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Gouvernement de transition : La preuve par la Défense ?

| 24.11.2014
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Gouvernement de transition : La preuve par la Défense ?
© DR / Autre Presse
Gouvernement de transition : La preuve par la Défense ?
Ce n'est pas pour rien qu'on parle de «composer» un Gouvernement ; c'est-à-dire former un ensemble à partir de différents éléments hétéroclites mais aussi transiger, faire des compromis. Qui plus est dans nos pays où, à la donne purement politique viennent se greffer, même en période de transition, des considérations ethno-régionalistes dont on aurait tort de ne pas tenir compte. Et quand mercredi soir, le Premier ministre frais émoulu, le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, promettait l'équipe gouvernementale dans «au plus tard 72 heures», il ne s'imaginait peut-être pas que l'accord, même imparfait, serait un peu difficile à trouver. Les «72 heures» ont donc tiré en longueur, jusqu'à hier dimanche en début de soirée.


Qu'est-ce qui a bien pu causer ce retard à l'allumage de la machine gouvernementale ? Le souci de bien huiler et régler la mécanique pour éviter les pannes en cours de trajet sans doute mais pas que. Les tiraillements entre les différents acteurs de la scène «transitoire» y ont certainement été aussi pour quelque chose. Entre les militaires, qui accusaient les civils de se battre comme des chiffonniers et de proposer des ministrables inconsistants voire fantaisistes, et ces derniers, qui suspectaient les premiers de goinfrerie kakie, il était difficile a priori de faire la part des choses, mais à la lumière de la composition du premier gouvernement post-Blaise, on se demande si les craintes de ceux qui accusent l'Armée, en général, Zida en particulier, de récupérer à bon compte l'insurrection populaire ne sont pas fondées.

Passe encore que le diplomate de carrière Kafando prenne les Affaires étrangères en plus de la Présidence, mais non content d'avoir ravi la primature, l'ex-chef de l'Etat intérimaire va en effet cumuler la Défense, ce qui, pour beaucoup, est la preuve définitive que la soldatesque a spolié les insurgés de leur victoire. Pour le colonel Barry Auguste Denise en particulier, le débarquement au ministère de l'Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité sonne comme une revanche personnelle, lui qui, on se rappelle, n'avait passé que trois petits mois à la Sécurité (du 16 janvier au 04 avril 2011) avant d'être sacrifié, comme tant d'autres, sur l'autel de la paix sociale suite aux mutineries de 2011.

Au vu de la configuration de l'équipe Zida, les croisés de la révolution d'Octobre feront remarquer qu'ils n'ont pas souvent vu nombre de ces messieurs et dames descendre dans la rue et monter aux barricades pour faire pièce aux velléités monarchiques de Blaise Compaoré ; ou pire que certains ont même composé, et pas à n'importe quel poste, avec les maîtres d'hier. Mais même «en temps de paix», est-ce seulement possible ici comme ailleurs de former un gouvernement à l'abri de la moindre critique ? Quoi qu'il en soit, c'est vraiment à l'épreuve du terrain qu'on verra ce qu'il en est en réalité. De ce point de vue, et en attendant que le Conseil national de transition (CNT) se mette en place, deux dangers majeurs guettent, à notre sens, l'échafaudage institutionnel en construction.

Primo, ainsi que nous l'avons déjà indiqué dans notre édito de jeudi dernier, le risque est grand que l'officier supérieur prenne le pas, au propre comme au figuré, sur le président Michel Kafando dans ce que d'aucuns qualifient déjà de cohabitation civilo-militaire. L'image est passée inaperçue l'autre jour, mais elle est suffisamment révélatrice de la délicatesse de cet attelage. La scène se passe au palais de Kosyam le mercredi 19 novembre 2014 : le chef de l'Etat vient de recevoir celui dont la nomination à la Primature va être rendue publique d'un moment à l'autre. Mais alors qu'il sortent ensemble, c'est Zida qui est légèrement en avant (cf l'Observateur paalga n°8752 du jeudi 20 novembre page 2) quand la logique voudrait qu'il soit tout au plus au même niveau s'ils sont en train d'échanger si ce n'est «trois pas en arrière» comme on dirait dans l'armée.

Ça n'a l'air de rien, mais ç'a son importance, surtout que, c'est bien connu, l'appétit vient en mangeant et la soif (du pouvoir ou autre) s'en va en buvant. En vérité, les choses eussent été beaucoup plus simples et plus saines si celui qui est sorti des rangs le 31 octobre 2014 et qui a permis à notre pays de ne pas sombrer dans la chienlit s'était vraiment éclipsé pour ne se contenter, tout au plus, que du maroquin de la Défense, ce qui aurait eu du reste l'avantage de conserver intacte l'image d'Epinal du soldat intervenant pour sauver la nation en péril et se gardant bien de rester dans l'arène une fois la mission accomplie. Mais les choses sont ce qu'elles sont. L'ex-numéro 2 du problématique Régiment de sécurité présidentielle (RSP) a décidé de rester, quitte à conforter l'idée selon laquelle tout compte fait, c'est Blaise, Diendéré et autres qui continuent de régner par procuration. Mais il y a plus grave pour lui, car en bon soldat, il est bien payé pour savoir qu'en montant en première ligne, et puisqu'on ne gouverne pas innocemment, il se découvre et s'expose au risque d'écorner l'idée qu'on se faisait de lui.

Deuxio, l'autre danger qui guette les deux têtes de cet Exécutif bicéphale, c'est de faire dans le populisme en chatouillant les populations par là où ça les démange. Que nos Quatre Glorieuses fussent l'expression d'un ras-le-bol généralisé contre la gestion monopolistique du pouvoir et toutes les plaies de l'ancien régime (corruption, impunité, injustice, népotisme...) qui avaient fini par se gangrener, tout le monde en convient, mais ce n'est certainement pas par des propos ou des actes démagogiques qu'on règlera les problèmes. Et il faut se garder d'être l'otage d'une partie de la classe politique et de la société civile à qui on veut forcément complaire.

Or là, le peu qu'il nous a déjà été donné de voir aussi bien de la part du président de la transition que de son chef de gouvernement n'incite pas à l'optimisme.

Une chose est sûre, il pourrait se révéler plus facile de déboulonner le monarque de Kosyam, exilé depuis jeudi dans un vrai royaume, celui du Maroc où il a déposé son baluchon, que de conduire à bon port cette transition en proie à mille et un récifs et qu'on espère la plus courte possible.

Ousséni Ilboudo

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