élection présidentielle, et Faure Gnassingbé veut briguer un troisième mandat. Pourquoi en Afrique on a du mal à quitter le pouvoir ?
A. L. : Il faut que les politiques sachent qu'il y a une autre vie après la politique. Pour se rendre utile dans une société, on n'a pas besoin de faire la politique. Pourtant en Afrique, tout est politique. Peut-être lorsque nous allons nous développer un peu plus, les gens vont se rendre compte que l'on peut avoir accès aux ressources économiques sans faire la politique. Mais cela va prendre du temps. J'ai rencontré récemment un collègue américain professeur de sciences politiques, qui a servi dans l'armée, et qui a fait la guerre en Irak. Lorsque qu'il est rentré de guerre, il a voulu faire la politique parce que son expérience de la guerre ne l'a pas plu. Il a trouvé que l'Amérique avait mieux à faire que d'aller faire la guerre. Il a été battu après un mandat. Et il est reparti enseigner, et devenir aussi PDG d'une entreprise, qui fabrique des produits électroniques. Pour dire que le jour où les gens vont déployer leur énergie à faire quelque chose, ils se sentiront bien utiles à la société. Peut-être que l'attractivité de la politique va baisser. C'est peut-être parce qu'en Afrique, si vous êtes politique, vous avez accès à tout ou peut-être parce que les dirigeants ont pris l'habitude de tout verrouiller. Même l'économie est politisée. Cela explique sans doute pourquoi pendant l'insurrection, il y a eu des dommages économiques. Il faut donc éduquer, sensibiliser une autre génération de politiques, qui va faire la part des choses.
S. : Le fils de l'ancien président sénégalais, Karim Wade, vient d'être condamné à 6 ans de prison ferme et à payer près de 150 milliards de francs CFA. N'y a-t-il pas la main du politique derrière ce verdict ?
A. L. : C'est une hypothèse. Est-ce qu'un tel procès peut se faire sans que l'on ne parle de politique ? Puisque celui dont il est question est politique. Et puis le peuple demande la fin de l'impunité et si l'on veut mettre fin à cela, on dit que l'on porte atteinte aux droits.
C'est la responsabilité d'un gouvernement d'assumer l'exigence de respecter le droit de la défense et l'exigence de demander des comptes à ceux qui ont mal géré les choses.
S. : En République démocratique du Congo(RDC), des élections se préparent. Le président Kabila a l'intention de se représenter à nouveau. Est-ce qu'il y a risque de clash dans ce pays ?
A. L. : J'ai déjà entendu un acteur de ce pays dire que le Congo n'est pas le Burkina. Je pense que le président de ce pays va écouter ses amis et conseillers qui lui veulent du bien.
S. : Peut-on s'attendre un jour à voir le Pr Loada s'engager fortement en politique ?
A. L. : Non ! Honnêtement, ce dont je rêve, c'est d'écrire un livre après mon expérience du gouvernement. C'est ce qui est dans mon agenda, j'ai vécu une expérience que je ne regrette pas, j'assume. J'ai remarqué que ceux qui font plus de tort à la Transition, ce sont nos amis. Ceux avec qui on a fait l'insurrection. La Transition est victime de tirs adverses et de tirs amis. J'ai envie d'investiguer et de comprendre cette situation. Pour moi, c'est une hypothèse de recherche.
S. : Les coups amis portés à la Transition ne viennent-il pas de ceux-là qui se considèrent comme des laissés-pour-compte ? Surtout, si ceux-ci considèrent l'après-insurrection comme un gâteau à partager ?
A. L. : J'aime la pâtisserie mais pas ce type de gâteau. Comment des gens ont pu penser qu'en trois mois, on peut régler tous les problèmes du Burkina. Notamment, des choses que l'on n'a pas pu régler en 27 ans. On n'est pas en Israël. Les changements sont difficiles. Par exemple sous la Révolution, il y a eu des changements mais à quel prix ? Les gens veulent une chose et son contraire.
S. : Nous sommes pratiquement au terme de notre entretien, est-ce qu'il y a un aspect que nous n'avons pas pu évoquer et que vous voudrez porter à la connaissance de l'opinion publique ?
A. L. : Il y a un chantier sur lequel nous travaillons, il s'agit de la dépolitisation de l'administration publique. Il faut qu'il y ait un débat national sur ce que les uns et les autres comprennent de ce phénomène. Et que l'on prenne des dispositions d'ordre règlementaire et législatif pour répondre à cette préoccupation. Sur l'exemple des nominations faites par le gouvernement, la Constitution dit que le gouvernement dispose de l'administration. Et si le gouvernement doit changer des choses, c'est en travaillant avec l'administration. C'est tout à fait normal que le gouvernement se donne les moyens y compris opérationnels pour mener sa politique de changement. Et à la fin de son mandat, le peuple peut demander des comptes. Qu'est-ce que vous avez fait avec les moyens qui ont été mis à votre disposition ? La Constitution, en son article 36, dit que le président du Faso nomme aux emplois de la haute administration civile et militaire. Et le Premier ministre nomme aussi conformément à la loi. Mais de quelles lois ? La Constitution date de 1991. Est-ce qu'il ne faudrait pas réfléchir pour voir qu'est-ce qu'il faut celer ou pas. Je pense qu'il y a peut-être une initiative à prendre dans ce sens. Il y a également la manière dont les agents publics traitent les autres dans les prestations et les traitements de dossiers. C'est un chantier sur lequel nous travaillons qui sera soumis à l'examen du gouvernement et du Conseil national de la Transition (CNT).
La Rédaction